Sigue Sigue Sputnik ne m'inspirent aucun superlatif, Sigue Sigue Sputnik ne sont les meilleurs en rien, mais on a été un peu vite en besogne pour voir en eux les pires de tous. Le rocker lambda n'a pas son pareil pour se comporter en petite vieille, après tout, rejeter Sigue Sigue Sputnik en 1984, c'était comme s'effrayer des New York Dolls dix ans plus tôt.
Ok, ils sont laids comme seuls les anglais peuvent l'être, leurs dégaines, leurs provocations à deux balles, leur insistance à vouloir être nimbés en permanence d'une aura de scandale, tout ça, et les publicités entre les chansons, n'a pas vraiment aidé à leur donner la crédibilité que l'on accordait sans broncher à, je sais pas, défoulez-vous, U2 ? Pourtant en matière de crédibilité rock, le groupe se pose là, baptisé à Paris en première partie de Johnny Thunders, parrainé par Mick Jones, fondé par son ancien complice des London SS, Tony James, éminence grise de Generation X, l'homme qui composa Russian roulette pour Lords of The New Church, c'est quand même pas trop mal comme bulletin de naissance. Generation X ! Un des groupes les plus sous-estimés du punk, malgré des albums qui vieillissent en conservant leur charme d'origine. Tiens, bien vieillir, c'est un peu ça le fond de ma pensée. Sigue Sigue Sputnik, comme Big Audio Dynamite, vieillit bien. Ils ne sont pas des caisses à avoir cette qualité, encore moins parmi ceux qui ont misé sur la modernité, chose, on le sait, qui lasse aussi vite qu'elle a pu surprendre.
L'apanage le plus communicatif de Sigue Sigue Sputnik fut l'enthousiasme. Dans une Angleterre livrée à la dépression gothique, voila qui faisait un bien fou. Les gars cumulaient les moues d'Elvis Presley, posaient les riffs minimalistes de Marc Bolan sur la rythmique hypnotique de Suicide, maquillaient l'ensemble à coups de samples puisés dans le répertoire Deutsch Grammophon et envoyaient le tout dans un hyper espace de manga porno. Tony James, Prince, Mick Jones, j'en reviens toujours là sitôt qu'années 80 riment avec réussite artistique, ont pigé le topo, plutôt que d'ignorer les technologies, soumettons-les, plutôt que de s'apitoyer sur le désastre, réveillons les méninges.
Le 20eme siècle a écrasé les peuples par la guerre d'abord, par l'argent ensuite, Sigue Sigue Sputnik est une satire de ce constat, des missiles passent au dessus des piscines de Beverly Hills pour s'écraser sur les ghettos. Le groupe fera un triomphe au Brésil. Encore un point commun avec Big Audio Dynamite, Rio rocks! et Sambadrome, comprenne qui voudra. Autres similitudes, le goût pour les maxi singles, les remix extended qui rendent maboules, les reprises inclassables (I could never take the place of your man de Prince, Always on my mind de Presley, toutes deux impeccablement réussies), les formations mutantes, l'utilisation du web comme mode de distribution et les comebacks improbables.
Flaunt It est une sorte de classique à l'échelle de 1984, une curiosité qui entre une pub pour L'Oréal, une autre pour NRJ, donne à entendre une musique hybride aux modulations évolutives. Produit par Giorgio Moroder, le disque dévarie une formule établie par Eddie Cochran et Buddy Holly, sans rien en renier. A l'image du monde qu'il annonce, le notre, avec ses écrans géants convulsifs, Flaunt it overdose consciemment l'auditeur, exige de lui une attention permanente pour mieux lui laver le cerveau comme le font les médias livrés aux publicitaires, les jeux vidéos obsédants. Sigue Sigue Sputnik est un concept parfaitement exécuté par une horde de gremlins ricanants.
Dress For Excess, leur second album est celui qu'il vous faut pour piger le génie de la chose. Un make-up technologique raisonnablement dosé, co-produit par Tony James et Neal X le disque délaisse quelque peu l'oppressive agressivité de son prédécesseur et tape au cœur de la cible. En offrant une plus large place à la guitare de Neal X, en soignant des mélodies pas si mal branlées, en samplant Who et Led Zeppelin plus souvent que la Toccata de Bach, le groupe délivre un album qui aujourd'hui encore, et peut être aujourd'hui surtout, apporte une fraicheur salutaire. Un parfait reset pour tous ceux qui ont l'impression persistante d'avoir serré du bulbe.
Avec des têtes de gondoles comme Rio rocks!, Hey Jane Mansfield superstar, Supercrook blues, les sublimes Albinoni vs Stars Wars et Dancerama, Boom boom satellite, conclut par un Is this the future en forme de résurrection de Ziggy Stardust, en flirtant avec les mélodies caractéristiques des 50's pour mieux les détourner, Sigue Sigue Sputnik incarnent ce que les Beach Boys de Surfin' USA furent au Chuck Berry de Sweet little sixteen. Dress For Excess est le disque que les Cramps n'ont jamais eu l'audacieuse inconscience d'enregistrer. C'est dommage pour eux, mais rien n'indique qu'il faille l'ignorer plus longtemps.
Hugo Spanky