jeudi 2 janvier 2014

BRuCe SPRiNGsTeeN, HiGH HoPeS


Bruce Springsteen a de la suite dans les bonnes idées et s'il sait mettre entre parenthèses un projet pour lequel il estime n'avoir pas encore trouvé le ton adéquat, il sait aussi le ressortir de sa manche le moment venu.

Il y a un manque dans sa discographie quelque part dans les années 90, lorsque sous influence d'Antony & the Johnsons il enregistrait Lift me up, lorsqu'en bidouillant tout seul dans son home studio il en sortait des merveilles tel que Missing, Street of Philadelphia, Back in your arms, American skin, Goin' Cali et d'autres éparpillées sans la cohérence que le projet aurait mérité tant cette lost période semble avoir été riche.



High hopes, qui  sera en bac dans une poignée de semaines,  n'est pas cet album fantôme mais assurément il est ce qui s'en rapproche le plus. Dans ses plus brillants moments. Dans l'ordre d'apparition, Harry's place et son saxo à la sonorité proche de celle utilisée par David Bowie sur Black tie white noise pour un résultat qui s'il n'est pas réellement novateur nous emmène néanmoins sur un territoire que Springsteen ne nous avez pas encore fait visiter. Comme plusieurs autres morceaux du disque sa fin abrupte donne une impression d'inachevé non dénuée de charme. La version studio d'American skin enfin révélée confirme tout le bien que je pense de Springsteen quand il œuvre sur cette voie, tout comme le splendide Down in the hole, véritable bijou de l'album avec ses airs de I'm on fire et toute l'intelligence de la production dans ce petit gimmick sur la voix qui permet au morceau de décoller pleinement au moment où se coupe le filtre. Avec Hunter of invisible game et surtout les deux autres chef d’œuvres du disque, placés à sa conclusion, The wall et ce Dream baby dream qu'il devait être saisissant d'entendre à la fin des concerts de la tournée Devils and dust tellement Springsteen s'approprie le morceau de Suicide, ces six titres sont la chair de l'album, sa justification tant leur qualité les hisse au niveau de ce que le Boss a enregistré de meilleur depuis une bonne vingtaine d'années. Ensemble ils forment une sorte de E.P au cœur d'un disque multifonction.

Car le boss est en tournée et ne semble pas avoir envie d'en rester là. La manière dont il se met Rio dans la poche en une poignée de minutes lors du festival Rock in Rio lève le moindre doute, Springsteen veut du live, encore et encore. Puisque la mort rode autour de son E.Street Band, il répond par la vie, une overdose de vie. Et puisque Shackled and drawn s'use plus vite que Thunder road, il remplie la cartoucherie de munition fraîches.


C'est ici que, résonnez trompettes, Tom Morello fait son apparition. En toute discrétion à vrai dire, avec savoir faire et a-propos notamment sur Harry's place dont il habille le final avec habileté. Son morceau de roi vient avec The ghost of Tom Joad dans une version définitivement acrobatique. Dans son habit électrique elle me fait la même impression que la découverte de Born in the USA en version acoustique, elle s'impose comme une évidence.
High hopes qui ouvre les débats et les a précédé en single remplit parfaitement son rôle, compact, pêchu, avec un riff d'accordéon qui d'emblée m'accroche comme chaque fois que notre homme sort cette instrument de sa musette. Just like fire would des Saints devient vite fait bien fait un morceau de Springsteen, enlevé, balancé, avec Little Steven planqué dans les chœurs, une reprise qui a tout pour tenir le rôle du numéro 12 sur la tracklist des concerts à venir. En ce qui me concerne, sa présence sur l'album est anecdotique. 
Heaven's wall retrouve partiellement le ton de The Rising et même s'il n'est pas grand chose d'autre que du remplissage sur lequel Bruce ne semble pas plus investit que ça, il reste globalement plaisant et son bref duel de guitares laisse imaginer de futur empoignades scéniques toutes cordes dehors. Frankie fell in love fait lui office de voyage dans le temps en nous ramenant aux mélodies envolées des 70's, sans doute le morceau le plus E.Street Band dans son orchestration. This is your sword est à première vue un reliquat pas franchement très utile de Wrecking ball dans son versant Pete Seeger. On ne va pas se mentir, celle ci aurait aussi bien pu rester là où elle était.


High hopes ne fera pas taire les grincheux mais il continuera à faire rêver les amoureux. Personnellement je regretterai que Springsteen ne soit pas allé au bout de sa démarche intimiste mais comment reprocher à un homme d'avoir encore trop d'énergie à transmettre pour se contenter de flatter les dérives mélancolique de nos âmes ?

Tel va le Boss au gré du temps qui passe, débarrassé des angoisses de la perfection, il se livre enfin tel qu'on le voulait, dans toute son humanité, laissant telle quelle les imperfections au profit de l'existence. Et je vais vous dire mon sentiment profond, ça fait du bien. High hopes est un disque imparfait qui se veut ainsi, un fourre tout comme les Stones savaient en laisser paraître, un machin qui ne court dans aucune catégorie, qui ne concourt à aucun prix, qui laisse aux autres la futilité du clinquant. High hopes ne verra son éclat s'user sous aucun spotlight, parce qu'il n'est pas conçu pour briller. 

Un disque bref et mal branlé du Boss, un disque sans vision ni concept, on n'avait pas encore ça en vitrine, venant de sa part. Alors il faut chercher ailleurs le sens de tout cela, puisqu'avec lui tout a toujours sinon un sens du moins un but. Wrecking ball était un disque quasi désespéré, le dernier sursaut de Davy Crockett à Fort Alamo, comme si aucun espoir ne subsistait. Et quant on est Le Boss on ne laisse pas ses ouailles sans espoir. 


En laissant fuiter ces douze titres juste avant le réveillon du jour de l'an, Springsteen a offert aux internautes -et dans la foulée à tous les autres- un cadeau qui lui aura assuré au passage d'être dans toutes les enceintes de bon goût aux douze coups de minuit, dans les bars, dans le salon du quidam, à sa place parmi nous, encore et toujours, comme un miracle sans cesse renouvelé. Bruce Springsteen est encore là, la main sur nos épaules. Une main moins ferme sur des épaules moins frêles mais l'important est ailleurs. Seule compte sa présence. Et la notre.  

Hugo Spanky



Le sommaire


Ce papier est dédié à Phil Everly

11 commentaires:

  1. Super idée cette fuite juste avant le jour de l'an ;)
    Après je suis pas fan moi de cet album. Même si les morceaux sont jolis, je n'y trouve rien de saisissant à mon humble avis.
    Sylvie

    RépondreSupprimer
  2. Le problème avec ces disques et j'inclus le disque de la fille Presley et ces chanteuses country que tu conseilles, c'est le son.
    Cette production fout tout en l'air. Ce son moderne trop épais, trop propre me débecte.
    Dommage car les chansons sont surement bonnes mais ca vire de ma platine au bout de 30 secondes... Je suis peut etre trop vieux pour l'époque mais je retourne direct à mes singles de Chuck Berry...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Chope toi A killer's dream de Rachel Brooke et on en reparle.

      Supprimer
    2. Ah Serge, ta critique me rappelle un certain Mr Spanky qu'il n'y a pas si longtemps que cela reprochait exactement le même défaut à tous les disques de Bruce suivant "Born in the U.S.A.": soit donc une production sonore trop clinquante. Il y a mis le temps mais désormais, il a fini par apprécier - et pas qu'un peu, le bougre! - quasiment toute la discographie du Boss. Espérons que cela finisse par t'arriver un jour car assurément, tu passes à coté de grandes chansons.
      Quant aux chanteuses country dont ont fait l'éloge depuis récemment, Hugo a bien raison: écoute Rachel Brooke dont la production sonore est des plus old school et devrait te ravir. En ce qui concerne Lisa Marie, j'estime que le boulot accompli par T.Bone Burnett est en tout point remarquable de finesse.

      Supprimer
    3. Clairement on en est à un stade où faut choisir, soit on écoute toujours pareil, soit on accepte de se coltiner de nouveaux sons et de s'y adapter. Perso, je vois la musique comme je vois la vie, ça fluctue, parfois on en redemande parfois on voudrait le bouton Stop.

      J'aime l'esprit américain qui fait se côtoyer tout et son contraire, qui pour continuer à faire fonctionner la machine met des doses plus ou moins homéopathique de nouveautés dans ses fondamentaux. Ça me va. Et même leur variétoche est de qualité, les nanas savent chanter, danser, se placer nickel sur un morceau et tout ça en se trouvant le petit quelque chose qui va les distinguer les unes des autres.

      En France, on n'a même pas tout et son contraire, on est dans l'uniformité. On s'est fadé dix ans de Quebecois, et là on est en plein dans dix ans de Belges. Ah, si, estampillé bleu blanc rouge on a un clone de charlie winston (christophe maé, donc) qui caracole en tête des ventes avec un produit extra roots from new orleans qui sonne pile poil comme yannick noah quand il nous chantait l'afrique. Super....C'est comment qu'on freine ?

      Alors je ne vais pas en prime poser le diamant sempiternellement sur les 100 mêmes disques pour y entendre le même son, le même refrain. J'ai envie de m'enthousiasmer.
      Hugo

      Supprimer
    4. Décidément plus j'écoute ce "High Hopes" et plus je le trouve décevant. Ce qui constitue une réaction complètement à contre nature de tout album de Bruce qui se respecte. Seuls quelques morceaux tirent leur épingles du jeu ( High hopes, les réinterprétations de American skin (41 shots) et The ghost of Tom Joad, The wall et la reprise - en tout point exceptionnelle, elle - de Dream baby dream) au milieu de pléthores de titres franchement anecdotiques.Pour moi il vient s'ajouter à la courte liste des albums les plus fades de sa carrière juste après donc le catastrophique "Human Touch" et le tiède "The Rising".

      Supprimer
    5. Harry, quel album me conseillerais-tu pour entamer ma réconciliation avec le boss. (J'ai cessé de m'interesser à lui après l'écoute de "the ghost of tom joad" qui m'a beaucoup ennuyé). Un qui sone pas trop rock FM quand même.

      Supprimer
    6. Essaye donc "Devils & Dust", roots mais pas ennuyeux comme "The ghost of Tom Joad" (là, je partage ton avis: les textes ont beau être sublimes ça n'empêche que musicalement parlant on s'emmerde ferme) et, dans le genre entraînant et de haute volée, plonge-toi donc dans le fabuleux "Live in Dublin", une tuerie à te rendre marteau.
      Après, lance-toi dans l'écoute des morceaux Good eye, The last carnival sur l'album "Working on a dream" et Shackled and drawn, Jack of all trades, Death to my hometown sur "Wrecking Ball".
      Gageons qu'après tout cela, tu te laisseras happer par le reste de sa production des années 2000.

      Supprimer
  3. Clairement Hugo, tu as raison: vaut mieux se tourner vers l'avenir et écouter de nouvelles choses.
    Sauf que j'y arrive pas. C'est pas la bonne volonté qui me manque :-)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Mais si, c'est la bonne volonté qui te manque. En même temps on cause futur sur une chronique du nouveau Bruce Springsteen.....
      Ecoute A killer's dream de Rachel Brooke, sérieux, c'est du bon avec un son qui va (très) bien.

      Supprimer
    2. La balade feutrée avec les petites touches décalées dans le production est un registre où Bruce excelle en vieillissant. Ce Down in the hole est une perle qui donne envie d'écouter l'album. Je n'oublie pas que Springsteen est un artiste grand public (middle of the road) capable de prendre des chemins de traverse comme avec l'improbable mais insubmersible "Nebraska" en 1982, sorti derrière le carton The River.

      Supprimer