Non, Mickey Rourke n'a pas toujours été cette chose boudinée dans sa chemise que l'on aperçoit parfois, au printemps, du côté de La Croisette. Il en a même incarné l'exact inverse, l'élégance.
Je sais que cela peut paraître difficile à croire pour les plus jeunes qui n'ont vu notre new-yorkais (d'origine fortement Irlandaise) uniquement cachetonner dans des nanards de 3ème zone (dont un avec cet autre grand trépané du bulbe, l'ultra cocaïné Jean-Claude Van Damme) mais c'est ainsi.
De sa révélation dans le superbe film de Francis Ford Coppola, Rumble Fish (bêtement rebaptisé Rusty James de par chez nous) à son incarnation de boxeur romantique dans Homeboy, quel parcours parfait que celui de Mickey Rourke. Rien que les noms des réalisateurs avec lesquels il collabora donne le tournis, outre Coppola (à deux reprises), on cause de Barbet Schroeder, de Michael Cimino, Alan Parker ou Spielberg.
Mais Mickey Rourke se prend au jeu, oublie que tout cela n'est jamais que du folklore et reste, au final, le plus beau gâchis d'Hollywood depuis Montgomery Clift. On peut dire que l'un comme l'autre se sont sacrément trompés d'époque. Le destin est cocasse, là où Monty Clift était en avance sur son temps avec ses rôles d'homme brisé, de beautiful loser, à un moment où les acteurs américains se devaient d'incarner l'archétype de l'US Male taillé sur le modèle déposé John Wayne, Mickey Rourke, lui, sera carrément en retard d'un demi-siècle. Rien de moins.
Le seul acteur apparut depuis les 60's qui aurait pu faire partie du Rat Pack.
Des acteurs de légende, Rourke à la justesse, le (right) profil, l'art de se placer dans le cadre -juste là où meurt l'éclairage- mais aussi l'indispensable fêlure du mauvais garçon. Mickey Rourke est en adéquation avec son personnage et même lorsqu'il cabotine jusqu'à plus soif, comme dans Le Pape de Greenwich Village en 1984, jamais il sombre dans le ridicule.
Après Rumble Fish, magnifique évocation du grand frère sublimé, filmée en noir et blanc stylisé, aux côtés de Matt Dillon, Nicolas Cage et Dennis Hopper puis Le Pape de Greenwich Village (avec Eric Roberts) autre éclatante réussite, Mickey Rourke va définitivement marquer les esprits dans L'année du Dragon de Michael Cimino en 1985.
Michael Cimino, un alien, un gars qui, comme Clint Eastwood avant lui, va secouer les règles inaltérables de l'usine à rêves et sentir le souffle du boulet en retour. Après l'échec commercial des Portes du Paradis, Cimino envoie un skud avec L'Année du Dragon. Un film osant l'impensable, un semi rital cause de la mafia...sauf que, la nuance est énorme, Cimino ne s'attaque pas sagement aux us et coutumes de la camora, mais fout carrément les pieds dans le plat, le héros de son chef d'œuvre (un pollak!) s'en prend aux triades, la mafia chinoise. Au fou ! La presse hippie d'alors, s'enflamme, tout est clair: Cimino est un réac ! Le pire depuis John Wayne et Charlton Heston. Un raciste ! Plus encore que Dirty Harry, le personnage interprété par Mickey Rourke dérange par ses positions nettes et tranchées ainsi que par des méthodes d'investigations venues d'une autre époque. Le folklore chinois prend des allures de sombre carnaval, derrière son décor de carte postale Chinatown se révèle nid de crabes.
La sortie de 9 semaines et demie va donner du fil à retordre à ses détracteurs. Un film qui par lui même ne vaut pas grand chose, mais dont le succès planétaire va placer le turbulent acteur tout en haut du box office. Évidemment, Kim Basinger y est pour beaucoup.
Pour Angel Heart, par contre, Rourke ne doit rien à personne. Le film d'Alan Parker, touché par la grâce à cette époque là en alignant Midnight express, The Wall, Birdy puis Mississippi Burning, est un magnifique hommage aux films noirs. Un pur polar qui, de New-York à la Nouvelle-Orléans, nous entraine dans une histoire superbement menée. Mickey Rourke est de toutes les scènes et ne quitte quasiment pas l'écran. Même Robert De Niro est bon dans son interprétation quasiment sobre, pour une fois, d'un personnage qui, pourtant, permettait toutes les exubérances. Angel Heart est un de mes films préférés, vraiment, et je souhaite à quiconque de l'avoir vu ou de le voir très vite.
Le scandale viendra des states. Les puritains ne peuvent supporter de voir Lisa Bonet, la charmante Denise du Cosby Show, âgée de 17 ans, dans un rôle de prêtresse vaudou ultra sensuelle, sanguinolente et incestueuse. Une demande est formulée afin que le film soit classé X ! Alan Parker ne s'en sort qu'en charcutant son œuvre. Son acteur vedette redémarre aussi sec dans la provocation bienvenue, il taille dans le lard et tranche dans le vif sans faire de quartier. Le puritanisme hypocrite de son pays le débecte.
Comme si cela ne suffisait pas, il en rajoute une couche en annonçant sa participation au tournage de L'Irlandais ! Un film politique ! La cause de l'IRA vu autrement que selon le point de vue de Thatcher !
On va voir ce qu'on va voir ! Il s'implique comme jamais dans son rôle de terroriste en quête de rédemption et exige que le film aborde le sujet par le biais des motivations et des croyances de son personnage plus que par des notions de morale sociale. Il veut que la lutte des Irlandais soit montrée comme une cause juste, face à la barbarie de l'impérialisme anglais.
Il n'en sera rien, le film est une série B qui se garde bien de créer la polémique. Mickey Rourke ulcéré par le résultat final, démonte la promo. Les producteurs sont des lâches, le réalisateur un con soumis aux dictâtes de sa hiérarchie. L'acteur multiplie les déclarations fracassantes et continu de se griller avec une bonne partie de Hollywood, dont il invective l'immobilisme et la ringardise. Il prend pour preuve l'émergence de sa bête noire: Tom Cruise. Il lui en met plein la tronche à longueurs d'interviews, ridiculise Top Gun et consorts. Et finit, entre deux bitures avec Tiozzo, Steve Jones, Joe Strummer ou encore Eric Cantona par lâcher une bombe en déclarant avoir reversé son cachet à l'IRA !
C'en est trop ! Thatcher, comme elle le fera envers Joe Strummer lorsque celui ci déclarera soutenir les hooligans, exige que les comptes de l'acteur soit bloqués, qu'il soit interdit de territoire anglais et je ne sais quoi encore.
Rourke ricane, il est déjà au delà de tout...
Enfin, presque. Il lui reste encore à tourner Barfly avec Faye Dunaway, puis Homeboy avec Christopher Walken et son pote Willy DeVille, avant de clore le plus beau chapitre de sa carrière.
Barfly de Barbet Schroeder est basé sur un scénario de Charles Bukowski. Le film est magnifiquement éclairé et réalisé. Mickey Rourke commence par se flinguer deux dents pour coller un peu plus encore au personnage et incarne un Bukowski superbe de justesse. Faye Dunaway n'est pas en reste. Barfly est surement l'un des tous meilleurs films de chacun de ses participants.
Le Buk' tirera de l'expérience l'hilarant Hollywood, bouquin consacré au tournage du film, aux galères inimaginables enduré par Schroeder pour trouver le financement (il menace son monde de s'amputer d'un bras si les producteurs n'envoient pas la monnaie) puis aux retombées médiatiques.
Le tout vu de l'œil de Bukowski, ça vaut son pesant de cacahouètes.
Homeboy, c'est une autre histoire. Celle de ce boxeur en fin de parcours, Mickey Rourke la porte en lui depuis le début. Cette terminale balade du côté de la lose la plus totale reste la meilleure définition de ce qu'est Rourke au fond de lui. Un anachronisme. Homeboy est un Blues. Son boxeur est aussi perdu dans le monde urbain des 80's déclinantes que l'acteur l'est dans sa vie et son métier. Les codes ont changé, le respect du talent n'est plus de mise. Le film est un bide. Rideau.
Dans la presse, Mickey Rourke s'épanche sur les origines de son mal-être, un père absent, un beau-père violent, une mère victime et lui qui se cherche au milieu de ce fatras, armé de sa belle et grande gueule et d'une queue en état de marche. Et qu'est ce qu'une belle et grande gueule peut apporter à un homme ? Si ce n'est des filles faciles, des « amis » ne demandant qu'à être épatés, manière de becter à la cour sans trop se coller mauvaise conscience. Faites entrer Rocancourt ! Et la grande gueule y trouve son compte, s'écoute raconter encore et toujours les sempiternelles mêmes balivernes, se noie dans des provocations ne servant plus qu'à justifier l'auto destruction, puisque le monde ne comprend rien, puisqu'il est seul.
Dernier des sauvages dans un univers tellement aseptisé que l'ennui finit par ressembler à la seule échappatoire possible.
Alors, à l'instar d'un Mitchum en son temps, Rourke déclare préférer tourner un nanard en trois semaines plutôt que de côtoyer des cons pendant des mois pour figurer au générique d'un pseudo chef d'œuvre.
Il refuse, après avoir été adoubé par le Killer en personne, le rôle de Jerry Lee Lewis dans Great Balls of Fire. La perspective grand-public du film lui fait pré-sentir, avec justesse, une version salement édulcorée de la vie du Rocker. Des années plus tard, il enverra au diable Quentin Tarantino lorsque celui ci lui proposera d'interpréter le personnage du boxeur dans Pulp Fiction, un rôle qui redonnera finalement une crédibilité toute neuve à Bruce Willis.
Ce ne sera que l'exemple le plus frappant d'une série de mauvais choix.
Avant d'en arriver là, submergé par l'alcool et la dope, le corps fatigué, l'esprit ravagé, Mickey Rourke s'offrira un enterrement de première classe, geste suicidaire ultime pour un acteur, il va massacrer son visage, le mettre en charpie. Une première fois avec la boxe, puis une seconde avec la chirurgie. Du New-Jersey au Japon, à 35 balais, le bonhomme va combattre sur un ring. Pour de vrai. Même pas des combats d'exhibitions manière de faire son dur auprès des starlettes, non. Il se présente face à des besogneux de quartier, des teignes d'irlandais, des cramoisis du ciboulot, des cramés à la bibine qui voient là l'occaz de leur vie pour grappiller un peu de la fortune de la star déchue, quitte à se prendre une branlée et finir le cul par terre dans leur merde. Ce sera le cas, Rourke remportera chaque combat, sans se rendre compte qu'inexorablement les victoires d'un soir nourrissent les défaites de demain. Botox, pommettes reconstituées, nez redessiné. Avant de pouvoir espérer repasser devant une caméra, notre homme fait le bonheur des chirurgiens milliardaires d'un Los Angeles fuit par les anges depuis fort longtemps déjà.
De cette longue descente aux enfers, Mickey Rourke ne reviendra jamais, même si Sin City puis The Wrestler ont voulu nous le faire croire.
Reste le souvenir d'un dernier instant sauvage avant que Hollywood ne soit plus que fournisseur d'effets spéciaux.
HUGO SPANKY