samedi 14 novembre 2020

JoHN LeNNoN

 

La trahison de John Lennon

«Quand John est mort, j'ai pensé que c'était la pire chose qui puisse arriver. Mais ce n'était que le début.»

-YOKO ONO, été 1983

NOVEMBRE 1980

Le matin, la lumière hivernale pénètre dans la fenêtre de la cuisine de l'immense appartement des Lennon, l'un des six qu'ils possèdent au Dakota, le bâtiment emblématique de West Side Manhattan. John Lennon est assis à la table du petit déjeuner, lisant d'un air endormi le journal du matin, la vapeur sortant de sa tasse de café. Fred Seaman, un assistant aux cheveux sable d'une vingtaine d'années, vêtu d'un T-shirt IMAGINE, entre dans la pièce, des piles de courrier et de magazines empilés dans ses bras. Sans lever les yeux de son journal, Lennon tend la main et demande les derniers magazines musicaux.

David Geffen a appelé plus tôt pour leur dire que Double Fantasy, qui vient de sortir sur son label, est entré dans les charts à la 25eme place, Lennon parcourt Billboard et Cashbox pour le voir de ses propres yeux. Il regarde Yoko Ono avec un grand sourire et laisse éclater sa joie «Pas mal, hein, maman ?» Il attrape un stylo rouge et encercle l'entrée: Numéro 25. Avec le gras du marqueur, il trace une flèche du numéro 25 au numéro 1, barrant d'un trait l'album Guilty de Barbra Streisand. «Nous sommes en route», dit-il en rangeant le magazine dans un tiroir de la table en bois de la cuisine.

La sonnerie du téléphone se fait entendre et Mioko Onoda, une femme de chambre japonaise, se précipite pour y répondre. Elle se tourne vers Yoko Ono, annonce que Rich De Palma veut lui parler. De Palma est responsable du bureau de Lenono, l'entreprise de John et Yoko, qui occupe tout l'appartement du premier étage connu sous le nom de Studio One. Yoko répond à la multitude de questions de De Palma sur les demandes d'entrevue (de Barbara Walters, entre autres) et lui dit qu'elle va signer la pile de chèques qu'il réclame. Avant de raccrocher, elle lui demande de commander une limousine pour 14 heures, heure à laquelle ils prévoient de se rendre au studio d'enregistrement. Ils travaillent sur les chansons de Milk and Honey, la suite prévue de Double Fantasy, Le premier album de Lennon en cinq ans. Ono se penche ensuite pour embrasser Lennon, lui disant qu'elle descend au Studio One. Lennon hoche la tête. Elle gère l'entreprise familiale.

En bas, entouré d'immenses classeurs étiquetés APPLE et HOLSTEIN COWS, Ono signe les chèques, passe quelques appels et une heure plus tard appelle John qui se prélasse toujours à l'étage. Lennon, revitalisé par Double Fantasy, écoute la chanson qu'ils ont enregistré la nuit précédente. Ono lui demande s'il veut sortir prendre une tasse de café avant de partir pour le studio. Quelques minutes plus tard, il est en bas, vêtu d'une chemise en toile noire et d'un pantalon à cordon noir, portant les lunettes en écaille de tortue qui ont remplacé les habituelles lunettes rondes semblables à celles que la sécurité sociale anglaise rembourse aux ouvriers.

Bras dessus bras dessous, Ono et Lennon sortent sous l'arche du Dakota. Les épais cheveux noirs d'Ono sont étroitement liés en arrière, ses lunettes de soleil enveloppant ses yeux. Bien que le temps soit clair, le vent mord et Lennon se plaint de ne pas porter de manteau. Ono n'a qu'un pull léger et ressent le froid aussi, alors ils se serrent plus étroitement. Comme toujours, il y a quelques fans à l'extérieur, dont Jeri Moll et Jude Stein, deux femmes dans la fin de la vingtaine, qui ont attendu à l'extérieur du Dakota apparemment tous les soirs depuis cinq ans. Ce sont des anciens, elles murmurent des salutations familières au couple alors que les Lennon disent bonjour.

Lennon et Ono déambulent dans le pâté de maisons en direction de Columbus Avenue, puis de la 71e rue, où ils s'arrêtent au Café La Fortuna, prendre un expresso et des pâtisseries. Ils essaient de suivre un régime macrobiotique mais les écarts sont nombreux. La conversation est légère: ils se moquent des dernières singeries de leur fils Sean, comme le rapporte sa nounou, Helen Seaman, qui s'en occupe lorsque John est occupé. Helen est la tante de Fred Seamance jour là elle est dans le domaine des Lennon à Cold Spring Harbor, Long Island. John dit qu'il regrette que le travail sur l'album l'a tenu éloigné du garçon ces derniers temps. «Amenons-le pour le week-end, même si nous travaillons», dit-il. Ono hoche la tête. John prend les décisions familliales.

Ils retournent au Dakota pour recevoir des messages et s'arrêtent à leurs bureaux. Rich et Greg Martello sont là maintenant, effectuant un classement de routine. Ce sont deux jeunes frères qui ont fait irruption dans l'immeuble de leur héros, il y a quelques mois, un défi qu'ils s'étaient lancés. Comme ils semblaient assez inoffensifs, ils ont été mis au travail. C'est ce genre d'endroit, un peu loufoque, avec des décisions commerciales parfois affectées par la lecture d'Ono des cartes du tarot, un endroit amical et terre-à-terre, loin des standards des millionnaires du rock'n'roll.

Dehors, la limousine attend, alors ils se faufilent à nouveau par l'arche, s'entassent sur le siège arrière de la voiture et se dirigent vers le studio d'enregistrement. Là, à l'intérieur de la cabine vitrée sur laquelle est collée une photo couleur de Sean, ils chantent des morceaux pour l'album, puis travaillent au mixage d'autres morceaux au fur et à mesure que la soirée avance. Ils ne finiront comme souvent que tard dans la nuit, Lennon tient à mettre la touche finale à Walking on thin ice, le prochain single d'Ono. 

En fait, rien de ce qui s'est passé aujourd'hui n'est remarquable pour le couple qui, après des années de bouleversements, suivis d'années de reclus, semble maintenant trouver le contentement avec un nouvel élan de créativité. Il est temps: John vient d'avoir 40 ans. «La vie commence à 40 ans», a-t-il déclaré à un intervieweur. "C'est comme, Wow, que va-t-il se passer ensuite ?"

9 DÉCEMBRE 1980

Il est quelques minutes après minuit et l'horreur ne se résorbera pas. John Lennon a été assassiné il y a un peu plus d'une heure, mais ceux qui font partie de sa vie quotidienne ne parviennent pas à l'admettre, ils déambulent l'esprit égaré dans l'appartement au rez-de-chaussée du Dakota. Quelques-uns d'entre eux ont réussi à se frayer un chemin à travers la foule croissante d'hommes, de femmes et d'enfants qui frissonnent au coin de Central Park West et de la 72nd Street, des bougies allumées, se tenant la main, pour la plupart des larmes coulant sur leurs visages. La police, à cheval, aide à ouvrir la voie aux membres du personnel de Lenono, tandis que dans l'air glacial la vapeur s'échappe des naseaux des chevaux.

Yoko Ono, accompagnée de David Geffen, s'est faufilée dans le bâtiment par l'entrée arrière et se trouve dans la cuisine de son appartement. Engourdie, elle demande à Rich De Palma de passer seulement trois appels: à Julian Lennon, le fils de 17 ans de John, issu de son premier mariage; à la tante de John, Mimi Smith, qui l'a élevé; et à Paul McCartney. De Palma ne peut contacter aucun d'entre eux directement mais parvient à joindre Mme Lee Eastman, la belle-mère de McCartney, qui répond sêchement: «Vous vous attendez à ce que je réveille Lee à ce sujet ?» et raccroche. La deuxième fois que De Palma appelle, elle est encore plus catégorique: «N'appelez plus jamais à cette heure de la nuit !»

De Palma rend compte à Ono, qui lui dit de continuer à essayer d'atteindre les trois; cela s'avère presque impossible, toutes les lignes sont bloquées. Dès qu'un voyant du standard téléphonique s'éteint, un autre s'allume. Ono se lève en tremblant. Elle veut être seule dans sa chambre.

De l'étage, l'écho des voix qui s'élèvent depuis la rue résonne jusque dans les couloirs de l'appartement et la cour intérieure en forme de canyon. La foule est passée à plus de 5000 personnes, ce qui a stoppé la circulation dans le West Side de Manhattan, les gens chantent Imagine et Give Peace a Chance de façon lancinantes. Avant de reprendre en choeur Dear Yoko.

De Palma resté en bas dans un bureau Lenono, répond aux appels, essayant de donner à chaque personne quelques mots en réponse, avant d'appuyer sur un autre bouton du standard. Il est particulièrement heureux de recevoir un appel: Elliot Mintz, l'un des amis les plus proches des Lennon, vient depuis Los Angeles.

Quelques heures plus tard, Mintz arrive, se précipite à travers la foule, passe devant l'extérieur des bureaux, qui se remplissent rapidement de couronnes, de fleurs et de colis, et monte dans l'ascenseur menant aux quartiers d'habitations. S'arrêtant devant l'immense porte en acajou de l'appartement des Lennon, il respire et frappe. Mioko, les yeux gonflés mais silencieuse, le laisse entrer. «Yoko-san dans sa chambre», dit-elle. Mintz se dirige vers la chambre mais ne peut pas se résoudre à entrer. Au lieu de cela, il redescend au Studio One pour participer avec les autres.

Dans Studio One, l'équipe de Lenono a été rejoint par un petit groupe d'assistants, d'avocats et d'hommes d'affaires, dont David Warmflash, un avocat qui a travaillé pour les Lennon pendant un certain temps, et David Geffen. C'est Geffen qui est arrivé à l'hôpital après la fusillade, puis a émergé pour soutenir Ono alors qu'ils affrontaient une horde de journalistes et de photographes. Mintz aide à organiser le groupe pour filtrer les appels pour le reste de la nuit avec De Palma, en rassemblant les questions les plus importantes auxquelles Ono doit répondre.

Ono prend  immédiatement une décision: le corps de Lennon doit être incinéré dans une morgue de la banlieue de Hartsdale. Elle donne les instructions calmement, demandant à Warmflash de s'en occuper. Bien qu'Ono semble se contenir, quelqu'un dans le groupe dit qu'ils étaient si proches et qu'elle est tellement affligée par le chagrin, qu'elle pourrait essayer de se faire du mal. De Palma est envoyé pour veiller à ce qu'elle ne fasse rien d'imprudent.

De Palma entre nerveusement dans la chambre, ne dit rien à Ono qui est toujours sur le lit, et entre dans sa salle de bain. Il vérifie s'il y a des rasoirs et des objets tranchants, Ono se dirige vers l'entrée de la salle de bain. Elle demande ce qu'il fait et il lui dit, un peu penaud. Bien qu'elle soit surprise, elle dit: «Je comprends, mais ne vous inquiétez pas.» En fait, continue-t-elle, elle veut que De Palma ne la ménage pas; elle veut savoir et entendre tout ce qui se passe. Ils ne doivent rien lui cacher ni un titre de journal, ni une rumeur. Comme pour convaincre De Palma qu'elle est sérieuse, elle lui fait allumer le téléviseur de sa chambre et monter le volume. Elle s'assoit et commence à regarder la couverture télévisée du meurtre. Cela semble surréaliste, sans lien avec les événements des dernières heures.

Aux petites heures du matin, Mintz et De Palma sont épuisés, occupant toujours les téléphones dans les bureaux faiblement éclairés, qui sont maintenant remplis de centaines d'arrangements floraux. Il y a un appel de la réceptionniste du Dakota: quelqu'un a téléphoné de Los Angeles en jurant qu'il partait pour New York «terminer le travail commencé par Chapman». Après un petit travail de détective pour s'assurer que ce n'est pas un autre coup de bluff, Mintz téléphone à la police de Los Angeles. Un peu plus tard, on apprend qu'il a eu raison de prendre la menace au sérieux: un homme est arrêté à l'aéroport de Los Angeles alors qu'il frappe un policier et jure de «prendre» Yoko Ono. Il a des antécédents de troubles psychiatriques. Le problème est résolu rapidement, mais c'est la première indication qu'il pourrait y avoir pire à venir.

10 DÉCEMBRE 1980

Tôt ce matin, Ono apprend que Sean est réveillé. Ils n'ont pas été aussi proches que l'étaient le garçon et son père, mais maintenant elle entre en tremblant pour le voir. Elle prend la main de l'enfant de cinq ans, le conduit en bas par l'ascenseur de service, ils traversent le labyrinthe de passages au sous-sol et montent les marches jusqu'à l'entrée de l'immeuble. Il y a des gens en deuil à dix mètres de là, au-delà des portes de fer. Ono indique un endroit près de la porte et dit à Sean que c'est là que son père a été abattu. Sean veut savoir pourquoi quelqu'un a tué son père. Elle ne peut pas dire grand-chose.

Ils reviennent à l'étage et Ono s'assoit devant une machine à écrire pour composer un message appelant à une veillée silencieuse à Central Park et ailleurs. Elle va ensuite réconforter Sean, qui est à proximité avec sa nounou, pleurant de manière hystérique en appelant son père.

Il y a un autre appel inquiétant reçu en bas: un homme affirme avoir placé une bombe dans un colis livré au Dakota. Désormais les bureaux Lenono sont encombrés d'un mur à l'autre de fleurs, de cadeaux, de cartes, de lettres et de boîtes. Une escouade en gilet pare-balles se faufile dans le bâtiment, où ils trouvent le colis identifié par l'appelant, ils l'ouvrent et ne trouvent rien. Fausse alerte. Mais les deux menaces et la demi-douzaine d'autres appels téléphoniques menaçants aboutissent à une autre décision: Ono annonce que si les fans de Lennon souhaitent se souvenir de lui, ils devraient s'abstenir d'envoyer des fleurs (qui s'empilaient jusqu'au plafond) ou des cadeaux et devraient, à la place, envoyer des dons à la Spirit Foundation, l'organisation que les Lennon ont fondée en 1978 pour distribuer des fonds à diverses associations caritatives.

Le bulletin d'information du jour annonce le suicide d'un fan désemparé - le premier de trois - et Ono craque. Elle s'effondre de manière inconsolable avant de lancer un appel par un journal de New York pour demander que les suicides cessent.

Au premier étage, les appels téléphoniques continuent. Un homme prétend être arrivé d'une planète lointaine avec un message de John pour Yoko. Des médiums appellent avec d'autres messages de John qu'ils prétendent être des questions de vie ou de mort. Un garçon téléphonne pour dire que l'esprit de John a pris le contrôle de son corps. Un homme appelle d'Angleterre pour dire, d'une voix tremblante, qu'il a la preuve absolue que le meurtre de Lennon était une conspiration. Tous les appelants demandent à parler de toute urgence avec Ono.

Tôt dans l'après-midi, le retour au calme de Yoko Ono est brisé lorsque Mintz et Warmflash lui remettent un petit carton contenant les cendres de John. Elle parvient à demander à Warmflash à quoi ressemblait John avant la crémation. «Il avait l'air de dormir», dit-il. Ono, qui est sur son lit, serre ses bras autour de ses genoux et regarde droit devant elle pendant plusieurs heures.

En bas dans Studio One, le groupe continue de filtrer le courrier et les appels entrants. Outre De Palma et Mintz, d'autres assistants sont venus pour aider et pour parler. Les haut-parleurs de la radio résonnent des chansons de Lennon, interrompues par des reportages sur les développements ultérieurs de l'affaire. Geffen, dont la photo avec Ono est aujourd'hui en première page de la plupart des journaux, est au téléphone à plusieurs reprises avec son assistant chez Geffen Records pour parler des ventes de l'album Double FantasyIl parle presque exclusivement de l'effet du meurtre sur son entreprise et on l'entend dire qu'il espère que la guerre en Pologne pourra être évitée, car une guerre ferait disparaître la tragédie de Lennon des couvertures hebdomadaires.

De Palma ouvre des télégrammes, pour la plupart des messages de condoléances, et il s'arrête après en avoir lu un. Il se dirige vers Mintz et lui remet le télégramme. Mintz le lit et dit: "Je ne peux tout simplement pas lui en parler maintenant." L'expéditeur est une femme qui prétend «connaître» quelqu'un qui était présent à la crémation de Lennon - elle affirme que l'incinération a été à la fois filmée et photographiée. «Vous voudrez peut-être me contacter pour plus d'informations», conclut le message. Mintz remet le télégramme à un agent de sécurité. Bien qu'aucune autre preuve publique de l'existence de ces films n'ait fait surface, l'affaire est considérée comme sérieuse.

Un autre appel macabre est adressé à Doug MacDougall, à l'époque le seul garde de sécurité à plein temps des Lennon, qui informe Mintz qu'un préposé à la morgue a vendu à un syndicat de photographes des clichés du corps de Lennon «sans le drap». Cela déclenche une vague d'appels téléphoniques effrénés pour éviter la vente, mais il est trop tard. L'une des photographies de la morgue paraîtra prochainement en première page du New York Post et plus tard, en couleur, du National EnquirerUne enquête révèlera que le préposé a été payé 10 000 $ pour les photographies. Il devient, observe Mintz, «le premier à gagner de l'argent avec la mort de John».

MI-DÉCEMBRE 1980

Le premier à penser un peu plus ambitieusement à capitaliser sur la mort de Lennon est un membre du groupe intérieur, Fred SeamanL'assistant mince, né en Allemagne, diplômé en journalisme du City College de New York, a obtenu son poste grâce à son oncle et sa tante. Norman Seaman était un ami de longue date des Lennon; sa femme, Helen, est devenue la nounou de Sean, et il était donc naturel que Fred vienne travailler dans l'entreprise familiale - faire des courses pour Lennon, servir d'assistant lors de l'enregistrement de Double Fantasy, amenant à John et Yoko des plateaux de sushis pour le dîner. Un emploi qui lui rapporte 36 000$ par an.

L'une des missions de Seaman était d'accompagner Lennon aux Bermudes plus tôt dans l'année. C'est là que Lennon a écrit et réalisé une cassette démo du flot de nouvelles chansons qui deviendraient sa moitié de Double Fantasy et Milk and HoneyParce qu'il a passé ces semaines avec Lennon, Seaman en est venu à se sentir comme la personne la plus proche de lui au moment où il a été tué - plus proche que des amis comme Mintz, plus proches encore que Yoko et Sean.

Deux jours après le meurtre, Seaman, qui a prétendu avoir été dévasté, s'est présenté à la porte d'un vieil ami d'université pour dire, avec enthousiasme: «Je suis prêt pour la grande vieDans les jours qui suivent, cependant, il dit à plusieurs reprises aux gens du Dakota qu'il ne peut pas travailler, que la mort de Lennon est trop difficile à supporter pour lui. Ono en entend parler et convient qu'il devrait s'absenter pour se rétablir.

Il utilise bien son temps libre. En l'espace de quelques semaines, il a rédigé et notarié un contrat avec son ami d'université, un écrivain en herbe nommé Bob Rosen. Le contrat précise qu'ils deviendront des partenaires égaux sur un livre consacré à Lennon et sur tous les «projets liés à son livre», y compris les droits de merchandising de «poupées John et Yoko».

Rosen, un homme petit et fluet aux cheveux fuyants et affublé d'un bégaiement, vit dans un petit appartement d'un immeuble de la 169e rue. Cela devient le siège du «Projet Walrus». Dès que Seaman retournera travailler à plein temps au Dakota il rendra compte quotidiennement à Rosen de ce qui s'y passe et Rosen prendra des notes. Ils tiendront également tous les deux leur propre journal quotidien. Seaman laisse entendre qu'il peut avoir accès à des documents. Pour payer le salaire de Rosen, Seaman prélèvera de l'argent sur la petite caisse de l'équipe Lenono.

Seaman retourne travailler au Dakota en tant qu'assistant Lenono. En une semaine, il a entamé une routine qui ne variera guère au cours des 12 prochains mois: le vendredi après-midi, Seaman sort du Dakota avec un sac à provisions rempli de documents pris dans les dossiers du bureau et dans les appartements des Lennon. Il passe sous l'arche, marche quelques pâtés de maisons vers l'ouest, puis monte jusqu'à l'appartement de Rosen. Là, presque à plein temps, Rosen lit, digère, copie et classe les papiers personnels que Seaman a volé.

Pour Ono, les semaines qui ont suivi le meurtre se passent soit isolée, quittant à peine sa chambre, soit en s'occupant des lettres de condoléances auxquelles il faut répondre. Elle insiste, malgré l'ambiance de l'appartement, pour que Sean fête Noël. Un arbre est dressé, des lumières sont suspendues, des guirlandes sont placées sur les branches. Akita, un chiot femelle que Lennon a acheté pour le cadeau de Noël de son fils a failli mourir de faim dans les jours qui ont suivi le meurtre - personne ne savait qui était censé le nourrir. Maintenant, Ono place le chiot sous l'arbre pour Sean avec un ruban disant, FROM DADDY. Sean nomme le chien Merry.

JANVIER 1981

Après le Nouvel An, Ono permet à Sean et au chiot de descendre au domaine des Lennon à Palm Beach, en Floride, où le garçon peut échapper à l'hiver de New York et à l'ambiance funèbre autour du Dakota. Elle le fait en partie parce que, comme elle est assez franche pour l'admettre plus tard, elle trouve douloureux d'être avec Sean. Bien que toujours sous le choc, elle veut trouver du réconfort dans son travail et retourne au studio d'enregistrement pour terminer la chanson sur laquelle elle et Lennon travaillaient, Walking on Thin Ice, que Geffen sortira un mois plus tard. Bien que le travail sur le disque se déroule bien, elle passe la grande majorité de son temps au lit à la maison, à manger un gâteau au chocolat livré par une épicerie gastronomique locale et à siroter un thé dans la pièce faiblement éclairée.

De temps en temps, elle sort de la chambre et fait de brèves incursions en bas. Sean revient de Floride et elle ne peut presque pas se résoudre à le voir: les souvenirs sont trop dérangeants. Mais elle sait qu'elle le doit et commence à passer plus de temps avec lui qu'elle ne le faisait avant la mort de Lennon.

AVRIL 1981

Il n'y a plus eu de menace de mort, la foule autour du Dakota s'est éclaircie et pour Ono, il y a la possibilité que, aussi sombre que les choses soient autour de l'appartement, au moins le pire soit derrière eux. Elle se sent assez forte pour s'attaquer à un grand projet: un album solo dans lequel elle exprimera certains de ses sentiments. Il s'appellera Season of Glass et l'intro d'une chanson contiendra des coups de feu. Pour la photo de la pochette, Ono choisit une fenêtre dans le Dakota où Lennon avait l'habitude de s'asseoir et de regarder dehors en rêvassant, elle place ses lunettes tachées de sang sur une table devant la fenêtre. Elle sait que ce sera controversé, mais c'est ainsi qu'elle sent qu'elle doit exprimer son chagrin. Elle insiste pour déclencher elle-même l'obturateur.

A quelques centaines de mètres de là, le projet Walrus se déroule comme prévu. Rosen passe au crible les sacs remplis de papiers que Seaman lui apporte. C'est un trésor et Rosen note ses impressions dans son journal, qui fera surface plus tard. Il commence à se sentir comme l'alter ego de Lennon, le seul qui le connaisse vraiment - et cela inclut Yoko, qui ruminait dans le Dakota, et même son partenaire, Seaman, qui est tellement occupé à comploter et à se faufiler. Rosen, lui seul, cloitré dans son appartement avec l'héritage papier de John Lennon, sait à quoi il ressemblait.

Un après-midi, dans un sac de courses que Seaman apporte, Rosen découvre le jackpot : dans des exemplaires du New Yorker datant de 1975 à 1980, John glissait les feuilles de son journal intime. Rosen et Seaman sont en possession de ses pensées et réflexions les plus personnelles pendant la période où il était le moins à la vue du public. C'est de l'histoire ! De plus, c'est beaucoup d'argent. Comme Rosen l'écrit dans son propre journal "Dead Lennon = BIG $$$$$."

MAI 1981

Seaman, toujours assistant de confiance au Dakota, est envoyé par Ono au Pays de Galles pour rendre visite à Julian. Elle veut que Julian, le fils de Lennon par son mariage avec Cynthia Powell, reçoive des cadeaux de son père.

En arrivant au Pays de Galles, Seaman commence à courtiser Julian. Il laisse entendre ses sentiments croissants de désillusion envers Yoko. Il lui donne les cadeaux et, à titre personnel, une copie de la cassette des dernières chansons de John enregistrées aux Bermudes. Les journaux de Seaman suggèrent que son but est d'attirer Julian dans le plan, de le persuader de prétendre qu'il connaissait les journaux de son père et que Lennon voulait que son fils aîné, et non Ono, en soit le gardien. Julian ignore tout ça mais est ravi des «cadeaux».

À New York, une assistante transmet un message du bureau du coroner de New York informant Ono qu'elle devrait réclamer les vêtements de son mari - ceux qu'il portait lorsqu'il a été abattu. Chapman a changé son plaidoyer et plainde dorénavant coupable, les vêtements ne seront plus nécessaires comme preuve. Elle se rend chez le coroner et revient avec un sac de courses étiqueté PATIENT'S BELONGS. À l'intérieur, bien pliés, se trouvent les vêtements tachés de sang de Lennon. Elle retourne au Dakota et se réfugie dans sa chambre.

JUILLET 1981

Au milieu de l'été, Ono fait des tentatives concrètes pour reprendre une vie normale. Bien qu'elle et Sean soient constamment suivis par plusieurs gardes, et bien que, selon la plupart des normes, la vie d'une femme gérant une fortune estimée à 150 millions de dollars puisse difficilement être qualifiée de normale, il y a au moins un regain d'intérêt pour le banal. Elle reprend la rénovation des appartements du Dakota, un projet entamé avant la mort de Lennon: il est temps de continuer, décrète-t-elle.

Samuel Havadtoy, un immigrant hongrois avec une carrière réussie dans la décoration d'intérieur, reprend ce travail commencé à l'été 1980. Il gagne rapidement la confiance d'Ono de manière naturelle et plaisante. Havadtoy aime jouer avec Sean, tomber avec lui sur l'herbe du domaine de Cold Spring Harbor, se faire battre aux jeux vidéo. Ono se rend compte qu'elle apprécie la compagnie d'Havadtoy et accepte de l'accompagner pour ses premières sorties au restaurant depuis la mort de Lennon et renoue occasionnellement avec une vie sociale . Ils se rapprochent. La vie commence à paraître pleine d'espoir. Ni douce, ni joyeuse, juste pleine d'espoir.

AOÛT 1981

Le projet Walrus progresse rapidement. Un nouveau membre s'est joint au duo, Rick Dufay, guitariste du groupe Aerosmith, qui est aussi excité que Seaman et Rosen de contribuer à façonner la véritable image de l'héritage de John. Ils passent de nombreuses soirées à comploter et à fantasmer sur ce que leur travail signifiera aux yeux du monde.

SEPTEMBRE 1981

Lennon était lui-même intrigué et sceptique quant à l'utilisation par Ono de médiums, qu'elle payait autant qu'avocats et comptables. L'un d'eux était un homme d'une finesse peu commune, un tireur de tarot nommé John Green qui semblait savoir lire les cartes d'une manière qu'Ono trouvait intrigante. Green est devenu le liseur de carte principal d'Ono pendant les années où les Lennon ont vécu hors de la vue du public. Depuis la mort de Lennon, il vit gratuitement dans un loft qu'Ono possède, même si elle a cessé d'utiliser ses services. La seule condition qu'elle a émise est qu'il ne doit pas y recevoir de visiteurs, car le loft est utilisé pour stocker des artefacts irremplaçables, tels que des acétates originaux de disques des Beatles et des œuvres d'art de Lennon.

Elle apprend que Green a facturé l'entrée du loft pour des événements publics et qu'il se vante de son accès aux acétates des Beatles, elle demande alors à un avocat de dire à Green de déménager. Green reçoit un avis de départ spécifiant heure et date à laquelle les serrures seront changées, mais le moment venu Green n'a pas encore quitté les lieux. Plutôt que d'engager des poursuites et de comparaître devant le tribunal, et de craindre pour les matériaux du loft, Ono se contente d'un paiement de 30 000 $ à Green. Havadtoy et Warmflash vont au centre-ville pour inspecter le loft et se rendent compte que Green n'a toujours pas déménagé tous ses biens. Sur un bureau, Havadtoy voit une pile de papiers dactylographiés: c'est un chapitre d'un livre que Green écrit sur les Lennon, qui sera publié sous le titre Dakota DaysHavadtoy scanne le manuscrit et découvre que, tout en vivant gratuitement dans l'appartement d'Ono, Green rédige un livre qui l'accuse d'être, entre autres, une névrosée pratiquant la magie noire et la destructrice du talent de Lennon.

À Central Park, un après-midi, Sean est accompagné de son garde du corps, MacDougall. Sa responsabilité est de rester proche de Sean en tout temps. Sous les yeux de Ono, le garçon s'éloigne de la vue de MacDougall sans qu'il ne s'en alarme. Ono se fâche contre MacDougall, qui se raidit. «Si vous n'aimez pas la façon dont je fais mon travail», déclare-t-il, «j'arrête.» Sean s'est habitué à MacDougall, mais Ono a l'impression qu'il est devenu laxiste et qu'il tente de l'intimider. Elle accepte sa démission. Elle embauchera un nouveau chef de la sécurité, le sergent détective de la police de New York, Dan Mahoney


OCTOBRE 1981

Journal de Rosen du 18 octobre:

Le fantasme de Fred (Seaman): je tombe raide mort après avoir écrit le dernier mot de Project Walrus. Rick (Dufay) tombe raide mort, Yoko et Sean tombent raides morts. Helen (Seaman) tombe raide morte. … Julian, Cynthia et May Pang (la maitresse de Lennon lors de sa séparation avec Ono au début des années 70) tombent raides mort. Paul, George et Ringo tombent raides morts. Tous ceux qui ont déjà été associés aux Beatles de quelque manière ou forme que ce soit tombent raides morts. Fred est le seul à rester en vie. Il détient l'exclusivité du marché des potins….

Nous (Seaman, Dufay, Rosen) sommes si proches. Nous savons combien l'autre est méprisable. Concours intéressant, qui est le plus méprisable d'entre nous. … Je ne pourrais sûrement pas gagner un tel concours. Ou le pourrais-je ?

Journal Rosen non datée:

Le seul différent que moi et Dufay avions était de savoir lequel allait baiser Yoko.

NOVEMBRE 1981

Dans un journal londonien, Ono lit que Julian Lennon est entré en studio d'enregistrement avec l'intention d'enregistrer certaines des dernières chansons inédites de son père - celles destinées à la suite de Double FantasyOno est stupéfaite. «Comment a-t-il pu avoir les chansons de John ?» demande-t-elle à voix haute.

Seaman est assis à proximité dans les bureaux de Lenono. Il secoue la tête avec sympathie. «Ne t'ai-je pas dit que Julian était une mauvaise graine ?» lui dit-il.

Ono appelle Julian en Angleterre et lui pose des questions sur les chansons. Il explique que Seaman lui a donné une cassette. Ono est confuse mais lui dit que son père a destiné les chansons à son propre album. Julian s'excuse.

Il y a un appel un jour ou deux plus tard de MacDougall. Mintz prend l'appel.

«J'ai des arriérés de salaire», dit-il à Mintz.

«Yoko s'en chargera», répond Mintz.

«Eh bien, je détiens des trucs jusqu'à ce que j'aie mon argent.»

MacDougall dit que lorsqu'il a démissionné, il a emmené avec lui un équipement électronique coûteux, une douzaine de cassettes, deux couteaux suisse, une paire de lunettes de Lennon et une lettre d'amour de Lennon à Ono comprenant la version originale de sa chanson Dear YokoIl sera heureux de retourner l'ensemble lorsqu'il recevra le salaire qu'il estime devoir. Mintz remet un chèque à MacDougall et récupère le tout.

Ono devient de plus en plus perplexe face au comportement de Seaman. Comme MacDougall, Seaman montre des signes d'arrogance, de négligence dans son travail, presque comme s'il tentait quelqu'un de le réprimander ou même de le congédier. Ono s'estime trop proche de la tante Helen et de l'oncle Norman de Seaman pour causer des ennuis à Fred.

En vérité, Seaman est devenu de plus en plus absorbé par le projet Walrus et commence à voir la fin de son rôle d'agent double au Dakota. Il décide, en fait, qu'il est temps d'agir plus hardiment, et donc, selon son journal, lui et Rick Dufay se faufilent dans l'appartement d'Ono pendant qu'elle est absente et volent une grande quantité d'équipement audio, y compris un amplificateur coûteux que Lennon avait l'habitude de garder près de son lit. Seaman a déjà emmené des bandes de répétition des chansons de Lennon dans l'appartement de Rosen, et Dufay est un musicien professionnel, donc l'équipement est largement utilisé.

Le lendemain, quelqu'un remarque que quelques composants stéréo ont disparu. Seaman dit que ce sont probablement les réparateurs de la climatisation qui étaient là. Ono hoche la tête. Elle en parle à Mintz, qui fait un inventaire et découvre que beaucoup plus que les amplificateurs stéréo ont été pris et informe la nouvelle équipe de sécurité. Méthodiquement, les gardiens interrogent les proches et rapportent à Ono que cela ne peut être qu'un travail interne.

Elle commence à souffrir. Ce n'est pas l'argent mais le sentiment grandissant que tous se retournent contre elle, qu'employés et gens de confiance la trahissent. Il y a environ une douzaine de personnes dans le personnel et une autre demi-douzaine qui vont et viennent dans les bureaux quotidiennement. Mahoney veut qu'Ono fasse passer à tout le monde des tests au détecteur de mensonge. Elle refuse, pensant que cela briserait le moral et l'unité de l'équipe. Mahoney suggère d'appeler la police, mais Ono refuse également, pour la même raison. Aucun soupçon n'est émis sur Seaman, qui écrit dans son journal: «Le vol d'hier ne semble pas avoir de conséquence, Dieu merci».

Cela fait maintenant près d'un an depuis la mort de Lennon. Il y a eu des confrontations avec des employés, des cambriolages, et maintenant il y a des histoires selon lesquelles des livres sont planifiés par des personnes autres que Green. On dit que l'ex-maitresse de Lennon, May Pang, écrit ses mémoires. Et une rumeur prétend qu'Albert Goldman, dont la biographie à succès  sur Elvis Presley relate des orgies de drogues et des déviances sexuelles, négocie une avance à sept chiffres pour un livre sur Lennon. Même Rosen est ému d'écrire dans son journal, après avoir entendu la rumeur sur Goldman, «Que Dieu aide John Lennon».

Ono en bloque une grande partie et décide de continuer. Mais arrive alors une lettre que même De Palma répugne à lui montrer. Les ordres sont toujours valables: elle veut tout savoir, aussi grave que ce soit. Elle lit la lettre, jetant un coup d'œil à l'enveloppe, qui porte pour adresse de retour celle de la prison d'État d'Attica ; 

Chère Yoko:

… Mon nouvel avocat, Marshall Beil, vous a peut-être contacté au sujet d'un éventuel accord qui consisterait à utiliser les fonds — gagnés par la divulgation de certains documents — à des fins caritatives (organisations d'aide aux enfants)….

Yoko, si vous sentez que ce que je pourrais publier (même si tous les fonds seraient donnés à des œuvres caritatives) est contre votre volonté, je l'honorerais complètement….

Cordialement,

Mark David Chapman

Chapman, qui a commencé sa lettre en rappelant à Ono qu'il lui avait déjà écrit pour «s'excuser» du meurtre de son mari, termine la lettre en disant que si elle ne veut pas qu'il procède à la publication de son histoire, elle peut être assurée de sa «coopération dans cette affaire délicate».

La requête est immédiatement claire pour Ono: l'assassin de son mari propose qu'elle accepte sa participation à un livre. Il lui assure que tous les fonds iraient à des œuvres de bienfaisance (un geste dénué de sens, elle le sait, car la loi très médiatisée du Fils de Sam, du nom du meurtrier de masse qui habitait la même institution que Chapman, rend pratiquement impossible pour un criminel de profiter. de son crime).

Malade, Ono se dirige vers sa chambre.

C'est quelques jours plus tard que deux hommes sont arrêtés à l'intérieur du Dakota. Ils disent être en affaire avec Yoko. Pressés de questions, ils commencent à courir. L'un s'enfuit, mais l'autre est stoppé par un garde du corps. Avant d'être emmené par la police, l'homme manifestement dérangé crie qu'il est venu «chercher» Yoko et Sean.

La sécurité est encore renforcée. Ono a dépensé plus de 1 000 000 $ en protection personnelle dans l'année qui a suivi la mort de Lennon.

DÉCEMBRE 1981

Alors que le temps à New York devient plus froid, Seaman fait preuve de prudence face aux vents. Bien que son utilisation de la petite caisse Lenono pour payer Rosen n'ait pas encore été découverte, il y a beaucoup de commentaires sur son utilisation des limousines pour l'emmener dans des restaurants et des clubs - qu'il facture à Lenono. D'autres écarts de dépenses apparaissent. Lors d'une fête de Noël au bureau, qu'Ono organise au Windows on the World, le restaurant spectaculaire au sommet du World Trade Center, Seaman se présente avec l'un des foulards de Lennon. Ono le repère et le confronte.

«N'est-ce pas l'écharpe de John ?»

"Non, Yoko," dit-il, "c'est à moi."

Le mensonge est tellement effronté qu'Ono est ébranlée. Plus tard à la fête, Seaman s'approche d'elle et admet que l'écharpe est peut être celle de John après tout. Ono ne sait pas ce qui se passe avec Seaman, mais cela devient vite clair : en utilisant la Mercedes-Benz de Lenono pour des affaires personnelles, ce que les employés ont interdiction de faire, Seaman a un accident. La facture de réparation est de 12 000 $. Enfin, quelque temps plus tard, Ono entre dans sa salle de bain privée et trouve Seaman en train de prendre un bain pendant les heures de travail. Il sera congédié et recevra une indemnité de départ de 10 000 $. Seaman écrit avec défi dans son journal: «Mon seul regret immédiat est de ne plus avoir l'occasion de parcourir les dossiers» Les vols, des dossiers entiers, des manuscrits, des journaux, même une nouvelle de Lennon intitulée Skywriting by Word of Mouth, que Rosen dans son journal déclare digne de James Joyce, n'ont pas été découverts. Dans les six appartements appartenant aux Lennon, personne ne sait vraiment où se trouvent les choses.

JANVIER 1982

Vivre avec les journaux de Lennon, taper toute la journée et toute la nuit, déchiffrer les abréviations et les codes de Lennon, commence à sérieusement détraquer Rosen. Il est claustrophobe à force de travailler dans son petit appartement et, écrit-il, «Je m'inquiète pour Seaman. Il est impératif que je dispose d'un levier pour le forcer à me donner du crédit et à me payer ma pleine part. La possession des journaux est mon meilleur levier. »

Mais il ne veut pas conserver indéfiniment les journaux originaux. "Ce serait comme avoir l'arche perdue. Je ne veux pas que mon appartement soit perquisitionné par Indiana Jones."

Les inquiétudes de Rosen à propos de Seaman sont bien fondées. Seaman a été pris en charge par le Dr Francis DeBilio, un psychothérapeute dont le cabinet est à Brooklyn et qui n'a apparemment jamais eu le genre de contact avec le glamour, la renommée et l'intrigue dont Seaman se vante. Le médecin présente Seaman à un autre patient, Norman Schonfeld, diamantaire à la retraite qui, rapidement aussi enthousiasmé que DeBilio par le potentiel du projet Walrus, accepte de le financer. C'est exactement ce dont Seaman a besoin, maintenant que son salaire et ses avantages ont disparu.

Seaman dit à Rosen qu'ils ont un ange gardien et les trois se réunissent autour d'un verre pour discuter des conditions. Pour la moitié des bénéfices à venir, Schonfeld paiera les salaires et toutes les dépenses. Le plan conçu par «N $», comme Seaman nomme Schonfeld dans son journal, est de faire de Seaman le détenteur de l'héritage artistique et social de Lennon et de répandre autant de désinformation que possible sur Ono. La «veuve noire» doit être discréditée par tous les moyens possibles, afin que le monde puisse recevoir ce que John Lennon a laissé derrière lui par le biais de son unique messager, Fred Seaman. Et, incidemment, le monde enrichira le messager et ses assistants.

Le seul problème est qu'il y a trop d'assistants. Dufay n'est pas un participant actif, mais DeBilio et Schonfeld persuadent Seaman que Rosen devrait être exclu. Il ne faut pas beaucoup de persuasion. Rosen, qui montre des signes d'épuisement, est envoyé en «vacances» payées sur les fonds du projet. Avec Rosen tenu à l'écart dans les Caraïbes, Seaman enregistre dans son journal la suite du projet :

Norman (Schonfeld) et moi avons décidé de profiter de son absence pour nous rendre à l'appartement de Bob (Rosen), nous y avons fumé un joint puis nous avons pris la fuite avec sa copie des journaux de Lennon, la cassette des Bermudes (celle des chansons inédites de Lennon) et tout ce que nous pouvions prendre sur le moment. Quelques jours plus tard, nous sommes revenus avec une voiture de location et avons procédé à enlever systématiquement tout ce que je lui avais donné.

À son retour, Rosen trouve son appartement vidé, le signale comme un cambriolage au département de police de New York, mais reçoit ensuite un appel de Seaman admettant que c'est lui qui l'a fait. Que va faire Rosen à ce sujet ?

DeBilio continue de conseiller Seaman sur sa grande stratégie. Seaman écrit: Plus je parle de Julian à DeBilio, plus il est convaincu que nous ne pouvons pas compter sur lui… Il explique que Julian pourrait se considérer comme le protecteur de la réputation de son père et refuser de faire exploser le mythe. Alors maintenant, nous devons réfléchir à un moyen de légitimer ma «propriété» des journaux afin que nous ayons une chance de gagner devant les tribunaux, ou, alternativement, trouver un moyen de pression si ça tourne mal. Loin d'imaginer tout ce qui se trame, Ono envisage d'enregistrer un nouvel album. Titre proposé: It's Alright.

AOÛT 1982

Rosen, fauché et déprimé après avoir été exclu du projet, tente de vendre son histoire à des éditeurs et à des magazines, dont PLAYBOY. Il a récupéré ses propres journaux et certains documents, y compris des bandes, du raid de Seaman, et se présente aux éditeurs comme ayant une mémoire photographique. Lorsqu'il découvre que personne ne touchera à l'histoire sans toute la documentation, il demande à un ami d'appeler Mintz et suggère que «certains matériaux» lui seront retournés contre paiement. Mintz menace d'appeler la police, et enfin, Rosen décide de collaborer.

À présent, Havadtoy qui négocie avec Rosen. Ce que Rosen a dit à propos de Seaman et de certains journaux manquants suffit à convaincre Havadtoy qu'Ono elle-même devrait rencontrer Rosen. Une réunion a lieu dans les bureaux de Lenono, et là Rosen déballe tout - les vols, la conspiration, tout.

Les jours suivants, Rosen est mis sur le grill par Mintz, Havadtoy, les avocats représentant Ono et, finalement, le bureau du procureur du district de New York. Depuis qu'il s'est manifesté volontairement, Rosen n'est accusé de rien pour le moment (et soutient qu'il était essentiellement dupe de Seaman). Parce que Rosen prétend craindre pour sa vie et être à bout de force, Ono le paie pour qu'il séjourne dans un hôtel, en échange de quoi il remet des copies de ses propres journaux, qui l'incriminent lui et les autres.

L'étendue du complot et la durée sur laquelle il s'étale étourdissent Ono, la faisant se sentir à la fois stupide et blessée. La masse de documents volés est stupéfiante: des classeurs entiers remplis de papiers, de manuscrits, de lettres d'amour, de photographies privées, de vêtements de Lennon et, pire que tout, de ses journaux intimes.

Le souci primordial est que Seaman ne détruise pas les matériaux. En appelant l'oncle et la tante de Seaman, Norman et Helen, Havadtoy tente de faire passer un message, demandant à Fred de rendre les documents et de se soumettre à la justice. En réponse, Norman relaie un message de Fred: «Laissez Yoko me poursuivre en justice; cela signifiera un million de dollars de publicité gratuite»

Le lendemain, Seaman lui-même appelle Ono au Dakota. Il dit qu'il est vrai qu'il a les journaux et qu'il les a pris pour s'assurer que Julian les lira. Nerveusement, il ajoute: «Si vous ne faites rien d'imprudent, les journaux pourraient retrouver leur chemin.» La conversation, enregistrée par Mahoney, se termine par une déclaration catégorique de Seaman: «je ne voudrais pas que quelque chose n'arrive à toi et à Sean».

Plus tard ce soir là, Ono décide que cette fois elle n'ira pas se prostrer dans sa chambre et décide de continuer à travailler sur son album. Mais à cause de ce qu'elle a entendu dans la voix de Seaman, elle commande encore plus de sécurité pour elle-même et Sean.

Havadtoy continue d'utiliser Norman Seaman pour tenter de négocier avec Fred. Norman est l'une des plus anciennes connaissances personnelles d'Ono, remontant à ses jours en tant qu'artiste conceptuelle à Greenwich Village. Plusieurs jours après l'appel de Fred, Havadtoy est attristé de découvrir que Norman le couvre.

«Fred l'a fait pour le bien de Julian», dit Norman à Havadtoy. «J'ai vu John donner son journal à Julian en 1979. J'étais là quand il l'a fait.»

«Norman», souligne Havadtoy, «nous savons que les journaux ont été tenus jusqu'en 1980. Comment aurait-il pu les donner à Julian en 1979 ?»

Un appel à Julian en Angleterre confirme ce point. Havadtoy est dans l'appartement en train de discuter du mensonge de Norman avec Ono, quand ils reçoivent un appel de la réceptionniste : un homme s'identifiant comme Willie Wilson est arrivé au Dakota avec une boîte pleine de papiers, il parle de John Lennon et de quelques journaux.

Havadtoy se précipite en bas pour rencontrer un homme noir mal habillé qui ouvre rapidement la boîte et lui permet de jeter un coup d'œil sur le contenu. On voit immédiatement une photocopie d'un journal écrit à la main par Lennon, daté de 1980, et trois volumes reliés qui semblent être des journaux originaux.

«Où les avez-vous?» Demande Havadtoy.

«Un junkie à Harlem», Wilson hausse les épaules.

«Comment avez-vous su les amener ici ?»

«Il n'a pas fallu trop de cerveaux pour savoir d'où venaient les choses», dit Wilson.

Havadtoy soupçonne Wilson de fabriquer l'histoire du junkie et menace d'appeler la police et de l'inculper d'extorsion. Wilson propose rapidement de récupérer plus de matériel volé de la même source à Harlem si Havadtoy ne dit rien à la police. Wilson dit qu'il lui en coûtera 5 000 $ pour obtenir le reste des journaux. Havadtoy accepte naïvement de payer Wilson. L'homme prend l'argent, sort du Dakota et ne revient jamais. Au grand dam de Havadtoy, il s'avère que, mis à part la photocopie de 1980 du journal de Lennon, les autres journaux ne sont pas de Lennon mais de Fred Seaman.

Une fois passé l'embarras d'avoir été dupé, Havadtoy se rend compte que le fait d'avoir les journaux de Seaman offre un bonus inattendu. Après examen, la portée de la conspiration devient évidente lorsque les indices du journal de Seaman sont recoupés avec ceux du journal de Rosen. D'après leur lecture il apparait probable que Schonfeld, en tant que financier, soit en possession des journaux. Il a, après tout, avancé 33 000 $ à Seaman, si l'on en croit les journaux des conspirateurs. Havadtoy appelle Schonfeld.

Le riche marchand de diamants convient qu'il sait peut-être comment récupérer les journaux de Lennon - contre «compensation». Ono et Havadtoy se concertent et acceptent de payer l'homme. «Nous n'avions pas le choix», dit plus tard Havadtoy. «Si nous avions simplement appelé la police, les journaux auraient sans aucun doute été détruits.» Et donc, pour une «dépense» de 60 000 $ »,  Schonfeld s'engage à obtenir le retour en toute sécurité de tous les journaux originaux de John Lennon.

À l'heure convenue, Schonfeld arrive avec un sac rempli de documents. Il y a des dossiers contenant des documents des bureaux de Lenono, des photographies, des lettres, la nouvelle - et quatre journaux new-yorkais reliés remplis de l'écriture de John Lennon. Schonfeld sourit en remettant à Havadtoy une enveloppe qu'il dit être un «cadeau pour Mme Lennon». C'est un dessin de Lennon.

Il n'y a cependant pas le journal de 1980. Puisque Havadtoy a vu la photocopie de Willie Wilson, il sait que c'est potentiellement le plus précieux pour l'histoire; il a été rempli jusqu'au jour de la mort de Lennon.

«Où est 1980?» demande-t-il à Schonfeld.

«Je ne sais rien d'un journal de 1980», dit-il.

Après plus de discussion, Schonfeld insiste sur le fait qu'il a respecté sa part du marché, n'a pas connaissance du journal manquant et repart avec son chèque.

Le journal original de 1980 ne refait jamais surface et il est même prouvé que les journaux précédents ont été falsifiés. Mintz dit après les avoir examinés qu'il semble y avoir des écritures différentes, et une note glaçante est découverte plus tard dans le journal de Fred Seaman : «Nous (DeBilio et Seaman) avons des discussions enflammées sur la nécessité de trafiquer le journal afin de créer une plus grande intimité. Comme si Lennon m'avait chargé de le rédiger en son nom». A ce moment là, les journaux de Lennon étaient en possession du gang du Projet Walrus depuis plus d'un an.

SEPTEMBRE 1982

Le printemps dernier, Sean a demandé à une amie de l'école, Caitlin Hair, 7 ans, de passer le week-end avec lui à Cold Spring Harbor. La petite-fille de sa nounou Helen Seaman, Tanya, les a également rejoints. Pendant qu'ils jouaient, Caitlin est apparemment tombée. Maintenant vient la nouvelle que la mère de Caitlin poursuit Ono pour 1 050 000 $.

Comme le garde du corps avant elle, la nounou avait reçu des instructions spécifiques d'Ono pour s'occuper de Sean. Parmi eux figurait l'ordre que, ce week-end particulier, aucun visiteur ne soit emmené dans le domaine de Cold Spring Harbor. Quand Ono, bouleversé par le procès, demande à Helen pourquoi ses ordres ont été annulés, Helen explique que Caitlin et sa mère se sont présentées de manière inattendue au domaine de Long Island. Elle ne pouvait pas les refuser, n'est-ce pas?

En fait, comme Ono le découvre plus tard, Helen a affrété une limousine facturée à Lenono pour aller chercher les enfants à New York et les amener à Cold Spring Harbor. Cette fois, Ono en a assez des Seaman. Pour avoir désobéi aux instructions et avoir menti à ce sujet, Helen est congédiée, non sans recevoir une pension annuelle de 10 000 $.

«Cela a été très difficile pour Sean», dit Ono avec fermeté à un visiteur. «Premièrement, Sean perd son papa. Puis son garde du corps (MacDougall), dont il était devenu proche. Et maintenant Caitlin et Helen. Sean semble très équilibré, mais je crains qu'il ne lui soit difficile de faire confiance aux gens.»

OCTOBRE 1982

Si elle sent que les proches la laissent tomber, Ono a au moins un ami dans le monde des affaires qui l'a soutenue. Eddie Germano, propriétaire des studios Hit Factory, où elle et Lennon ont enregistré Double Fantasy, lui a donné réconfort et conseils au fil des mois. En fait, quand elle se sépare enfin de Geffen, c'est Germano qui lui propose de parler avec un de ses amis proches chez PolyGram Records, qui est extrêmement intéressé par son travail. Mise en confiance, elle rencontre des dirigeants de PolyGram, qui lui proposent un excellent contrat.

Germano l'appelle pour lui dire que les dirigeants de PolyGram sont très enthousiastes à propos de son album It's Alright et que, par gratitude, ils veulent lui payer une commission d'environ 50 000 $. Même s'il lui a dit auparavant qu'il ne recevrait pas d'argent pour l'avoir mise en contact avec la maison de disques, est-ce que ça la dérange s'ils lui paient quelque chose ? Très bien, dit-elle, heureuse qu'un ami puisse bénéficier d'un rôle d'intermédiaire honnête.

DÉCEMBRE 1982

Ono sort It's Alright , un album solo qui reçoit les éloges de critiques jusque là sceptiques. C'est une question à laquelle elle est profondément sensible - les accusations selon lesquelles elle est sans talent musical, uniquement capable d'exploiter les restes de son mari décédé. C'est une sorte de reconnaissance, et l'ambiance dans le Dakota s'éclaircit sensiblement pour la première fois depuis des mois.

FÉVRIER 1983

Ono est informé que son bienveillant ami Eddie Germano a en fait reçu 600 000 $ de PolyGram en guise d'avance sur les albums d'Ono et Lennon, plus un pourcentage sur chacun de leurs disques édités par PolyGram. Ono a le sentiment qu'il a non seulement profité d'elle, mais lui a menti. C'est une trahison finale pour Ono. «Eddie était l'une des personnes les plus proches de moi», dit-elle. «Je pensais vraiment qu'il était un ami.»

Elle est assise dans sa salle blanche «égyptienne» (avec un véritable sarcophage dans le coin), sirotant du thé et mélangeant ses cartes de tarot. "Pourquoi cela arrive-t-il ?demande-t-elle à un visiteur. Qu'il s'agisse d'argent ou de quoi que ce soit d'autre dans sa vie, les pressions extérieures semblent ne jamais devoir ralentir. Le courrier continue d'affluer au Dakota - en 1981, il y avait plus de 250 000 lettres - la plupart d'admirateurs. Mais maintenant, les psychopathes semblent accélérer le rythme. Ono ouvre une lettre devant le visiteur et la lit. Elle dit, en partie: «Pour accomplir la prophétie, je vais vous tuer. Vous n'étiez pas censé avoir survécu.» Cigarette tremblant légèrement entre ses doigts, elle compose le numéro de Mahoney. Une autre enquête.

Quelques jours plus tard, une autre lettre de menaces arrive, et celle-ci n'est pas traitée de manière aussi routinière. Depuis plusieurs mois, quelqu'un en Floride envoie des lettres annonçant l'existence d'un fan club Mark Chapman, se terminant par la salutation «Death to Ono». Dans cette lettre, qui est accompagnée d'un album de disques criblé de balles, l'écrivain annonce qu'il est venu à New York avec son frère pour la tuer.

Mahoney, qui a travaillé dans la division criminelle d'élite de New York, intensifie la sécurité autour des appartements. Il dit à Ono qu'il ne peut pas garantir sa sécurité au Dakota et elle emménage dans un hôtel du centre-ville. Rapidement, elle se rend compte qu'elle ne peut pas faire cela éternellement et dit à Mahoney qu'elle retourne dans sa propre maison, craintive ou non. Mahoney et les autres gardes, tous des agents de police hors service, renforcent leurs patrouilles dans les couloirs du Dakota.

Les frères du Fan Club Mark Chapman ont été repérés, suivis et perdus de vue. Pour tous ceux qui visitent Ono pendant cette période, la scène est incongrue: Ono, Sean et Havadtoy se blottissent dans la cuisine, alors que leur cuisinier tranche des légumes pour le sukiyaki ; juste au-delà de la cuisine, dans les couloirs aux murs desquels trônent des photos de John et Yoko lors de rassemblements pour la paix, et la célèbre affiche WAR IS OVER, patrouillent prudemment des gardes lourdement armés.

Un après-midi, alors qu'Ono est au studio d'enregistrement, il y a un appel de la réception, disant qu'un homme correspondant à la description de l'un des frères de Floride a été repéré caché près du Dakota. Mintz met un gilet pare-balles et s'approche de l'homme et lui demande l'heure. Quand l'homme regarde sa montre, sa veste relevée laisse apercevoir la crosse d'un pistolet qui sort de sa ceinture. Il s'éloigne immédiatement, appelle la police et les regarde arriver et arrêter l'homme. Bien que l'autre frère soit toujours en liberté, l'homme admettra qu'ils avaient l'intention de «capturer» Ono, il est appréhendé - puis relâché.

MARS 1983

Il reste peu de personnes à qui faire confiance, et Ono dépend principalement de ses gardes du corps pour se sentir en sécurité. Ainsi, lorsqu'un appel anonyme est reçu disant que l'un de ses agents de sécurité travaille contre elle, la paranoïa autour des bureaux de Lenono est presque palpable. Peu importe que Mahoney l'assure de sa confiance totale en son personnel, l'idée que quelqu'un chez elle puisse la tuer a été plantée. Elle recommence à mal dormir. Lors de discussions avec Havadtoy et Ono, Mintz se demande si les menaces et les appels peuvent faire partie d'un complot. Non seulement il y a Seaman, qui court partout répandre du poison sur la «veuve noire», mais il y a tous ces assistants répudiés….

L'implication de Ono dans des batailles commerciales monumentales qui incluent les affaires non résolues d'Apple et des Beatles, aliment également la peur. Des dizaines de millions de dollars sont en jeu. L'une des parties prenante à cette guerre pourrait-elle être si désespérée ?

Les rumeurs et les menaces continuent. Une nuit, Ono quitte sa chambre et découvre son fidèle assistant, De Palma, assis sur une chaise près de la porte de la chambre, une arme de poing rentrée dans sa ceinture. Étonné, Ono demande ce qu'il fait. De Palma lui dit qu'il est à son «poste». "Vous ne savez pas à quel point la menace est grande!" dit-il avant de s'éffondrer en larmes«Les gens qui font ça sont trop puissants pour qu'on puisse les combattre !» Quelque temps plus tard, De Palma démissionnera avec la gratitude d'Ono pour sa loyauté.

La peur est endémique dans le Dakota, et l'étrange séquence d'événements des jours qui suivent ne fait rien pour la dissiper: il y a deux intrusions mystérieuses dans l'appartement; un jeu de clés est retrouvé à l'intérieur d'une chambre tenue constamment fermée de l'extérieur; lorsque la famille et le personnel assistent à la fête d'adieu de De Palma, ils trouvent à leur retour toutes les portes verrouillées de l'intérieur; la maison de Mahoney est cambriolée et seuls les dossiers concernant les hommes armés de Floride sont emportés.

Plus bouleversante encore est la découverte peu de temps après de dispositifs d'écoute implantés dans les bureaux de Lenono et dans l'appartement d'Ono. Mahoney ne peut pas déterminer l'origine des mouchards, mais il sait comment les détecter et les supprimer. Quelques jours plus tard, il inspecte à nouveau les bureaux par précaution - et constate que certains micros ont été remplacés. Mintz en arrive à la conclusion que les menaces, les effractions et les écoutes téléphoniques font partie d'un complot visant à discréditer Ono et salir la mémoire de Lennon. Il a ses soupçons mais ne les divulguera pas sauf pour dire qu'il croit que les ennemis d'Ono sont «extrêmement puissants».

Quant à Ono, dit-elle au rare visiteur en qui elle a confiance: «Je ne peux pas comprendre la méchanceté de tout cela».

AVRIL 1983

Ono apprend que Fred Seaman a décroché un contrat de livre avec Simon & Schuster, pour une avance de 90 000 $ (dont un tiers revient à un ghostwriter).

Dans leur naïveté, Ono et Havadtoy pensaient qu'avoir payé Seaman l'aurait tenu hors de leur vie. Il semble maintenant sur le point de publier un livre diffamant Ono et la mémoire de Lennon. On dit aussi que l'ancien agent de sécurité MacDougall coopère avec Seaman et que d'autres employés mécontents pourraient également être impliqués. Mais la rumeur la plus forte est que le livre sera largement basé sur les journaux intimes de John Lennon.

Il est temps d'arrêter le travail de détective interne et d'engager de véritables poursuites judiciaires. À la demande d'Ono, Havadtoy appelle la police et Seaman est enfin arrêté pour son vol. Après l'arrestation, la police fouille le domicile de Seaman et un box de stockage qu'il a loué et trouve une partie de l'équipement électronique volé. Seaman restitue ensuite des photocopies des journaux de Lennon, ainsi que des bandes et des diapositives. Bien qu'il existe une photocopie du journal Lennon 1980 identique à celui que Willie Wilson a livré, il n'y a aucune trace de l'original.

Plus tard, quand il sera libéré sous caution, Seaman invitera un visiteur dans son appartement à Brooklyn Heights et lui donnera un aperçu de son obsession: le lieu est un sanctuaire virtuel à la mémoire de John Lennon. Il y a des photographies et des affiches de Lennon accrochées partout, des disques d'or de Double Fantasy, une bibliothèque de livres sur Lennon, d'énormes piles de disques et des bandes de chansons de Lennon. Seaman enclenchera une cassette dans le lecteur et projettera des diapositives sur un mur nu: John, Yoko, Sean, Helen et d'autres en train de jouer à Cold Spring Harbor, aux Bermudes, à Palm Beach. Lorsque le diaporama est terminé, il s'assoit et regarde par la fenêtre, se frottant les mains, marmonnant: «La veuve noire va être détruite».

Près de la porte d'entrée de l'appartement de Seaman se trouve un autre souvenir: une œuvre d'art de Yoko intitulée A Box of Smile. Le visiteur ouvre la boîte et trouve un miroir à l'intérieur du couvercle.

MAI 1983

Il semble que l'été qui arrive verra John et Yoko trainés dans la boue. Le premier d'une série de livres est sorti: The Love You Make, de l'ancien directeur d'Apple Peter Brown et de son collaborateur Steven Gaines. «Ne vous en faites pas», dit Havadtoy à Ono. «Personne ne prend ces déchets au sérieux.» Mais au milieu de l'été, le livre est un best-seller et partout les journaux affichent en extrait des bannières proclamant "COMMENT YOKO A VOLÉ JOHN A SA FEMME."

Ono et Havadtoy déjeunent au Russian Tea Room à New York la semaine où est publiée le livre de Brown. Par coïncidence, Brown est là aussi, et pendant le repas, il reçoit un appel lui annonçant une bonne nouvelle : les droits pour une édition en livre de poche ont été achetés pour 750,000 $. Alors qu'il quitte le restaurant, il s'arrête à la table de Ono et Havadtoy et salue le couple. Havadtoy lui jette un regard noir et refuse de lui serrer la main, mais Ono lui fait un signe de la tête calmement lorsqu'il dit: «Nous devrions déjeuner ensemble»Le lendemain, on demande à Brown si les membres des Beatles lui «parlent» encore. Il dit qu'il vient de rencontrer Ono et "qu'Elle est très contente du livre."

Le livre de John Green, Dakota Days, suit peu après, des extraits sont publiés dans PenthouseGreen, vantant son «excellente mémoire», retranscrit sur plusieurs centaines de pages des conversations entre lui, John et Yoko, dépeignant Ono comme une harpie irrationnelle jalouse du talent de Lennon. Il se présente comme le cerveau derrière le succès commercial d'Ono et prétend avoir donné à Lennon l'idée d'utiliser son statut de mari au foyer pour dissimuler sa perte d'inspiration. Il fera la promotion du livre en tirant les cartes du tarot à des modèles de Penthouse Pets dans un club du magazine.

Dans la foulée du livre de Green vient celui de May Pang, racontant sa liaison avec Lennon lors de sa séparation d'avec Ono. Dans Loving John, qui fera la couverture de magazine Us, Pang décrit Lennon comme un alcoolique vicieux que Ono parviendra à refaire tomber sous sa coupe en détournant une séance d'hypnose destinée à le faire arrêter de fumer ! Ces affirmations recevront un large écho et seront reprises avec sérieux dans les médias.

Tout au long de l'été, Ono garde ses réactions pour elle-même, mais alors que certaines histoires filtrent dans la presse, elle répond finalement calmement à un journaliste : «Le livre de Green est particulièrement malhonnête. Il n'a presque jamais rencontré John».

Mintz, assis à proximité, ajoute: «Il est rempli de conversations imaginaires. Et pour ce qui est d'inventer l'histoire de l'homme au foyer, John était aussi fier de rester à la maison avec Sean que de tout ce qu'il a jamais fait».

En ce qui concerne le livre de Pang, Ono admet que Lennon pourrait être un terrible buveur, mais concernant l'affirmation la plus sensationnelle de Pang - qu'il a été hypnotisé par Ono tout en étant guéri de son habitude de fumer - elle fait remarquer avec ironie que Lennon était fumeur jusqu'au jour de sa mort.

Havadtoy, qui a plus d'une fois admis qu'il est difficile d'avoir une relation avec une femme dont le mari idolâtré vous toise depuis des photos affichées sur tous les murs, est mis en position de défendre la sincérité de l'amour entre John et Yoko: «Pour quelque raison que ce soit, tous ces gens essaient de prouver que leur relation était mauvaise, mais ce n'est tout simplement pas vrai. Leur musique le prouve  plus que tout. Leur amour était la chose la plus importante de leur vie».

Ono et Lennon n'hésitaient pas à partager cet amour avec le public, parfois même sur des photographies. Mais cela aussi s'avère avoir un côté sordide. Un soir, le téléphone sonne à l'étage et Havadtoy prend l'appel. Le New York Post veut un commentaire d'Ono sur un rapport selon lequel certaines photographies nues d'elle et de Lennon sont à l'origine d'une étrange tentative de meurtre à la Nouvelle-Orléans. Il semble qu'un homme qui prétend avoir trouvé un album de photographies dans une poubelle (elles avaient en fait été sous la garde de Fred Seaman quand il travaillait au Dakota) était en colère contre l'intention de sa petite amie de les rendre plutôt que de les vendre à un magazine, comme il voulait le faire. De rage, il a tenté de la tuer et a été arrêté par la police. Les photographies, qui ne sont guère explicites, seront néanmoins publiées par Swank en octobre.

Le 27 mai, Seaman plaide coupable de vol au second degré et est condamné à cinq ans de mise à l'épreuve. Sa sentence est subordonnée à son accord de ne pas révéler ce qui se trouve dans les journaux de Lennon. En échange de cette peine clémente, il aurait accepté de coopérer à l'enquête sur les autres personnes impliquées.

Contactés pour raconter leur version de l'histoire, DeBilio et Dufay n'ont pas donné suite; Schonfeld éructa dans le téléphone qu'il ne sait rien de John Lennon, Fred Seaman ou de tout journal; et Rosen déclara: «Je savais probablement au fond de moi que les journaux avaient été volés, mais je ne me le suis jamais avoué - j'étais dans le déni».

JUIN 1983

Le magazine People prépare un article sur le flot incessant de livres nauséabonds qu'il appelle la «BRADERIE DE JOHN LENNON». Puisque Seaman a toujours un contrat pour écrire un livre, bien que vraisemblablement sans y faire référence aux journaux de Lennon, People décide d'inclure Seaman dans sa rafle. Sur le chemin du déjeuner un après-midi, Ono et Havadtoy se promènent dans Central Park et organisent une séance photo pour le magazine: tandis qu'à quelques mètres d'eux, Seaman pose devant le Dakota pour un autre photographe de PeopleLes yeux d'Ono croisent ceux de Seaman mais aucun mot n'est échangé.

Néanmoins, l'obsession de Seaman est clairement devenue maniaque. Il appelle un journaliste à des heures indues, en disant seulement: «Qu'est-ce que ça fait d'être inutile ?» puis appelle le Dakota avec le même message énigmatique. Il répand des histoires sur la méchanceté d'Ono - qu'elle est toxicomane, qu'elle avait des aventures avant la mort de Lennon, qu'elle a fait arrêter McCartney au Japon pour possession de marijuana. Seaman admettra à ses amis que les calomnies visent à «discréditer Ono à tout prix». L'ancien colocataire de Havadtoy, le coiffeur Luciano Sparacino, ajoute plus de harcèlement en essayant de lui soutirer de l'argent après avoir été approché par des médias comme semble t-il tous ceux qui ont été plus ou proche, même de très loin, du couple. Sparacino vendra ensuite à la presse tabloïd un compte rendu de la façon dont Lennon avait prévu de divorcer d'Ono avant sa mort, et comment Ono et Havadtoy s'étaient secrètement mariés en Hongrie. 

Les histoires, qui circulent irrépressiblement dans New York, font des ravages. Il en va de même pour les «événements inexplicables» qui se poursuivent autour du Dakota: des passeports sont manquants puis réapparaissent quelques jours plus tard sur la table de la cuisine; des paroles de nouvelles chansons disparaissent puis réapparaissent tout aussi mystérieusement; les collages de Lennon qui étaient admirés disparaissent puis réapparaissent dans des lieux inattendus. Cela commence à ressembler au film Gaslight , dans lequel une femme a l'impression de devenir folle.

Par un chaud après-midi d'été, Mahoney raconte à un visiteur certains des événements survenus au Dakota au cours des dernières années et pointe le doigt vers un gros dossier étiqueté DERANGED. Il contient toutes les lettres reçues par Ono d'auteurs clairement perturbés. Il sort une enveloppe en guise d'exemple, c'est une lettre adressée à un homme en Italie avec le Dakota comme adresse d'expéditeur. La lettre a été retournée avisée destinataire inconnu. Le nom de l'expéditeur soi-disant domicilié au Dakota : Mark David Chapman.

Le plus étrange, c'est le cachet de la poste — août 1980. Quatre mois avant que Chapman ne tue Lennon. Preuve, à tout le moins, de préméditation. La lettre est bavarde et anodine, à l'exception d'une mention faite à propos d'une «mission» à New York.

Mahoney précise qu'Ono n'a pas vu cette lettre, mais qu'il a l'intention de la lui faire parvenir à l'étage.

Un soir quelque temps plus tard, la conversation dans la cuisine du Dakota est intense; des appels étranges ont été reçus de Seaman; la spéculation est monnaie courante sur qui pourrait être à l'origine des disparitions et des réapparitions mystérieuses; pourrait-il s'agir de l'imagination surchauffée ? De toute évidence, les participants à la conversation - Mintz, Ono et Havadtoy - montent en température. Pendant une accalmie, une enveloppe posée sur la table est ramassée avec désinvolture - et cela ressemble à la lettre dérangée de Chapman que Mahoney a reçu. Mais ce n'est pas elle. Le cachet de la poste, indiquant clairement 1980 cet après-midi, stipule maintenant 1981. La lettre à l'intérieur, bien que similaire en apparence et ton, est également différente : il n'y a aucune mention de la mission à New York. Quelque chose a été modifié.

Les implications possibles sont discutées et tout le monde devient extrêmement agité. Assis autour de la table de la cuisine, tous se demandent qui aurait pu échanger lettre et l'enveloppe. Un membre du cercle restreint ? "Qui ?" Demande Ono. "Je veux savoir" Tous les trois se regardent avec crainte. Plus de Gaslight .

A ce jour, la lettre «Chapman» reste inexpliquée.

JUILLET 1983

L'été chaud de 1983 passe lentement. Ono est de retour en studio d'enregistrement, pour mixer Milk et HoneyElle y passe des heures à écouter les diverses versions des dernières chansons de Lennon - Living on Borrowed Time, Grow Old with Me -encore et encore. C'est presque masochiste, et Havadtoy la console en demandant à l'ingénieur de rembobiner la bande pour ce qui semble être la 100eme fois. Sean est souvent avec elle, appréciant la voix de son père qui sort des haut-parleurs, et tout aussi souvent il a hâte de retourner dans sa chambre, où il peut se défouler sur un jeu vidéo BurgerTime.

AOÛT 1983

Il y a enfin de bonnes nouvelles. Simon & Shuster ont abandonné leur projet de publier le livre de Seaman. Les éditeurs ont apparemment trouvé trop d'affirmations infondées et ses droits sur les sources sont contesté.

Le soulagement sera de courte durée. Il se dit très vite que Seaman a accepté de coopérer avec Albert Goldman, plutôt que d'essayer de publier son propre livre. Goldman est connu pour être un écrivain talentueux mais perspicace dans son évaluation des goûts de lecture: le scandale se vend, et le plus sale sera le mieux, comme il l'a fait avec ElvisAvec une avance de 900 000 $ et avec des sources réticentes à lui parler parce qu'Ono a fait connaître ses sentiments, il est sur place - il doit produire. Il y a donc des rapports selon lesquels il a embauché quelques femmes pour approcher quiconque a quelques ragots sordides sur Lennon et proposer de les retranscrire contre paiement. Au moins une personne, Tony Manero, un musicien qui a connu Lennon brièvement pendant les années 60, affirme que Goldman lui a offert de l'argent pour l'exclusivité de son histoire d'une liaison homosexuelle avec Lennon. Le seul problème, dit Manero, c'est que la liaison n'a jamais eu lieu. Puis le coiffeur Sparacino admet avoir négocié avec Goldman pour lui vendre ses souvenirs. Il prétend être le seul à connaître le «véritable» déroulé de la dernière année de Lennon. «Seuls John, Yoko et moi connaissons la vérité», dit-il. «John ne peut pas le dire. Yoko ne le fera pas, moi je le ferai.»  Une intention qui a au moins la mérite de faire rire Ono. «John ne lui a même jamais parlé», dit-elle.

Que Goldman soit la nouvelle frénésie des cercles d'édition ne le désigne pas coupable, mais une source possible sur la vie privée de Lennon, qui a refusé de signer un accord exclusif pour raconter son histoire dans le livre à paraître, a découvert que sa maison avait été cambriolée peu de temps après - et que seuls les documents concernant Lennon avaient été volés.

Goldman soutient que son livre sur Lennon sera différent de la biographie sensationnaliste d'Elvis parce qu'il a «un profond respect» pour Lennon, et il nie offrir de payer quiconque. «Je ne fais jamais ça», dit-il. Il partage cependant droits d'auteur et pourcentages avec Lamar Fike, un proche d'Elvis qui lui a servi de source principale...

Interrogé, Goldman nie qu'il utilisera du matériel de Seaman mais reconnaît qu'il voit certaines choses du point de vue de Seaman - accusant Ono d'avoir manipulé le bureau du procureur du district de New York («Elle a poursuivi Fred avec la coopération avide du bureau du procureur.») et la maison d'édition (« les avocats de Yoko ont mis tellement de pression sur l'éditeur qu'il a décidé de se défiler »).

«À eux seuls, les livres ne sont pas pertinents», résume Mintz. «Qui lit les journaux d'hier ? Ces livres vont et viennent. Yoko peut passer outre, après tout ce qu'elle a vécu ces trois dernières années. Mais dans dix ans, Sean aura 18 ans et il voudra peut-être lire certaines de ces choses pour voir à quoi ressemblait son père. Quel impact cela aura-t-il sur lui? C'est vraiment de l'obscénité à 900 000 $. Est-ce le prix pour priver un enfant de ses rêves et de son héritage ?


C'est la fin d'un été éprouvant. Ono est curieusement détachée du complot, plus calme qu'elle ne l'a été depuis longtemps. Elle est assise dans la salle blanche en train de fumer une cigarette, le piano blanc sur lequel Lennon a composé Imagine derrière elle. Elle rit à la suggestion d'un visiteur que sa vie ferait un formidable feuilleton.

«Non», dit-elle, «c'est trop compliqué pour moi. Je préfère les histoires simples, les contes de fées - peut-être quelque chose de Walt Disney, comme Blanche-Neige et les Sept Nains .

"Avec vous comme Blanche-Neige, sans aucun doute."

«Ouais,» rit-elle à moitié. "Seulement, sept petits livres sortiraient."

SEPTEMBRE 1983

Le mixage de l'album Milk and Honey est presque fini et Havadtoy a terminé la majeure partie de son travail sur un projet que Lennon a conçu et qu'il a poursuivi - un album de chansons d'Ono chantées par différents artistes, tels que Roberta Flack, Harry Nilsson et John Lennon lui-même. Tout peut être fini à San Francisco, décident-ils impulsivement. Assez de paranoïa et de folie new-yorkaise: une bouffée d'air vif et tolérant de San Francisco leur fera beaucoup de bien.

Après une semaine à San Francisco, leur humeur est si bonne qu'ils décident de reporter d'autres projets de voyage pour le Japon et de passer du temps dans la région de la baie. Ils entrent en voiture dans le pays du vin, ils grimpent dans les collines et Sean, pour la première fois depuis des années, peut jouer sans gardien à quelques mètres de là. Ono et Havadtoy se renseignent discrètement: qu'en est-il des écoles de la région? Y aurait-il une maison convenable qu'ils pourraient acheter ? La rumeur se propage et les médias locaux explosent : "YOKO EMMÉNAGE DANS L'OUEST."

Cette fois, l'attention des médias semble bénigne : aucun journalistes ne colporte de ragot, pas de complots pour tirer profit de leur présence. Juste les bains de boue de Muir Woods et Calistoga et le brouillard qui traverse le Golden Gate Bridge…

Un téléphone sonne dans leur chambre d'hôtel. Police de San Francisco. Un homme a été arrêté dans un appartement à environ un kilomètre et demi de là, tirant des balles «d'entraînement» par la fenêtre. Il possède trois armes et 700 cartouches et un certain nombre de livres sur Lennon et Ono. Il a dit à la police qu'il était «après» Yoko Ono.

Une équipe de sécurité de la côte ouest est embauchée et des gardes sont postés à l'extérieur de leur chambre d'hôtel. Un garde du corps prend place à l'école que Sean fréquente temporairement.

Un jour plus tard, leur ancienne vie à New York semblant les traquer, ils entendent parler d'une nouvelle note de publication: le rédacteur en chef de People Jim Gaines a interviewé Mark Chapman pendant plus de 40 heures. Un livre est prévu. La loi du Fils de Sam a été amendée parce que Chapman, qui a écrit à Yoko au sujet de sa promesse sur une «question délicate», ne profitera pas financièrement de sa coopération.

Ono se fige dans sa chambre d'hôtel en sanglotant. «Chapman va le faire ! Il va écrire son livre !» Havadtoy essaie de la convaincre qu'il n'écrit pas vraiment le livre, ne vendant que son histoire sordide, mais cela ne sert à rien. Il n'y a pas moyen d'y échapper. Ils prévoient de retourner à New York.

OCTOBRE 1983

Sean et John Lennon sont nés à la même date, c'est donc aussi bien que la famille soit de retour à New York pour fêter ça. Ono et Havadtoy font du shopping pour Sean, s'arrêtent dans la Petite Italie pour le déjeuner, puis retournent au Dakota. Alors que leur limousine s'arrête, il y a un groupe de fans rassemblés qui s'excitent. Ce sont les loyalistes, ceux qui savent quand est l'anniversaire de Sean, qui suivent les voyages de Yoko. Un Anglais tient devant elle un exemplaire de Double Fantasy pour le signer. Dans une scène qui rappelle les autres jours, les fans grouillent autour d'eux.

Marchant sous l'arche, Ono remarque deux femmes avec leurs enfants. Ce sont Jeri et Jude, parmi les plus fidèles des fans de John et Yoko, ceux qui ont régulièrement salué l'ancien Beatle et sa femme presque tous les jours depuis le milieu des années 70 et ont continué à se tenir à l'extérieur du Dakota après la mort de Lennon. Ono s'approche et dit bonjour, passant son bras autour de l'une des épaules de la femme.

«Nous avons un cadeau pour Sean», dit Jeri.

«Alors pourquoi ne viens-tu pas ?» dit Ono soudainement. Les femmes sont abasourdies. Elles n'ont jamais approché de plus près la maison des Lennon. Elles suivent Ono et Havadtoy avec leurs enfants à la remorque, tandis que le réceptionniste du Dakota les regarde avec suspicion.

Silencieuses, elles ne peuvent que regarder tout autour d'elles lorsqu'elles montent dans l'ascenseur et entrent dans l'appartement. Ono continue de bavarder légèrement sur Sean. «Il a grandi, tu sais. Vous serez surprises».

Sean est appelé, les femmes lui donnent leur cadeau et Ono les invite dans la salle à manger pour prendre le thé. Et là, comme s'ils attendaient depuis trois ans pour le dire à quelqu'un, elles commencent à raconter leur histoire sur la dernière fois qu'elles ont attendu de voir John Lennon. D'abord avec hésitation, puis précipitamment, alors qu'Ono est assise, muette et pâle.

C'était le 8 décembre et bien que Jeri ait dû rester à la maison, Jude était à son poste à l'extérieur du Dakota, comme toujours. Elle remarqua le jeune homme d'Hawaï qui s'était déjà mêlé une fois parmi les habitués. Il la reconnut et vint lui montrer le tout nouvel exemplaire de Double Fantasy qu'il allait essayer de faire signer par Lennon. Comme il ne semblait pas que Lennon ou Ono apparaissent de si tôt, il demanda à Jude de déjeuner avec lui et elle accepta.

Ils ont mangé de l'autre côté de la rue dans un café. Il lui a parlé agréablement de sa maison à Hawaï. Jude a dit: "J'adorerais voir Hawaï, mais je ne pourrai probablement jamais."

L'homme l'a avertie: «Ne pense pas de cette façon. tu peux accomplir tout ce en quoi tu crois vraiment ! »

Vers 16 heures, Jude a dû partir. Elle essaya de convaincre l'homme qu'il devrait renoncer à attendre Lennon et revenir une autre fois. Il faisait si froid ! Mais il est resté.

À 23 heures, Jeri a appris que John Lennon avait été abattu. Quelque temps plus tard, lorsque sa mort a été annoncée et que le nom de l'homme qui l'avait assassiné a été affiché sur l'écran de télévision, Jude s'est rendu compte qu'il était celui avec qui elle avait déjeuné.

Ono ne dit rien mais les remercie d'être venues. Au moins, elle se sent bien de les avoir invitées. Ce fut peut-être le jour le plus important de leur vie, partager ces moments avec Sean dans la maison de John Lennon. Il fut un temps où le Dakota était ce genre d'endroit: un couple d'adolescents pouvait entrer par effraction dans les bureaux et se retrouver embauché par Lennon et Ono. Une touche d'antan.

Le lendemain, le jour de l'anniversaire de Sean et John, alors que des amis et des enfants sont venus pour la fête, les fans se sont de nouveau réunis à l'extérieur du Dakota, certains brandissant des affiches et des photographies. Ils commencent à chanter des chansons de John Lennon. Ono est à l'étage et entend les voix. Elle est interrompue par la sonnerie de l'interphone. Elle répond. C'est le portier en bas. Un homme qui cherche Yoko Ono, s'est glissé dans le bâtiment.

Titre original : The Betrayal of John Lennon
Vicki Sheff

Traduction Hugo Spanky

6 commentaires:

  1. Crénom ! J'avais zappé le truc (paru à une mauvaise période 🥴)
    C'est un truc de dingue. Et on comprend mieux certaines choses vis-à-vis de Yoko.
    Il y a vraiment des minables

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    1. Oui, cette affaire est vraiment flippante. Quand on ajoute à tout ça qu'ils ont eu le FBI aux fesses entre 1970 et 1975 avec téléphones sur écoute, menaces et filatures, on peut mieux mesurer la détermination qu'il leur a fallu pour ne pas dévier de leurs convictions. L'amour qui les unissait aussi pour que leur couple survive à ces tensions.
      Je crois que les extrémistes américains n'ont jamais digéré la déclaration de Lennon sur le Christ. Le fait qu'il épouse une japonaise ne devait pas être tellement mieux perçu. Entre le Christ, Pearl Harbour et leur opposition affichée à la guerre au Vietnam, ils ne pouvaient pas manipuler cocktail plus explosif.
      Yoko et Sean Lennon ont vécu longtemps après sous protection rapprochée, Sean a passé son adolescence sous les menaces de kidnapping.

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  2. Effectivement, je me suis toujours demandé si l'influence que pouvait avoir Lennon sur les foules - la jeunesse - et ses discours sur la paix n'ont pas particulièrement "encroté" certains services de l'administration américaine. Le complexe militaro-industriel, comme l'avait déjà appelé Herbert Hoover (soit bien avant DD Eisenhower), ne devait pas apprécier ce genre de propos ; surtout de la part d'un chevelu 😁
    Et puis, où irait l'économie du "sauveur du monde libre" si on se mettait à s'embrasser, à mettre des fleurs aux fusils, au lieu de se foutre sur la gueule 😲
    Ce qui m'interpelle dans ton papier, c'est lorsque que Mahoney tombe dans la paranoïa et lance qu' "ils sont trop forts" (ou un truc comme ça). On tombe dans la complotisme, là, non ?

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    1. Je n'ai fait que traduire l'article, je ne suis pas aussi bien renseigné )) Lorsque Mahoney (ou Minz peut être) évoque un complot, je ne suis par sûr qu'il a tort. L'assassinat de Lennon est bien dans la lignée de ceux dont ont été victimes plusieurs des figures dérangeantes aux USA. Les influenceurs de l'époque étaient autrement plus subversifs que ceux d'aujourd'hui )) Et le traitement qui leur était infligé autrement plus radical, quand ce n'était pas la mort violente, c'était de façon plus sournoise en les faisant craquer sous la pression (Lenny Bruce, Abbie Hoffman) ou des arrestations arbitraires pour des motifs montés de toutes pièces (John Sinclair -que le couple Lennon/Ono contribuera à faire libérer suite à un concert donné en sa faveur et une chanson à son nom comme pour Angela Davis également emprisonnée). La liste serait longue.

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  3. à savoir que des dossiers sont établis sur les personnes pouvant avoir de l'influence sur les masses. Notamment sur les acteurs du divertissement qui peuvent, étonnamment, avoir plus de poids dans leurs propos qu'un économiste et scientifique. Des dossiers qu'on sort si jamais on commence à déranger... Ou sinon, faut rester dans son coin, ne pas espérer faire fortune ou passer à la télévision

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    1. Les archives rendues publiques du FBI confirment l'existence d'enquêtes insistantes sur le couple Lennon/Ono commanditées par le bureau de Nixon. Ils étaient notamment sur écoutes pour leurs relations avec divers gauchistes et leurs participations à des manifestations contre le Vietnam. Le but était d'expulser Lennon qui demandait à obtenir la green card de résident des USA. Le double album commun Some Time In New York City aux textes ultra politisés illustre cette période durant laquelle les inquiètudes de Lennon à propos du FBI furent souvent tournées en dérision par les médias qui n'y voyaient que de la paranoia de drogué. Il ne vivra pas assez pour connaître le fin mot de l'histoire, le secret sur les informations récoltées par le FBI n'ayant été levé que longtemps après son assassinat.

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