Fallait être gonflé en 1981, alors que le punk épuisé se convertissait en new wave épuisante, pour rappliquer en se réclamant du rock progressif. En plein revival twist, voila que de parfaits inconnus placent un titre de 17mns, le sublime Grendel, en face B de leur premier E.P. Sur la face A l'efficace market square heroes s'ouvre sur un power chord et révèle, jusque dans la voix, l'influence de Pete Townshend, le tout incidemment dégraissé par une production conforme à l'esprit do it yourself. Tout progressif qu'il soit le groupe injecte au genre une énergie non feinte, l'effet est immédiat, les troupes patchées se pressent au pied de la scène et Marillion passe sans transition du Marquee à Reading sans avoir le moindre album à son actif.
Tandis que la hype déguste sa pop chez les garçons coiffeurs, voila que des allumés fringués comme l'as de pique, menés par un écossais répondant au sobriquet de Fish -une baraque de 2 mètres pour un bon quintal, gangréné par une calvitie et maquillé comme une voiture volée- ouvrent leurs concerts par la B.O d'Orange Mécanique et enchainent sans plus de politesse sur des morceaux de bravoure multipliant breaks et sorties de piste pour habiller des textes si corrosifs qu'ils font passer ceux de The Wall pour des disgressions sur le mal être adolescent en milieu scolaire. En 1983, après deux ans de rodage consacrés aux concerts, leur premier album, Script For A Jester's Tear, fracasse les conventions et surprend par la profusion d'idées en germe dans ses compositions alambiquées, autant que par la puissance qu'il dégage. Dans le genre coup de boule à sec, à froid, ce disque se pose là. De la chanson qui lui donne son nom à Forgotten sons qui le conclut, aucun instant est moins que captivant. On est bringuebalé comme à la foire, tantôt vicieux, tantôt frontal, jamais bienveillant. Le chanteur fascine par son implication, les claviers donnent le tournis, la rythmique matraque et à travers le jeu de Steve Rothery les hardos se découvrent un nouveau guitar-hero.
En fait l'album est tellement bon qu'on se demande comment ils vont pouvoir faire mieux, Fugazi qui sort en 1984 apporte la réponse, ils ne feront pas mieux. Plus tard ils feront différent, mais pour ce coup ci c'est un cran en dessous. Pas de quoi s'affoler non plus, le disque compte son lot de franches réussites, Punch and Judy, Jigsaw, Emerald lies et Incubus. C'est finalement sur scène que la partie se joue, de façon improbable pour un groupe au répertoire aussi complexe, Marillion excelle en live. Trois enregistrements ont été publié pour en témoigner, Recital Of The Script, en cd et dvd, qui couvre magistralement la tournée accompagnant la sortie du premier album, le surpuissant Real To Reel qui illustre la tournée Fugazi puis The Thieving Magpie, double cd qui compile des titres piochés dans divers concerts entre 1984 et 1987. Hypnotisant frontman, Fish accapare le public, vit ses textes, chante sans cesse, car là aussi l'originalité est de mise, si les compositions tutoient pour la plupart les 10mns la part laissée aux soli des instrumentistes reste concise. La musique de Marillion est faite de mouvements, de climats et climax, de feeling, jamais elle ne sombre dans la complaisance. En ce sens, leur troisième album, Misplaced Childhood qui parait en 1985 sera la parfaite illustration de leur singulier talent, ainsi que le point culminant de leur pouvoir de séduction. Le disque, qui leur apportera une renommée internationale grâce à une série d'imparables singles Kayleigh, lavender, heart of Lothian, s'impose comme l'un des plus ambitieux d'une époque où la production musicale peine à s'émanciper du carcan imposé par MTV. Présenté comme un bloc conceptuel autour de la perte de l'innocence, tous les titres s'enchainent sans heurt avec une impeccable maitrise. Sobrement produit par Chris Kimsey, Misplaced Childhood a conservé toute l'intemporalité de ses qualités, ce qui n'est pas si commun pour un enregistrement réalisé en un temps où les gimmicks ont, ailleurs, trop souvent pris le pas sur l'inspiration.