Les vinyls, bordel, m'en auront fait faire des conneries. J'ai volé, j'ai raconté des âneries plus grosses que moi pour diminuer la valeur d'un album dont je rêvais, juste manière d'en faire baisser le prix. J'ai cramé plus que de raison, aussi, parfois, souvent. J'ai revendu certains pour lesquels je me serais bafoué quelques mois plus tôt. Et je m'en fous. Pire, j'en suis fier. Grâce à autant de méthodes indignes, j'ai voyagé, je me suis nourris. Le temps passé à déchiffrer sous toutes leurs coutures les pochettes que je tenais entre mes mains, je ne le passais pas au bistrot, je ne le passais pas à jouer à être un autre.
Posséder un ordinateur n'a pas arrangé mon cas, même si je dois concéder que cette fourbe bestiole m'a ouvert les yeux sur bon nombre de mes faiblesses. Avec l'achat virtuel fini le disque que l'on glisse sous le manteau, terminé le frisson de dépasser la caisse le sac de sport remplie de galettes finement dérobées. Ne reste plus dorénavant que la tentation et la résignation qu'elle engendre. Sauf que dans le registre résigné y a meilleur exemple que moi.
Joe Strummer fait parti de mes marottes, c'est pas le seul mais c'est assurément l'un de ceux qui me pousse le plus à la déraison la plus totale. Rock art & the X ray style, quelqu'un connaît ? Hum, j'ai déjà les noms de ceux qui lèvent le doigt, vous pouvez vous rasseoir. La chose, dans sa version vinyl, est plus rarissime qu'un mec intelligent accoudé au zinc passé 3 heures du matin, c'est dire. Au point que même des jobastres comme 7red et ma pomme, des gars capables de vous fredonner Rose of Erin, restions convaincu qu'aucun pressage autre que l'immonde cd n'avait existé. Ebay allait nous démontrer le contraire tout en nous faisant au passage méchamment mal au cul. 150 euros sans le port, voilà le prix d'un désir. Là, sous mon nez, un enculé de japonais proposait un exemplaire neuf du vinyl de Rock art & the X ray style. Merde, pourquoi j'ai cherché ? Pourquoi, je suis allé sur ebay US ?
Argh ! J'étais fais comme un rat.
Et j'ai tenu bon, il m'a tracassé ce disque, je dormais mal mais je tenais bon.
Et puis une nuit, la révélation : le tapis berbère de mon Marcel ! Celui là même qu'il est allé sauver de la rivière lors des inondations dans l'Aude. Alors que le niveau montait au rez de chaussée, mon Marcel a foncé, direct, 1m20 de flotte, Gisèle, ma mère, avait beau brailler qu'on s'en fout d'un tapis, mon Marcel avait haussé les épaules et foncé pieds nus, de l'eau jusqu'à la taille, le courant qui manquait de l'emporter lui et son tapis !
Combien ça peut peser un truc pareil en pure laine de l'Atlas marocain ? Déjà sec c'est lourd alors détrempé, vous imaginez. Pourtant il l'a chopé, l'a pas lâché, jusqu'à le hisser en haut des marches avant de le poser sur le parquet de ma mère. Elle, en larmes, le maudissant, le serrant aux épaules, le traitant de fou, lui, son homme, son héros, mon père, Marcel !
Le tapis était sauvé et bien plus que ça au passage. Un morceau de vie que c'est ce tapis, un uppercut au cœur reçu en pleine foire internationale de Dijon (ça s'invente pas). Une journée à tourner autour, à négocier avec le berbère en chef, à évoquer ce Meknès natal quitté à 16 ans et jamais revu depuis autrement qu'en rêves, des heures entières à supporter sans flancher les conseils de raison de ma mère, même moi j'en pouvais plus, pourtant je sentais bien que c'était plus que le décor du salon qui se jouait, c'était Marcel contre le raisonnable, Marcel contre la médiocrité, Marcel qui s'élève dans la vie, qui refuse la fatalité des chiffres, fussent ceux de son compte en banque.
Une brique le tapis ! Il a fallut le faire venir du Maroc, faire intervenir le grand oncle de ma mère (inspecteur des impôts) pour le faire décoincer à la douane, les rapaces voulaient croquer, forcément on était en 1981 la gauche venait de passer, voilà que maintenant c'était Marcel contre Mitterand. Et mon couillon de frère qui à table se vantait de son vote ! Oh punaise, ça volait bas.
Et puis le tapis est arrivé, une brique peut être, mais un triomphe assurément. Marcel vainqueur ! Face à Gisèle, face aux socialos à la con que son dégénéré de fils avait porté au pouvoir, cet ingrat à qui Giscard avait filé le droit de vote, voilà comment il remerciait LE seul candidat valable. Je vous épargne la Renault 20 rayée par les bolcheviques le soir de la "victoire" des pleureuses, des fainéants, des crétins manipulés et incapables de s'en apercevoir. C'était moins une qu'il ne retourne au Maroc ! Ma mère l'a fait redescendre sur terre, certes, mais il a fait venir à lui un morceau du bled. Rien à foutre du prix, c'était ça ou le bateau.
Ouais, c'est tout ça qui m'est remonté, autant dire plus moyen de fermer l'oeil. Qu'un disque me remémore toute cette affaire, ne pouvait être qu'un signe, je me devais d'être à la hauteur (déjà que je suis un brin minable comparé aux 10 000 balles du Marcel) alors j'ai allumé le pc, en pleine nuit, un dingue, et j'ai cliqué partout, fébrile mais en paix. Puis je me suis recouché et j'ai bien roupillé.
Alors merci Joe. Même si, comme un dernier clin d’œil de l'histoire, la douane a serré mon colis et m'a collé 60 euros de taxe en plus. Je m'en fous, j'ai jamais autant ressemblé à mon père que cette nuit là.
La résignation venait de se manger la fierté dans sa gueule.
Hugo Spanky
Putain que c'est beau ! Ça me fend le cœur ! Vive Marcel et son digne descendant. Je vous aime
RépondreSupprimerJ'ai bien cru que tu allais vendre le fameux tapis pour acheter ta satanée galette ...
RépondreSupprimerOh putain vendre le tapis, j'aurai fini roulé dedans. On ne déconne pas avec un Marcel, jamais.
RépondreSupprimerVivre les moments plutôt que de les analyser ! Nadège
RépondreSupprimerUn tapis, un vinyl, la loi du Marcel,
RépondreSupprimerLet's Rock Again !!
Merci mon Dja, moi aussi je t'aime.
RépondreSupprimer