Que sait-on en France de Glenn Danzig ? Sinon de lointaines accusations de nazisme comme la presse rock aime à désigner les américains sitôt qu'ils sont un peu trop body-buildés et sulfureux. La liste est longue et plus ridicule à chaque évocation. Que devrait-on savoir de plus ? Ce que les profanateurs savent déjà, qu'il a gravé avec les Misfits deux albums indispensables aux amateurs de punk mélodique qui ne se prend pas la tête en revendication politique, Static Age et 12 Hits from Hell. Deux disques plus raunchy que ceux des Ramones, dont ils sont les cousins banlieusards, New Jersey oblige. Deux disques gavés de ritournelles accrocheuses (Last caress, We are 138, Return of the fly, She, Bullet, Skulls, Where eagles dare...) qui vous collent à la peau sitôt entendues et font la supériorité du punk US sur son petit frère anglais qui, à trop rejeter les Beatles, en a perdu le sens de la séduction.
La suite fut plus anecdotique vu d'ici, deux autres disques avec les Misfits, Walk Among Us et Earth AD, registre virée alcoolisée entre copains virils et refrains bourrins scandés à tue-tête. Bof. Puis, après l'hésitante parenthèse Samhain, Danzig le groupe qui cache la carrière solo, du Heavy Blues ravageur calibré par Rick Rubin pour accompagner les retransmissions télé du championnat régional de foot américain, plus que pour MTV. La formule se nourrit de mille infimes variations au fil de trois premiers disques épatants dont la qualité va crescendo. L'aventure se poursuivra deux décennies durant avec des réussites plus diverses une fois consommé le divorce avec Rick Rubin, après un quatrième album loin d'être déshonorant mais marqué par un manque de renouvellement.
Et nous voila en 2020, étrange année où chacun se trimballe un air d'incurable dans des rues désertifiées, où dans chaque regard croisé pèse une méfiance distante. Glenn Danzig, la soixantaine bien cognée, vit dans cette atmosphère de paranoïa contaminante depuis toujours, son univers, peuplé de teenagers from Mars, de ghoules, de sexe nécrophile, s'accorde si bien avec l'instant qu'il ne pouvait qu'être de la partie. Et tant qu'à y être que ce soit en incarnant l'ultime zombie; Elvis Presley en personne.
Ceux qui comme moi pensent que leur reprise de Lonesome town est le sommet de la carrière des Cramps seront aux anges (déchus, bien entendu) tout au long des 14 reprises au menu de Danzig sings Elvis. Un répertoire inévitablement impeccable qui pioche aux origines (Baby let's play house, First in line...) à l'éternel (Is it so strange, Young and beautiful...) au retour de l'armée (Girl of my best friend, Like a baby, Fever...), à Hollywood (Pocket full of rainbow), aux seventies (Always on my mind, Loving arms) et même chez le voisin (Lonely blue boy) avec une approche qui transforme l'ensemble en une unité minimaliste où la sobriété n'est bousculée que par la maladresse.
Rythme caverneux, guitare, voix et réverbe. La première écoute compte pour du beurre, faut le temps de s'acclimater à la voix de Glenn Danzig, on est bien d'accord que personne ne s'attend à ce qu'il y ait du Chris Isaak en lui, et ensuite ça déroule. Quelques fois en mordant le bas côté (Like a baby), d'autres en se vautrant carrément dans le décor (Love me) et pour une large majorité en proposant de franches réussites (Is it so strange, One night, Lonely blue boy, Girl of my best friend, First in line, Young and beautiful, Loving arms, Baby let's play house..).
Le disque défile en paysage flou, patiné comme les souvenirs que l'oubli parsème de moisi. Et c'est très bien comme ça.
Hugo Spanky