jeudi 16 janvier 2014

JoHN FaNTe



Écrire sur John Fante vous parlez d'une affaire. J'aime tellement ses livres, son écriture me touche à tel point que je m'en suis toujours fait une montagne. Comment avec mon vocabulaire de rebut de collège, j'allais pouvoir rendre justice à un tel talent de conteur ? Un type qui sait aligner des mots jusqu'à en faire des chef d’œuvres capables, plus que de vous faire partager une histoire, de vous la faire vivre à ses côtés.
John Fante c'est un peu le Marcel Pagnol italo-américain, avec le froid et la neige du Colorado en guise de Provence, l'odeur du vieux poêle à bois à la place de celles du thym et du romarin, et une famille dysfonctionnelle pour en finir avec les différences. Pour le reste c'est la même vision, celle d'un enfant entre désir d'émancipation et implication forcenée dans la vie de famille, puis d'un homme chahuté par l'obscurité conflictuelle de l'âme humaine.
Surtout, c'est la même vie dans l'écriture, la même façon de faire cogner les mots comme un torrent de sang dans une artère. Ce fond de drame jusque dans le plus sonore des éclats de rire.


John Fante n'a écrit que peu de livres, quasiment aucun n'a été publié de son vivant, tous sont essentiels. John Fante a vécu confortablement en torchant des scénarii bâclés destinés pour la plupart à des séries B hollywoodiennes, il ne se le pardonna jamais tout à fait. Du moins pas complètement. Avec lui tout est dans les contradictions. Conscient de son talent, il ne cessera jamais d'écrire des romans, fussent-ils refusés invariablement par les éditeurs, allant jusqu'à dicter le dernier à son indéfectible femme, Joyce, alors qu'aveugle, amputé et diabétique il agonise sur son lit d’hôpital. Pourtant, il choisira de vivre en nabab dans le milieu du cinéma plutôt que de persister à se faire reconnaître comme écrivain. La réussite sociale et financière passe avant tout chez John Fante, quitte à s'en flageller. Il est motivé par une haine de la médiocrité, tiraillé entre les principes de son père, pittoresque maçon venu d'Italie, et son désir de fuir la misère de son enfance. Chacun de ses livres est empreint de cette dualité, qu'elle rende impossible la déchirante histoire d'amour de Demande à la poussière ou qu'elle soit le ciment du couple tumultueux de Pleins de vie ou Mon chien stupide.


Henry Molise ou Arturo Bandini, quel que soit le nom qu'il se donne dans ses romans, ne sont qu'une seule et même personne saisie à différentes périodes de l'existence, face à différents problèmes, incapable d'en résoudre le moindre sans en créer une centaine d'autres. De Bandini à Mon chien stupide, de son premier roman écrit en 1933 (La route de Los Angeles) à son dernier cinquante ans plus tard (Rêves de Bunkerhill) c'est toutes les étapes d'une vie qui défilent, vues à travers le prisme le plus loufoque, désopilant, provocateur, narcissique, bref, le plus sincèrement humain de la littérature. 
Avec John Fante la mauvaise foi ne masque jamais la cruauté, elle la sublime, tout comme la pudeur ne cache jamais les sentiments, elle les habille.


Avec la meilleure volonté, j'aimerai vous dire de lire celui ci plutôt que celui là, vous raconter à quel point Demande à la poussière est le plus poignant, vous dire que Pleins de vie ou Mon chien stupide sont les plus fendards, que Bandini est à l'enfance ce que La route de Los Angeles et Rêves de Bunkerhill sont au passage à l'âge adulte, que rarement on a parlé du père comme il le fait dans L'orgie, Les compagnons de la grappe et un peu dans tous finalement, mais ça serait ne pas citer Le vin de la jeunesse et Grosse faim. Ou le fascinant Correspondance, publication des lettres échangées avec HL Mencken, son mentor qui le premier, dès les années 30, publiera les nouvelles du jeune Fante. Autant dire que ce serait un sacrilège. 
De John Fante il existe dix romans ou recueils de nouvelles, tous magnifiques et intemporels, tous à lire séance tenante. Aucune excuse ne sera tolérée parce qu'il n'en existe aucune de valable.



Son fils Dan Fante, lui même auteur largement respectable sur lequel je reviendrai à l'occasion, a signé le superbe Dommages collatéraux, la plus honnête biographie que je connaisse. Sans concession aucune -les deux hommes passeront une grande partie de leur existence commune dans une incompréhension proche de la haine tant la communication entre eux était ardue- il dresse un parallèle entre leurs parcours duquel s'échappe un respect immense pour celui qui plus que son père sera sa bête de somme, et réciproquement, avant que l'évidence de leur similitude ne s'impose à lui.

John Fante n'est peut être pas le plus grand écrivain de tous les temps, il ne fut certainement pas le meilleur des pères, ni même un mari exemplaire, et il n'y a qu'à sa machine à écrire qu'il n'a pas menti. John Fante fut lâche avec panache, cruel avec acharnement, irraisonnable au possible, égoïste et plus têtu qu'une mule des Abruzzes. Il fut tout cela, son contraire et pire encore. John Fante consacra sa vie à être lui même, seulement lui-même, exclusivement lui-même. Et c'est bien tout ce qui compte.



16 commentaires:

  1. Je l'avais oublié, sacré talent, comme tu dis, un Pagnol à sa façon.

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  2. oui, j aime fante de sacres tranches et tronches de vies! bien le salut a tous pam

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  3. Jamais rien lu de lui. A faire donc...

    En réaction à tes deux derniers paragraphes, je trouve dommage de se réjouir d'une situation qui a vu deux hommes se tirer la tronche toute leur vie et qui, venu le temps des bilans, relèvent un peu la tête et se confondent, pour accéder à l'écoute et au respect de l'autre.
    Je trouve qu'il y a tellement de personnes qui vivent cela, les enfants avec les parents, les parents avec les enfants, etc..., que finalement dire "John Fante consacra sa vie à être lui même, seulement lui-même, exclusivement lui-même. Et c'est bien tout ce qui compte." ça me pince sévère. C'est en gros : "oh mais mon vieux, tu ne me changeras pas, je suis comme ça !".

    Amitiés

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    1. @Alexandre. Oui, lis Fante, tu vas te payer une sacrée tranche de vie comme dit Pam. Et à y être relis mon papier aussi. Je ne me réjouis de rien du tout, je décris une réalité. IL n'y a pas de happy end chez les Fante et je n'y peux pas grand chose. S'ils se sont autant heurté, père et fils, c'est surtout par trop de ressemblances et aussi par ce trait de caractère typique chez les Fante, que l'on retrouve également chez Nick, père de John, qui veut que sa progéniture soit constamment et jusqu'à preuve évidente du contraire considérée comme médiocre, indigne d'être de son sang.
      Là encore un peu comme chez Pagnol et son "tu n'es pas bon à rien, tu es mauvais à tout".
      C'est du méditerranéen, excessif en amour et généreux en distribution de gifles. Faut pas t'inquiéter.

      D'autant que comme je le dis, Fante est contradictoire au possible. C'est ce qui fait que ses livres sont aussi drôles, cette différence livrée en trois lignes entre la détermination qu'il met dans sa volonté d'agir et l'acte final. Bandini, roi dans sa tête. Il en allait de même dans la vie de Fante, et je le précise dans ce dernier paragraphe qui te chagrine, il était tout cela et son contraire. Fante a mis un mouchoir sur son immense orgueil afin d'offrir à sa famille la vie aisée qu'il pensait leur être dû, de manière d'autant plus remarquable que sa femme était de famille fortunée et qu'il aurait pu jouer les artistes maudits et vivre à ses crochets. Pas de ça chez John Fante, il mettra un point d'honneur à gagner de quoi assurer leur train de vie, quitte en contrepartie à en arriver à détester tout ce luxe, et tout ce qui va avec, famille y compris, qui selon lui le prive d'une vie d'aventures digne de ce nom. Jusqu'à ce qu'il se délecte à nouveau de tout ce confort.

      Et c'est en cela que l'auteur est grand, dans ses livres Fante se livre sans fard, tel qu'en lui même, grandeur et décadence, c'est sa richesse, ce qui le rend essentiel. Il faut lire Mon chien stupide, la façon dont il complote pour faire déguerpir les sangsues qui lui servent d'enfants de la maison de famille est à mourir de rire tant rien n'est glauque, tant le trait est juste. Chez les Fante il n'y a pas que des mauvais parents, il y a aussi de mauvais enfants, qui de la même façon que le père les juge indignes, le considère eux comme un exemple à ne surtout pas suivre. Et c'est tellement comme ça dans la vie.

      Ailleurs, il se lance dans des tirades anti-religion juste avant de prier en douce de peur d'avoir offensé quelques forces supérieur. Et il est aussi profondément vrai dans un cas comme dans l'autre puisque l'Homme est ainsi, différent en ce qu'il montre de ce qu'il pense. Nous sommes tous ainsi, c'est le drame et le génie de l'être humain que d'être doué de la parole ET de la pensée.
      Lui ose se livrer tel quel dans toutes ces fameuses contradictions, coucher sur papier pensées et paroles, parce qu'être lui même, égoïstement lui-même c'est cela pour John Fante.

      Hugo

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    2. Merci de ta réponse, Hugo. Oui, je vais lire Fante, ça me fait bien envie.

      "C'est du méditerranéen, excessif en amour et généreux en distribution de gifles. Faut pas t'inquiéter."
      Merci aussi de me rassurer ! (mode second degré) ;)

      Ton billet est juste. J'apprécie ton style et ta vision des choses. Ce n'est sûrement pas ce que j'avais de mieux à faire, à te livrer cette réaction. Et j'aurais pu te dire que je généralisais la portée de mon propos, l'éloignant ainsi de Fante que je ne connais pas, et que je ne me permets pas de juger (toutes manières, ça lui ferait une belle jambe).

      Concernant les tranches de vie que je vais me payer en lisant Fante, je suis heureux que tu m'aies aidé à me reconnecter au monde, à l'Homme, à la vérité en somme. Quel illuminé je fais...

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    3. Malheur ! Tu as bien fait au contraire de livrer ta réaction, tu m'as donné l'occasion d'écrire quasiment un second papier sur le sujet !
      John Fante aurait sans doute apprécié que tu lui fasses une belle jambe, il est mort amputé des deux guibolles en raison d'un diabète qu'il négligea avec obstination....

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  4. Cette dualité il la doit aussi à son père qui lui a transmis le goût de la persévérance et du travail bien fait, comme tu le précises de ne jamais se contenter du médiocre. Quel personnage ce Nick ;) et la façon dont Fante en parle que ce soit enfant ou adulte est totalement hilarante, malgré les situations qui elles, ne le sont pas toujours ;)
    Et c'est là qu'il nous tient John Fante. Car ce sont ces mêmes névroses et contradictions qui cohabitent en chacun de nous qu'il couche sur le papier de façon lucide, honnête et sans détour, en désacralisant pas mal d'idées reçues autant sur les liens familiaux, sociaux ou religieux. Aux orties cette fausse culpabilité d'avoir de "mauvaises pensées", merde, c'est juste indispensable à notre équilibre.
    Quand à dommages collatéraux de Dan Fante, j'ai adoré ce bouquin. On l'a souvent comparé à Bukowski (évidement il boit jusqu’à s'en chier dessus, il baise etc.. ), alors qu'il est pour moi, bien au dessus Le poème dédié à sa mère à la fin est d'une grande beauté.

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  5. Merci pour le tuyau, je ne connais pas du tout et ton post m'a donné plus qu'envie!
    Être soi dans sa forme la plus rugueuse vaut parfois des incompréhensions, mais même la bienséance à détruit consciencieusement des familles entières. J'imagine qu'on fait ce qu'on peut avec ce qu'on est la plupart du temps...Je cours à la Bibi Yeehha M-C

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    1. Exactement ! Tu as parfaitement exprimé en trois lignes ce que je mets trois pages à essayer de dire.
      Tu vas te régaler avec John Fante.
      Hugo

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    2. Beau papier, l'ami! Tu as décrit à merveille l'essence du bonhomme et de son oeuvre.
      J'attends avec impatience que tu t'attaques à un papier sur son rejeton qui lui se pose là comme écrivain de la déglingue ravageuse.

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  6. John Fante ou l'art de trouver de bons, très bons titre. "Demande à la poussière" (Ask The Dust", 1939) est un des plus beaux de la littérature américaine moderne. Ses livres me renvoient vers de chouettes moments des 80's. Les articles de Garnier, "Cinéma Cinémas" à la télé, Bukowski et tout ça.

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  7. Sans oublier son indéfectible fidélité à l'Eglise catholique: Ce qui fait que la lumière apparait toujours à un moment donné dans ses romans, là où un Bukowski s'étale lamentablement dans le néant.

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    1. oui ;) et chaque fois qu'ils implorent le Tout-Puissant et qu'ils s'auto-absouent, ce sont toujours de grands moment de lecture. Dans Bandini d'ailleurs j'en pleurais de rire ;)
      Dan Fante le fais lui aussi, même s'il l'appelle "Ce Jésus troué de partout" c'est aussi une façon de l'invoquer

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  8. Le Jésus troué de partout, c'est bien la réalité: troué sur les mains, les pieds, troué sur le flanc par la lance du légionnaire romain, troué sur la tête par la couronne d'épine...

    Serge

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  9. John Fante est mon auteur préféré. Je lis et relis ses livres avec à chaque fois un émerveillement et une émotion intacts. Comme si je les redécouvrais à chaque fois.
    Une émotion qui m'envahit dès les premiers mots et ces phrases qui s'enchainent et se suivent.
    Joie ou malheur, chaque fois qu'une femme qui a partagé ma vie me quitte, elle emporte avec elle l'intégrale de Fante que je lui ai fait découvrir et que je me dois de racheter ;-)

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    1. Peut être que la bonne sera celle qui connait déjà John Fante... )))) D'autant qu'il me semble qu'ils n'ont plus été réédité depuis un petit moment, donc fais gaffe avant de les distribuer à nouveau.

      Ce que j'aimerai bien voir édité aussi, en dvd, c'est l'adaptation de Bandini avec Ornella Muti, Joe Mantegna et Faye Dunaway. J'en garde un lointain (1989) mais excellent souvenir.

      Dan Fante, son fils, est mort un peu anonymement il y aura bientôt un an, ça serait pas con que j'en cause à l'occasion.

      C'est toujours un plaisir de croiser la route d'un amoureux de John Fante, donc merci pour ton commentaire.

      Hugo Spanky

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