dimanche 6 mars 2022

MaRiLLiON

 


Fallait être gonflé en 1981, alors que le punk épuisé se convertissait en new wave épuisante, pour rappliquer en se réclamant du rock progressif. En plein revival twist, voila que de parfaits inconnus placent un titre de 17mns, le sublime Grendel, en face B de leur premier E.P. Sur la face A l'efficace market square heroes s'ouvre sur un power chord et révèle, jusque dans la voix, l'influence de Pete Townshend, le tout incidemment dégraissé par une production conforme à l'esprit do it yourself. Tout progressif qu'il soit le groupe injecte au genre une énergie non feinte, l'effet est immédiat, les troupes patchées se pressent au pied de la scène et Marillion passe sans transition du Marquee à Reading sans avoir le moindre album à son actif. 

Tandis que la hype déguste sa pop chez les garçons coiffeurs, voila que des allumés fringués comme l'as de pique, menés par un écossais répondant au sobriquet de Fish -une baraque de 2 mètres pour un bon quintal, gangréné par une calvitie et maquillé comme une voiture volée- ouvrent leurs concerts par la B.O d'Orange Mécanique et enchainent sans plus de politesse sur des morceaux de bravoure multipliant breaks et sorties de piste pour habiller des textes si corrosifs qu'ils font passer ceux de The Wall pour des disgressions sur le mal être adolescent en milieu scolaire. En 1983, après deux ans de rodage consacrés aux concerts, leur premier album, Script For A Jester's Tear, fracasse les conventions et surprend par la profusion d'idées en germe dans ses compositions alambiquées, autant que par la puissance qu'il dégage. Dans le genre coup de boule à sec, à froid, ce disque se pose là. De la chanson qui lui donne son nom à Forgotten sons qui le conclut, aucun instant est moins que captivant. On est bringuebalé comme à la foire, tantôt vicieux, tantôt frontal, jamais bienveillant. Le chanteur fascine par son implication, les claviers donnent le tournis, la rythmique matraque et à travers le jeu de Steve Rothery les hardos se découvrent un nouveau guitar-hero.


En fait l'album est tellement bon qu'on se demande comment ils vont pouvoir faire mieux, Fugazi qui sort en 1984 apporte la réponse, ils ne feront pas mieux. Plus tard ils feront différent, mais pour ce coup ci c'est un cran en dessous. Pas de quoi s'affoler non plus, le disque compte son lot de franches réussites, Punch and Judy, Jigsaw, Emerald lies et IncubusC'est finalement sur scène que la partie se joue, de façon improbable pour un groupe au répertoire aussi complexe, Marillion excelle en live. Trois enregistrements ont été publié pour en témoigner, Recital Of The Script, en cd et dvd, qui couvre magistralement la tournée accompagnant la sortie du premier album, le surpuissant Real To Reel qui illustre la tournée Fugazi puis The Thieving Magpie, double cd qui compile des titres piochés dans divers concerts entre 1984 et 1987. Hypnotisant frontman, Fish accapare le public, vit ses textes, chante sans cesse, car là aussi l'originalité est de mise, si les compositions tutoient pour la plupart les 10mns la part laissée aux soli des instrumentistes reste concise. La musique de Marillion est faite de mouvements, de climats et climax, de feeling, jamais elle ne sombre dans la complaisance. En ce sens, leur troisième album, Misplaced Childhood qui parait en 1985 sera la parfaite illustration de leur singulier talent, ainsi que le point culminant de leur pouvoir de séduction. Le disque, qui leur apportera une renommée internationale grâce à une série d'imparables singles Kayleigh, lavender, heart of Lothian, s'impose comme l'un des plus ambitieux d'une époque où la production musicale peine à s'émanciper du carcan imposé par MTV. Présenté comme un bloc conceptuel autour de la perte de l'innocence, tous les titres s'enchainent sans heurt avec une impeccable maitrise. Sobrement produit par Chris Kimsey, Misplaced Childhood a conservé toute l'intemporalité de ses qualités, ce qui n'est pas si commun pour un enregistrement réalisé en un temps où les gimmicks ont, ailleurs, trop souvent pris le pas sur l'inspiration.









Le succès aiguise les crocs d'un manager qui divise les rangs et encaisse les dividendes, les tournées se succèdent, incessantes, Fish ne se dissocie plus du personnage scénique qui endosse les angoisses et dépressions de textes flirtant dangereusement avec l'intime. Alcool, acides et cocaïne sont depuis trop longtemps son pain quotidien, dans un réflexe de survie il pose un ultimatum, si Marillion ne fait pas un break, il quitte l'aventure. Il ne sera pas pris au sérieux, l'album suivant sera son dernier au sein de la formation. Clutching At Straws enregistré en plein chaos, après deux années supplémentaires sur les routes, sort en 1987. Une nouvelle fois impeccablement produit par Chris Kimsey, le disque se distingue de son prédécesseur en marquant un retour à un format de chansons plus traditionnel, même si l'ensemble reste conceptuel et les enchainements fréquents. Les textes de Fish expriment clairement sa volonté de rupture, évoquant le lent suicide par auto-destruction d'une rockstar au bout du rouleau. Généreux en temps forts, warm wet circles, that time of the night, le tristement toujours d'actualité white russianslàinte mhath, sugar micele disque se conclut en apothéose sur the last strawune chanson qui synthétise toutes les qualités d'un groupe devenu redoutablement efficace. Fish domine cette fois encore l'album, ses mélodies sont éblouissantes, sa voix virevolte de l'une à l'autre avec une aisance sidérante conjuguée à une profondeur qui donne corps à la confusion des sentiments, ivres et titubants. We're clutching at straws, I'm still drowning...



Il y aura un ultime hit single, Incommunicado qui semble boucler la boucle en revendiquant comme au temps de market square heroes l'influence des Who, ceux de Quadrophenia, auxquels heart of Lothian avait également fait allusion en citant discrètement love reign o' me. Il y aura une tournée de plus, des concerts tantôt habités, parfois abattus, j'aurais droit aux deux, avant que le gâchis ne s'invite au festin. Ni Fish en solo, ni Marillion avec son nouveau chanteur, qu'ils auront au moins l'intelligence de choisir totalement différent de son prédécesseur, ne retrouveront la si séduisante magie qui anime ces quatre albums à contre-courant auxquels s'ajoute B'Sides Themselves de 1988 qui regroupait pour la première fois sur cd une large partie des nombreux titres que le groupe réservait exclusivement à ses singles et E.P. Forcément disparate puisque couvrant une longue période en constante évolution, cette compilation n'en est pas moins excellente et propose un panorama des différentes facettes du groupe. Elle permet de mettre la main sur le fameux Grendel ainsi que market square heroes et three boats down from the candy à savoir les trois titres qui constituaient leur tout premier E.P, dans des versions toutefois légèrement différentes pour les deux derniers puisque ré-enregistrés deux ans après leur première publication. On y trouve aussi tux on que je classe parmi ce qu'ils ont fait de meilleur, ainsi que l'étonnamment minimaliste lady Nina. Bref, ça permet d'y voir plus clair dans le micmac des faces B, sans dispenser les plus accros du plaisir de la traque aux vinyls, tous dotés des superbes pochettes de Mark Wilkinson et contenant d'autres merveilles comme la version longue de Cinderella search ou les différents remix de Kayleigh. En cinq années seulement d'enregistrements le Marillion de la période Fish a laissé une production aussi conséquente qu'indispensable pour qui aime la musique lorsqu'elle provoque sensations fortes et vertige sans rien perdre de son authenticité. 

Hugo Spanky

13 commentaires:

  1. Ah Marillion, je les ai découverts très tardivement avec Script For A Jester's Tear et Clutching At Straws qui, aujourd'hui encore, demeurent mes deux chouchous parmi leurs premiers disques. Ce rock progressif à sec qui évite l'emphase lourdingue capte immédiatement les esgourdes. Guère étonnant que les hardos aient adoubé ce groupe tant l'Iron Maiden deuxième mouture partage une vision similaire.

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    1. Oui je suis complétement d'accord pour la comparaison avec Iron Maiden, les deux groupes ont beaucoup en commun. Je les avais d'ailleurs comparé dans une première version du papier, j'avais aussi souligné l'influence de Thin Lizzy sur le solo de guitare de market square heroes qui sonne très black rose. Le public de Marillion ne s'y était trompé puisqu'il était effectivement majoritairement composé de hardos. Le magazine anglais Kerrang fut le seul à les porter à bout de bras à une époque où ils étaient complétement ignorés des médias. Ce qui leur fait un second point commun avec Maiden ))

      Les deux albums que tu cites sont effectivement les plus efficaces, j'ai toujours eu une préférence pour Script for a jester's tear, pour son lyrisme et sa violence crue. Pour ses mélodies aussi qui sont assez incroyables.
      Quant à Clutching At Straws il dégage tout simplement un feeling phénoménal.
      Misplaced childhood est un très bon disque aussi, il démarre de façon presque pop puis s'enfonce dans les ténèbres qui leurs sont propres. Sa seconde partie est peut être un peu opaque, mais j'aime le voyage qu'il propose sur la durée.

      A l'occasion, même si je sais que tu fais un blocage sur les témoignages de concerts, écoute leurs albums live, ils sont assez sidérants, je n'ai pas voulu les détailler pour ne pas faire un pavé, mais Real to reel enregistré sur la tournée de Fugazi est assez monumental (la version de forgotten sons est complétement dingue).
      The Thieving Magpie retrace toute leur carrière en piochant dans divers concerts entre 84 et 87, la version double cd inclut l'intégralité de Misplaced Childhood capté au Hammersmith Odeon de Londres en 86, là aussi c'est assez scotchant. Le vinyl contient beaucoup moins de titres, freaks et ce qui correspond à la seconde face de Misplaced en sont absents. Donc sur ce coup là y a pas à hésiter sur le format à choisir.

      En 2009, ils ont édité en dvd et double cd Recital Of The Script, cette fois aussi capté au Hammersmith Odeon mais en 1983 à la sortie du premier album qu'ils interprètent en intégralité ainsi que tous les titres éparpillés sur les singles, c'est une tuerie.

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    2. Extra lyrique et puissant ce groupe Marillion oui, on le dirait presque sorti de l'imagination de Ken Russel par moments. Surtout dans ce live Recital Of The Script, où Fish semble possédé par de grands esprits avec lesquels il communique de façon chamanique. C'est époustouflant.

      C'est vraiment cool de remettre ce groupe sur le tapis, car à part la presse très spécialisée -genre magazine hardos-, personne ne s'en revendique vraiment. Pourtant, ils ont vraiment apporté un univers que je vais qualifier de plein, et de vraiment solide.

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    3. Ha ça pour revendiquer Marillion ça ne se bousculait pas au portillon )))) Il n'y avait guère que les hardos pour assumer. Faut dire qu'on était rodé avec ce qu'on entendait à propos de Maiden, Judas Priest et toute la clique. C'étaient pourtant les seuls groupes vraiment funky de l'époque, les mecs tournaient en province, enregistraient des disques qui fonctionnent encore à plein tube, ils y croyaient à fond, faisaient le show, osaient la sape improbable ! Mais bon, les poseurs préféraient s'extasier sur des gonzes à la ramasse qui trainaient leur junkitude ou tentaient désespérément de maintenir leur groupe à flot sans la moitié des membres d'origine...)))

      Ken Russel ? Je pige le truc, c'est vrai que c'est très anglais tout ça, cette folie qui mêle élégance et décadence, excès et efficacité. L'ombre des Who, là encore.
      Avec tout ça, j'ai ajouté un petit topo sur les albums live, ils sont trop bons pour être passés sous silence.

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    4. Ecoutant les conseils avisés de Fox Spanky, cela fait trois jours que tourne sur ma platine Sunsets on empire, l'album solo de Fish sorti en 1997. Ce disque assez indéfinissable est tout bonnement superbe, dès son morceau d'ouverture il instaure une atmosphère envoutante qui nous embarque jusqu'à son terme ; pour situer son charme est aussi pénétrant que le Nothing's shocking de Jane's Addiction. L'écouter, c'est ne plus pouvoir s'en passer, du véritable vaudou !

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    5. Dans mes bras!)))) Il est fantastique ce disque et, scoop, il en a fait d'autres qui ne sont pas loin d'être du même calibre, tellement que je suis à deux doigts de faire un papier sur Fish en solo. Raingods with Zippos et Weltschmerz (son plus récent, annoncé comme étant son ultime album) c'est de la haute voltige, impossible de passer tout ça sous silence plus longtemps.

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  2. Un petit téléphone pour commenter. Donc court car « fat finger ». Superbe article. Je vais y retourner. Vers les live ignorés. Pas que les hardos. Le besoin de prendre du temps pour écouter de la musique ambitieuse. Tant pis pour le temps perdu si boursouflure. Les amoureux des la prog n’avaient plus besoin de fouiller le passé. L’apport de QUADROPHENIA valait la peine d’être souligné. Merci

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    1. Hé Antoine ! En plus des live qui se posent vraiment là, laisse toi tenter par l'album de Fish, sunsets of empire dont on parle avec Harry Max, c'est un disque qui sort de l'ordinaire.

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    2. Terrible les erreurs d'étiquetage. je me repasse "WORM..." En fait sorti d'un groupe de prog (que j'aimais bien) s'annoncer admirateur de Peter Gabriel, une première écoute de FISH et j'ai laissé tomber. "Worm" ou "Brother 52" des titres bien rock anglais comme j'aime, pas craché sur les sons du passé et de l'écriture et du groove, du moins celui que les british savent remuer, des titres que Paul Weller pourraient chanter. C'est chaud. Et comme il est issu de Marillion, il y a sa patte. Merci je n'en décroche pas

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    3. Et quand je dis "ACCRO" il y a pas mal d'année j'avais chargé sans trop de conviction "Raingods With Zippos" Et aujourd'hui sous cet autre éclairage je tombe sous le charme de ce touche à tout. Je vais virer OGRE. (et tu m'as fait retomber dans la marmite PROG, je me suis écouté le dernier "Big Big Train" mais c'est une autre histoire

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    4. Il m'a aussi chopé par le colbac ce Raingods with zippos avec ses piques de violence et sa seconde partie en estompe. Brillant. Bizarrement, autant j'ai adoré Marillion, autant je ne me suis que superficiellement penché sur la vague qui les a suivi, la faute aux chanteurs. Fish met un impact tel qu'il fait toute la différence. J'ai écouté le tout récent An hour before it's dark et Steve Hogarth qui l'a remplacé est loin d'être un mauvais chanteur, si ce n'est que son timbre à la Cock Robin (ce n'est pas péjoratif) amène instantanément les compositions vers une sorte d'élégance middle of the road, plus boulevard que ravin. Ceci dit, on parle là de musique d'une qualité et d'une authenticité devenues si rares, qu'elle en devient pour ses simples raisons difficile à négliger. Big big train ? C'est noté.

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  3. Ohhh..la grosse période Marillion que j'ai eu. Classique je pense puisque j'ai couvert de "Fugazi" à "Clutching.." pis c'est tout. J'ai vu le nouveau dans les bacs, puis ton billet (j revisite un peu la blogosphère :o). Je ne connaissais pas cette tourmente Fish, je savais son départ et même j'ai tenté son premier solo à l'époque et puis fhhhuiiitttt plus rien pour moi. "Misplaced.." je suis devenu fou à sa sortie, on échangeait entre potes, des K7 pour qu'on puisse tout avoir.
    Je vous lis tous et j'hésite .. réécouter mes vieux opus, ou ce nouveau ??!!! t'es sûr, je peux y aller tranquille.. ça va m faire drôle.

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    1. Les Marillion période Fish, tu peux y aller, ils n'ont pas bougé. Le dernier, ça n'a plus grand chose à voir, mais il m'a fait quelques écoutes plaisantes.
      Misplaced avait mis une grosse claque à sa sortie, à une période où pas mal de trucs commençaient à tourner sérieusement en rond, là d'un coup on traquait même les face B des maxis. Le premier Fish en solo je le trouve encore assez inégal, il lui manque une ligne directrice, les deux que l'on cite plus haut (Sunsets et Raingods) sont d'un tout autre calibre.

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