mercredi 22 mai 2024

eNTRe LeS DeNTs

 


Dans la foulée du papier précédent, j'ai traqué sur la toile tout ce qui pouvait assouvir ma soif de Blues. On trouve un paquet de concerts tardifs, tenues correctes exigées dans des clubs où touristes et gloires locales se partagent les tables. C'est extra pour des artistes qui échappent aux bouibouis à l'automne de leurs vies. Je ne sais pas si on peut dire qu'ils obtiennent ainsi le respect tellement ça ressemble à un numéro de cirque. 

Je suis aussi tombé sur les rescapés du Blues Boom anglais et autres texans nés du bon côté de la couleur de peau. Je vais faire vite, l'authenticité du Blues blanc je n'y crois pas. Johnny Winter, Stevie Ray Vaughan, Eric Clapton sont dignes d'interêt, leur virtuosité, leur feeling, leurs facultés d'assimilation les ont fait briller et je ne crache pas dessus. J'aime leurs albums, il m'arrive même de les écouter. Je n'attends pas d'eux qu'ils inventent quoique ce soit, juste qu'ils reproduisent à leur sauce un état d'esprit qu'ils ne font qu'effleurer. 

Il suffit des quelques minutes pré-générique du long métrage Le Blues Entre Les Dents pour piger ce qui leur manquera toujours. Et tant mieux pour eux. On ne s'attribue pas les souffrances de l'esclavage, l'humiliation des viols dont on est témoins silencieux sous peine de finir au bout d'une corde. Le Blues Entre Les Dents mélange film et documentaire, je dis bien film, pas fiction. La partie romancée du métrage tisse le contexte, au cas où la scène initiale captée parmi les pensionnaires d'un pénitencier n'aurait pas suffit à nous mettre au parfum. On suit donc un couple bringuebalant, l'homme traine sa misère en vivant aux crochets de sa mère comme le morpion de base, la femme s'ennuie ferme et occupe son temps libre en écoutant le Blues dans le bar du quartier. Et c'est là qu'on a du bol.


Sur des scènes sans lustre, grandes comme des timbres postes defilent au pinacle de leur forme Sonny Terry & Brownie Mc Ghee (le Toots Sweet d'Angel Heart), Roosevelt Sykes, Junior Wells, Bukka White, Buddy Guy. Et BB King aussi. Ça c'est pour les noms ronflants, ceux qui mènent la danse de bien redoutable façon. Faut voir (et entendre surtout) Buddy Guy qui prend son envol sur les ailes de Junior Wells. Ils sont quoi ? Quatre ou cinq gars emboités comme des Légo sur l'équivalent d'une table de jardin, pas besoin de superflu, ils commencent par faire chauffer l'harmonica, derrière ça se met en place par quelques licks et cris sauvages. Les gars viennent de choper le groove, ils ne vont plus le lacher. Le morceau se met à monter comme une chantilly, juste avant de vous éclater à la gueule en une bordée de notes furibardes. Junior Wells fait un pas en arrière (pas deux sinon il tombe de scène), Buddy Guy fait un pas de côté et c'est un Boeing qui vous transperce le crane pile entre les deux yeux. Faut voir ça une fois dans sa vie. Après quoi, on relativise avant de parler d'efficacité pour le moindre Angus Young qui passe.



Tout ça c'est bien joli, pourtant l'essentiel est ailleurs. L'acmé du film ce sont les anonymes, les anciens dont on voit bien que l'entourage se demande jusqu'à quand papi, tonton ou maman va faire son numéro. Dans un salon exigu, dans une cuisine basse de plafond, dans un coin de bistrot entre billard et percolateur, démonstration est faite de ce qui ne s'apprend pas. Le Blues prend corps au fil des mots, les notes égrainées à coups d'ongles, de pulpes et de coudes font rougir les mamies, mouiller les gamines. Le Blues est un langage, cru, prophète, roublard. Tout ce qui vient l'enjoliver le dénature. 

Le Blues Entre Les Dents de 1972, production française, réalisateur grec, des protagonistes qui de l'Afrique à l'Amérique ne sont chez eux nulle part. Faites leur une place dans votre lucarne, le lien est juste là. 

Hugo Spanky

Le Blues Entre Les Dents

Warning Zone

jeudi 9 mai 2024

RuSH HoUR



Marre d'attendre le nouveau messie, les anciens me feront l'affaire. C'est armé de cette résolution que je m'en suis allé, tel Ulysse, naviguer vers des rivages depuis trop longtemps ignorés. J'ai alpagué le Blues ! 

Halte aux fous ! Oubliez de suite vos espoirs de lire ici une communion avec les mijorés. BB King était tout ce qu'on voudra et nombre de blanc-becs vous le serviront en référence. Ce n'est que parce qu'il a eu la malice de les flatter. En ce qui me concerne, il a les défauts de Ray Charles (ce qui ma foi vaut bien des qualités), ce sont des passeurs. Plus important pour conquérir le public que pour la musique. L'un et l'autre sont gorgés de talent, et je peux comprendre que les excessifs parlent de génie concernant Ray Charles sur Atlantic. BB King a même enregistré de bons disques, alors qu'il portait encore des shorts sur scène. Ils furent aussi le vers dans le fruit. 


Par contre, je peux faire l'éloge de John Lee Hooker. Mais qui ne l'a pas déjà fait ? Je peux tout aussi bien faire l'apologie de Howlin' Wolf et Muddy Waters. Chopez-vous les volumes qui leur sont consacrés dans la série jamais surpassée des Chicago Golden Years de Chess Records. Des double albums garnis jusqu'à la gueule de blues inusables. Que dis-je, de blues historiques ! Et au delà.


Tant qu'à brandir d'emblée la botte secrète, faites vous du bien en ratissant dans la même séries les volumes mettant en exergue Sonny Boy Williamson III et Little Walter. Vous m'en direz des nouvelles. Les amateurs de Blues & Rhythm peuvent aussi se purifier le conduit en se penchant sur Little Milton. Pas une seule baisse de régime sur aucun de ceux là. Des tranches d'Histoire, croyez moi.






Et puis il y a ceux qui m'ont fait prendre le clavier en ce jeudi d'Ascension, d'embouteillage au Perthus, d'outrances gastroéconomiques, d'éthylisme immodéré. Rien de tout celà ne me concerne. J'ai mangé des endives, de la brandande de morue et arrosé l'ensemble de vinaigre et d'huile d'olives. Otis Rush suffit à mon plaisir et JB Lenoir en convient. De l'un comme de l'autre nul ne s'est donné la peine de conter le destin. A moins que ce ne soit inutile, tant il se conjugue avec celui que le 20eme siècle a infligé à leurs semblables. Nés noirs au Mississippi, morts à Chicago. Et basta, pierre tombale, rideau. Qui en a à foutre du Blues en nos temps spotifyisés, clic clac, dacodak ? J'en prédis le retour, pourtant. Le Blues d'Otis Rush sur Cobra Records, de JB Lenoir sur Chess. Le premier, pillé sans crédit par des anglais. Entre parenthèse, une question, pourquoi n'y a-t-il jamais eu de bluesman noir et anglais ? Fermer la parenthèse. Le second, trop impliqué socialement pour être soigné, lorsqu'un accident de la route le tue à petit feu. Chanter Vietnam Blues, Eisenhower Blues, I'm in Korea, Korea Blues, Alabama Blues, Move This Rope, Shot on James Meredith, Born dead se paye cash dans l'Amérique d'Easy Rider. 1967, je sors de l'oeuf, JB Lenoir décroche l'éternité et attend patiemment l'heure de venir me hanter.



Ecoutez la guitare d'Otis Rush qui racle et renâcle, le falsetto de JB Lenoir qui commente et dézingue. Il en fallait une grosse paire pour ramener sa gueule sur des sujets aussi bouillants que la conscription des noirs, envoyés au front sur les rives du Mékong, manière de leur fait passer l'envie d'avoir des droits civiques. Faut garder ça à l'esprit. Deux intransigeants, dont la flamme vacille mais tient bon. Et s'abandonner à la vibration, aussi. Laisser le feeling parcourir les sens. Mettre en éveil. Important ça, l'éveil.

Hugo Spanky

Blues flux mp3 (Drop)

Blues flux mp3 (Mega)

JB Lenoir & Fred Below TV 1965