Lorsqu'il évoque celui qui, le premier, fit battre son pouls à la cadence du Rock'n'Roll, Harry Max ne fait pas les choses à moitié. Faut dire qu'avec Bruce Springsteen, les demi-mesure n'ont pas lieu d'être.
Souvent considéré à tort comme un bas du front par le public européen, Bruce Springsteen vaut largement mieux que cette réputation. Cela fait désormais 27 années que je l’écoute, je pense donc savoir de quoi je parle, non mais !
Découvert à la télévision chez… Michel Drucker dans Champs Élysées (!!), en 1984, lors de la promotion de Born In The USA, l’album de la consécration mondiale (et également, hélas, du fâcheux malentendu à son sujet), j’ai tout de suite été emballé par la simplicité du bonhomme. À tel point que j’avais affiché dans ma chambre le fameux poster où il pose en lévitation, guitare en bandoulière, devant la bannière étoilée américaine. Poster trouvé dans Pif Gaeget (!!!) ; c’est dire l’ampleur qu’avait pris sa carrière à l’époque. Ne tenant plus, je me lançais alors dans l’achat, en K7 audio, de l’album tant vanté.
Je ne fus pas déçu et, de suite, ce mélange de rocks qui dépotent et de mid-tempo, me plu tellement que je ne cessais de jouer et de rejouer, sur mon radiocassette cheap de chez cheap, la K7 providentielle.
Ne pouvant en rester là, je profitais des achats hebdomadaires de mes parents au Carrefour du coin, pour m’approvisionner en autres albums du Bruce (les Figolus et les Pépitos,rien à battre !). Et, là, je tombais sur le Saint Graal, trois k7 audio à prix cassés proposant les disques Born To Run, Darkness In The Edge Of Town et The River. Autant dire que le choc fut rude et que pour assimiler la richesse d’une telle production, je dus passer des heures et des heures l’oreille collée à mon radiocassette guère habitué à tant de sollicitations de ma part.
J’avais à peine 10 ans et, alors qu’auparavant je m’en foutais royalement, je venais de découvrir le monde musical. J’étais accro et désormais le virus de la musique s’était emparé de moi. Et quand on réalise que tout cela je le dois à Michel Drucker et Pif Gadget, c’est à frémir, non ?
Donc Bruce Springsteen, une caricature d’américain musculeux, ultra patriotique, ne sachant que beugler des rocks bourrins selon certains. Sauf que non, les gars, vous avez tout faux, bandes de crétins !
Avant toute chose ce qui nous touche chez lui, c’est sa voix. Certes puissante dans les morceaux trépidants, il sait également la moduler pour transmettre une large gamme d’émotions. Pour en être convaincu il suffit d’écouter trois morceaux emblématiques de sa maestria de conteur : Racing in the street, Stolen car et Jungleland. Se jouer ces titres épiques c’est comme se retrouver avec les protagonistes de ces chansons, au cœur de la nuit, en train de déambuler dans un milieu urbain désolé alors que toute la misère du monde s’abat sur nous. Car, soyons clair, Springsteen lorsqu’ il interprète des ballades, nous prend dans ses filets : il nous plonge au cœur de l’action et la mélancolie s’empare de nous. Juste avec l’intonation de sa voix, il fait passer tout un monde et, même si on entrave rien à la langue Anglaise (ce qui serait dommage vu la qualité de ses textes), des images traversent notre esprit. Bref, on touche là au sublime, tout simplement.
Puis vient la guitare. Car, on ne le soulignera jamais assez, Bruce est un Putain de guitariste ! Il fait sonner sa fidèle Telecaster comme personne d’autre. Sur des morceaux tels que notamment, Adam raised a Cain (dont le solo strident réveillerait tous les macchabées d’un cimetière), Candy’s room (toute en montée de tension), Held up without a gun (une gifle dans les gencives, du punk carrément, eh oui !), Spare Parts (du redneck brutal) et – sur le live Mtv – Light of day (d’une violence inouïe ; pour vous percer les tympans, il n’y a pas mieux !), elle fait montre d’une sauvagerie sans égale. Sa sonorité est si brute de décoffrage que l’on jurerait que ses cordes sont attaquées par une rouille séculaire et qu’il triture son manche tel un possédé pour en faire ressurgir l’Apocalypse sur Terre. Sachant également se montrer plus nuancé, avec des compositions comme Janey don’t you lose heart, Linda let me be the one ou bien encore la plus récente You own worst enemy, il nous prodigue des caresses pour nos esgourdes ravies.
Mais son savoir-faire ne s’arrête pas là et son expertise pour le genre électroacoustique se révèle à travers des splendeurs telles que The River (une tranche de vie en chanson), Independance Day et Factory (deux mid-tempo saisissants) , Blinded by the light (bastringue en diable) et, avec une touche bucoliquefort bienvenue, 4th of july, Asbury Park (Sandy). Totalement intemporelles ces chansons sont des joyaux que l’on peut écouter toute une vie durant sans lassitude aucune. D’ailleurs, en 2005, il se consacre uniquement à l’électroacoustique tout le long de l’album Devils & Dust et nous délivre un autre chapelet de compositions remarquables qui, tout en suintant l’affliction et la désolation de toutes leurs notes, sont d’une sidérante beauté (pour vous en faire une juste mesure, écouter le morceau éponyme et chialer comme une fillette).
On l’aura compris notre homme apprécie les moments feutrés et, en amoureux de la folk music, il s’est essayé à deux reprises à cette catégorie avec Nebraska et The Ghost Of Tom Joad : deux opus austères et à l’atmosphère désespérée.
Deux œuvres qui traitent de la détresse sociale qui terrasse les prolétaires. Deux coups de poings à la face d’un gouvernement Américain qui délaisse – voir dépouille sans vergogne - son peuple aux abois. Fort de sa passion pour le folk, il n’a d’ailleurs pas hésité à s’aventurer à Dublin pour enflammer la foule lors d’un live absolument prodigieux durant lequel il a interprété des classiques de Pete Seeger et a revisité ses propres morceaux avec des arrangements somptueux.
Et pour qu’un Américain réussisse à se mettre dans la poche le public Dublinois, cela prouve la valeur du bonhomme qu’on se le dise !
Ce n’est donc pas pour rien que son célèbre surnom est Le Boss. Avec son groupe The E.Street Band, il sillonne les scènes du monde entier avec un aplomb jamais pris en défaut. Lors de concerts marathon (souvent plus de trois heures de prestation ; ça nous change des fiotes qui tiennent tout juste une heure et quart !), il remanie son répertoire de fond en comble pour apporter une nouvelle fraîcheur à ses morceaux. Ses versions acoustiques de Thunder Road ou de Born in the USA (qui sous cette forme nous fait bien comprendre que ce n’est en rien une ode à l’Amérique mais bel et bien une charge virulente contre le gouvernement qui a lâchement abandonné ses soldats revenants brisés du Vietnam) nous procurent des frissons incontrôlables. Et quand il s’agit de faire péter les watts ça envoie également sévèrement : Backstreets, Lost in the flood, Atlantic City, ou Souls of the departed sont autant de brûlots qui déchirent les cieux avec leurs cavalcades électriques barbares.
Car, le rock, s’est bien entendu son affaire. Avec The ties that bind, Jackson Cage, No surrender, Downbound train, Brothers under the bridges, il fait preuve d’une efficacité aussi primaire que jouissive. Près de quarante ans qu’il assène la parole rock’n rollienne donc c’est dire s’il si connaît, le bougre ! Et puis de toute façon, LE SEUL artiste qui réussit à humaniser les concerts de stade, ne chercher plus, c’est lui. Plaisantant avec son groupe et le public, se lançant, par moments dans des discours, tour à tour hilarant ou touchant, on fait fi du gigantisme intimidant du stade qui nous entoure et on a le sentiment que le concert qu’il donne, il l’adresse exclusivement à notre bonne poire, oui monsieur parfaitement ! En fait, c’est comme si on retrouvait un vieil ami et que l’on s’embarquait avec lui dans une nouba de tout les diables durant une nuit entière.
Il convient de souligner qu’il est aidé dans cette tâche par le plus fantastique gang de musiciens que l’on puisse entendre sur scène : The E.Street Band donc. Un conglomérat de pointures qui répand sans retenue aucune du talent à foison. Nils Lofgren et Little Steven sont les dévoués bretteurs guitaristes qui rivalisent d’échanges fulgurants avec leur Patron. Roy Bittan et Danny Federici, qui s’occupent avec dextérité de tous les types de claviers, renforcent la charge émotionnelle des morceaux.
Garry Tallent, bassiste de son état, et Max Weinberg, cogneur de fûts en chef, assurent pour leur part l’ossature rythmique et ne perdent jamais la mesure malgré les fréquents changements de tonalité. Et, pour parachever le tout, Clarence Clemons booste encore plus cet ensemble déjà dantesque avec son saxophone fou. Pour faire court, ces types là feraient passer les quatre cavaliers de l’Apocalypse pour d’inoffensifs amateurs de limonade adepte de surcroît du jeu de la marelle !
Mais l’œuvre du Boss, c’est également un travail sur le beat. Que serait la tuerie Working on the highway sans sa batterie métronomique (et sa guitare entraînante, je vous l’accorde) ? Pas grand-chose. Quant à Born in the USA, sans son beat martial, il est certain qu’il n’aurait pas connu le même succès. Des morceaux sont mêmes basés sur une boucle rythmique. C’est le cas du tube poignant Streets Of Philadephia et d’un titre méconnu, Missing qui, avec son mélange de batterie robotique et de guitare fantomatique et menaçante, s’avère être une véritable merveille.
Mais, soyons honnête, cet instrument lui a fait commettreaussi des bouses infâmes (son plus mauvais album, Human touch, est tristement présent pour en témoigner).
Face à sa carrière pléthorique il ne faut pas penser pour autant que Springsteen enregistre comme il respire. Bien au contraire. Notre homme est un perfectionniste si maladif que le côtoyer en studio vire rapidement au cauchemar pur et dur. Le pauvre Max Weinberg, notamment, se souviendra encore longtemps des séances studio pour l’album Darkness On The Edge Of Town pendant lesquelles Bruce lui fera répéter, des heures et des heures durant, une simple intro à la batterie parce qu’il jugeait que, non décidément, le son répercuté sur les peaux de tambours ne convient pas. Quant à Little Steven, il se fera sèchement remettre en place lorsqu’il essaiera d’apporter une idée à un Bruce, une fois de plus, en proie aux affres du doute. Son attitude de control freak prendra de telles proportions qu’après la tournée qui suivra l’enregistrement – plus qu’éprouvant, of course !- de Born In The USA, Little Steven quittera le groupe.
Devant subir le départ de son bras droit et une rupture amoureuse, Bruce refait surface avec Tunnel Of Love, un album sous estimé. Composé de titres en demi-teintes à l’orchestration volontiers minimaliste (Cautious man, Walk like a man, Valentine’s Day , All that heaven will allow, When you’re alone, Tougherthan the rest, Brillant Disguise ), cet opus ne respire certes pas la joie de vivre mais n’en demeure pas moins terrassant de délicatesse. Et puis des morceaux plus rythmés viennent l’égayer (Ain’t got you, Tunnel of love et le percutant Spare Parts).
Malheureusement ce disque sonnera le glas du E.Street Band qui, à l’issue du Tunnel of love express tour 1988, se dissoudra pour ne finalement renaître des ses cendresqu’une dizaine d’années plus tard !
Selon l’opinion établie, après la défection du E.Street Band, la carrière de Bruce aurait suivie une pente déclinante. Rien de plus faux. Certes, comme on l’a déjà évoqué, Human Touch ne vaut pas grand-chose mais, contrairement à ce que l’on voudrait nous faire gober, Lucky Town ne suit pas la même voie, loin de là. D’obédience country (mais rassurez-vous, ce n’est pas de la country pour jouvencelles mais de la country rock), ce disque, nous surprend par la proéminence de ses guitares (un heureux mélange d’électrique et d’acoustique). Jamais la Telecaster de Bruce n’a sonné aussi rageusement : elle ponctue de ses riffs bien tranchants et de ses solos dévastateurs des titres tels que Local Hero, Leap of faith, Living Proof et – surtout - Souls of the departed. D’autres morceaux, If I should fall behind et My beautiful reward, sont plus apaisés. Sur cet album, Bruce nous démontre non seulement l’étendue de ses ressources en jouant de tous les instruments mais qu’en plus son talent de compositeur demeure inchangé. D’ailleurs il nous le prouvera encore plus en reformant le E.Street Band en 1999.
Cette reformation sera célébrée tout d’abord par la publication du Live In New York City : un concert d’anthologie qui atteint des sommets d’émotions avec le titre American skin (41 shots), un pamphlet qui traite de la bavure policière dont a été victime Amadou Diallo en étant abattu par 41 cartouches ( !!!). Chanson qui vaudra à Bruce une volée de bois vert assénée par les sempiternels abrutis bouffis de haine raciale.
Suivra ensuite The Rising, un disque que Bruce a enregistré en réaction aux attentats du 11 septembre 2011. Bien qu’handicapé par une paire de morceaux indignes (notamment Worlds apart, de la world music à son pire niveau que même Peter Gabriel aurait refusé de chanter, c’est dire !) cet opus se tient et contient son lot de pépites : Nothing man (on jurerait un inédit de Tunnel Of Love), Mary’s place (à la sonorité délicieusement 70’s), The fuse (et sa boucle rythmique obsédante), et My city of ruins (d’une finesse époustouflante ; du nectar pour les oreilles, un pur bonheur quoi ! ).
Après une parenthèse électroacoustique fort réussie (Devils & Dust, We Shall Overcome et le Live In Dublin) et galvanisé par le retour triomphant du E.Street Band avec The Rising, Bruce poursuit sur la lancée et retrouve son mirifique gang avec le bien nommé Magic qui attaque les hostilités avec le single rentre dedans Radio nowhere. De retour à un rock sans fioritures (comme Last to die le révèle) le gang aligne des compositions qui peuvent figurer aisément parmi leurs plus belles (You own worst enemy, Gypsy biker et Girls in the summer clothes) et se conclut avec une splendeur de plus, Devil’s arcade.
Pour un type qui soit disant à son inspiration en berne vous conviendrez que cela commence à faire beaucoup comme réussite ! D’autant plus que cela ne va pas aller en s’arrangeant puisque avec son dernier album en date, Working On A Dream, il va carrément nous couper le souffle d’entrée de jeu avec, le morceau d’ouverture, Outlaw Pete. On entre dans l’innovation avec ce titre fleuve (8 minutes au compteur !) au lyrisme exacerbé qui nous plonge dans une ambiance western. Toute en rupture de tons, cette chanson débute comme un murmure puis s’étoffe au fur et à mesure d’une riche ornementation d’instruments et voit son tempo s’accélérer crescendo pour finir par retomber à mi parcours (avec cloche et harmonica Moriconnien à la clef) et repartir de plus belle. Sa structure s’apparente en fait à une chevauchée : elle épouse le pas d’un cheval (trot ou galop). Immanquablement, lorsqu’on l’écoute, des images de westerns spaghetti se forment dans notre tête. Avec ce titre, Bruce, nous offre une véritable épopée musicale : un moment de grâce rarissime.
Bref, si vous n'avez pas encore compris la valeur du bonhomme, c'est à désespérer. La meilleure façon de s'en faire une juste idée je vous la donne illico, bande de rigolos.
Il est, minium, trois heures du matin vous terminez une soirée et vous vous apprêtez à prendre le volant pour regagner vos pénates ; le rues sont désertiques et la nuit d’un noir abyssal.
C’est alors que vous enclenchez votre autoradio et lui faites jouer Jungleland. Un ensemble de cordes vous cueille comme une fleur tandis qu’un piano se fait délicatement entendre et vous hérisse les poils. Un orgue déboule et apporte une touche lugubre. Puis, La Voix de Bruce vous plonge dans un récit où se mêle des filles aux pieds nus buvant de la bière chaude, qui s’affichent aux bras des voyous, tandis que les flics vont leur chercher des noises. Soudain, la Telecaster manifeste toute sa hargne et invective le E.Street Band à se mettre en branle. Il ne se fait pas prier et fout un tapage de tous les diables. Brusquement, un solo furibard de guitare déchire la nuit et, ensuite, surgit un saxophone qui ferait frissonner le plus costaud des hommes. Tout s’achève dans une inquiétante retenue avec uniquement un piano bouleversant et les lamentations d’un Bruce qui s’époumone jusqu’à son dernier souffle. Vous venez d’encaisser un uppercut, un de ces moments qui vous marque durablement dans une vie. Voilà toute la force de Bruce Springsteen : vous secouer comme jamais vous ne l’avez été auparavant par un morceau de musique dans votre putain de vie. Et, dès lors, il n’y a plus rien à rajouter.
HARRY MAX
bien
RépondreSupprimerRendez-vous le 19 Juin Harry Max ;))))
RépondreSupprimerhttp://lecabinetdesrugosites.blogspot.com/
Bravo et merci pour ton article, tellement vrai au sujet du "Boss"! Je suis fan de bruce depuis maintenant 28 ans,il m'accompagne tout au long de ma vie et même quand je m'éloigne un peu, je reviens toujours aux sources.Bruce est ma plus belle addiction,je crois.J'aime ta façon d'écrire tres spontanée,sincère,pointue avec beaucoup d'humour aussi!Ce que tu dis du boss, je le ressens aussi.J'ai l'impression que j'aurai pu ecrire cet article et tu as reussi à donner l'envie à ceux qui connaissent mal bruce mais qui sont curieux,tu as donné l'envie à ceux là de l'écouter,de le découvrir et de l'aimer!Moi je dis aussi rendez vous aux fan le 05 juillet à Bercy!Je suis impatiente de retrouver mon "pote" Is anybody alive out there!!!!!!!!!!!
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