vendredi 29 décembre 2023

SuBWaY To HeaVeN : THe RoLLiNG sToNeS

 


Ladies et Gentlemen, les fantastiques Rolling Stones ! Mouais, ils ont connu des jours meilleurs, mais ils sont toujours là, aussi incroyable que cela puisse sembler. Steve Jordan remplace Charlie Watts, ça n'a rien de nouveau, il officie depuis des lustres lors des interminables séances de mise en place des morceaux et sans doute sur les albums quoiqu'en disent les crédits. Je n'ai aucun avis sur Hackney Diamonds, pas plus que sur ses plus proches prédecesseurs. Selon Harry Max, Devant Hantoss et Keith Michards, il est très bien, ça me suffit de le savoir. Même si j'ai des doutes quant à l'objectivité de Keith Michards... Anyway, ce n'est pas le propos du jour. Si je rapplique par ici, c'est pour m'imposer un petit jeu bien tordu, choisir un album parmi la discographie des Rolling Stones à emporter le jour où tutoyer l'éternité sera d'actualité. Pas plus, pas moins.


Une précision avant le bain de sang, il existe deux périodes chez les Rolling Stones, pas trois, pas quatre, deux. Avec et après Brian Jones. Let It Bleed fait la transition avec Keith Richards symboliquement seul aux guitares. Un disque que j'exclus d'emblée. Il a ses fans, je sais, nul n'est parfait. Les seules raisons qui me le font poser sur la platine sont Gimme shelter, Love in vain et Live with me, c'est maigre et de fait ça n'arrive pas souvent. D'autant que Get Yer Ya-Ya's Out offre de meilleures versions de deux des titres, que Gimme shelter lasse vite une fois passée la sidération des premières écoutes et que je n'ai jamais pu piffrer You can't always get what you want

A partir de Sticky Fingers il est clair que la simplicité radicalisée qui sert de menu depuis Beggar's Banquet est devenue la norme, on mise tout sur les guitares, terminé les fioritures, mellotron, marimba, trompette, accordéon ont disparu avec Brian Jones. L'efficacité prime et la production est en adéquation. Mais c'est déjà de la redite. A-t-on vraiment besoin de Wild horses quand on a No expectations ? Pour la première fois le single figure sur l'album. Là où Jumpin' Jack flash servait de satellite et Sympathy for the devil de pièce forte du 30cm, ici Brown sugar se dispute les casquettes. Le groupe sauve la mise grace à des compositions d'exceptions et Ry Cooder qui, sur Sister morphine, occupe le rôle du grain de sable qui humanise la machine. Exile On Main Street exploite une formule qui commence à dater, ce qui était une forme d'épure devient ici un simple jeu de nuances sur des teintes de moins en moins tranchées et l'idée de prendre perpétiuté avec Tumbling dice m'est insupportable. Goat's Head Soup, sans doute mon favori de la décennie, bénéficie de l'apport de Billy Preston qui le dôte d'un groove implacable, rampant dès Dancing with Mr D, explosif sur le feu d'artifice final de Starfucker. Entre les deux les Rolling Stones revisitent le fond de commerce avec bonheur. Un brin psychédéliques sur Can you hear the music, irrépressibles sur Silver train, romantiques à souhait sur Angie. La délocalisation en Jamaïque et la variété des genres abordés donnent des couleurs aux menaces de routine. Ils ont presque fait aussi bien dès l'album suivant, mais les temps forts de It's Only Rock'n'Roll sont tous un cran en dessous. Il faut sauter à Emotional Rescue, au tout début de la décennie suivante, pour trouver un album équivalent, bien que la palette des styles soit moindre. La splendide face B de Tattoo You, issue des sessions jamaïcaines de 1972 et de celles de 1975 à Rotterdam, le complète à merveille. Après quoi, les disques m'ont plus ou moins laissé indifférent sur le long terme. Undercover à ses moments d'excellence, mais manque sérieusement de cohérence. On sent que ça commence à se friter sévère au niveau des têtes pensantes. Quand Mick Jagger prend le dessus et modernise l'ambiance ça tourne à plein régime, puis Keith Richards aligne rocks pantouflards et slow débilisants et ça devient prévisible comme une bordure d'autoroute. Vous l'avez pigé, c'est pas ici que je vais piocher de quoi m'exiler pour l'éternité. 


Pour faire simple, en terme de compositions, d'arrangements, d'inventivité et de quantité rien n'égale la période Brian Jones. Sauf qu'aucun 30cm ne sort du lot. Pas un ne s'impose comme définitif. Out Of Our Heads tape sur le bon clou, mais c'est un mic-mac pas possible entre les éditions anglaises et américaines. The spider and the fly figure sur l'américaine, mais Heart of stone est sur l'anglaise ! Qui se distingue en affichant I'm free, sauf que Play with fire passe à la trappe en traversant l'Atlantique. Un coup du triangle des Bermudes, sans doute. Aftermath édition anglaise est franchement bon, comment pourrait-il en être autrement d'un album qui regroupe Mother's little helpers, Under my thumb, Lady Jane et Out of time (Out of time!!!). Mais les singles sont si bons qu'il devient absurde d'avoir exclu Paint it black et Have you seen your mother baby standing in the shadow au profit des 11 minutes bien inutiles de Goin' home, sinon pour établir un record. Ce sera pire l'année suivante, rien que pour 1967 We love you, Child of the moon, Dandelion et Ruby tuesday passent à la trappe. 

Malgré un manque de consistance dû à l'influence de Bob Dylan, que le groupe peine à digérer, Between The Buttons tient le haut du pavé pour si peu qu'on le localise en Mono, comme Their Satanic Majesties Request qui souffre également d'effets stéréo farfelus. En voila un de bien injustement catégorisé, trop souvent réduit à sa pochette 3D il est loin d'être aussi mauvais que beaucoup le prétendent et si les Rolling Stones avaient eu la lumineuse idée de remplacer quelques fadaises par Dandelion et We love you mes élucubrations auraient pu s'arrêter là. 

Au milieu d'un pataquès pareil, vous l'aurez pigé, la solution viendra d'une compilation. Je sais, c'est pas du jeu, faut choisir un album original, et patati et patata, c'est de la triche. C'est vrai, je biaise. Je fais ce que je veux, remarquez, c'est Noël, bientôt Nouvel An, c'est mon blog aussi, merde. Et puis, n'allez pas croire que choisir une compilation est une solution de facilité. Decca en a publié un nombre incalculable, six rien qu'entre 1971 et 1972, et toutes ont la déroutante particularité d'être INDISPENSABLES! Les configurations sont infinies, celle ci propose Time is on my side et Route 66, telle autre aligne My girl, Paint it black et The spider and the fly. Pas facile de trancher.


Milestone est tout bonnement incroyable, pas un titre faible, mieux, que des putains de tueries ! Pour le plaisir je vous dresse la liste (Antoine, prend note). Face A : (I can't get no) Satisfaction, She's a rainbow, Under my thumb, I just want to make love to you, Yesterday's papers et I wanna be your man. C'est pas de la gnognotte. Et c'est pas fini. Face B : Time is on my side, Get off my cloud, Not fade away, Out of time (Out of time!!!!), She said yeah et Stray cat blues ! Pffff, quand on arrive au bout, on signe des deux mains pour leur accorder tous les honneurs. Pourtant, je ne partirais pas avec Milestone dans ma besace, aussi génial soit-il, l'album ne contient que des chansons que je connais archi par coeur. Il me suffit de lire le titre pour entendre le morceau en entier dans mon juke box mémoriel. A ce petit jeu autant prendre Through The Past Darkly avec sa pochette hexagonale. Ou carrément le bien nommé Rock'n'Rolling Stones

Le soucis des compilations reste constant, elles alignent des hits, des hits, des hits. Dans le cas des Rolling Stones, on parle de chansons qu'on a usé jusqu'à la corde. Vous ne me ferez pas avaler une bouchée supplémentaire de Honky tonk women, Street fighting man ou Jumping Jack flash. Prenez le double Hot Rocks paru en 1971, le premier disque est splendide. Il se paye le luxe d'un démarrage en douceur comme j'en raffole, Time is on my side, Heart of stone, Play with fire. Qui dit mieux ? D'autant que la face A se poursuit avec (I can't get no) Satisfaction et se conclut par As tears go by et Get off my cloud. On confine au génie. La face B est nerveuse et quasiment aussi bonne. Le second disque fout tout en l'air. Du rabaché, archi rabaché. Ils y sont tous. Oui, celui là aussi. Aussi dingue que ça puisse paraître, c'est pourtant de ce disque que vient mon salut. Il contient tellement de classiques que lorsque Decca a voulu lui donner une suite, ils étaient débarassés des cartouches les plus encombrantes. La voie était libre pour les mal aimées, les mal notées, les mal fringuées, celles à qui le top ten n'a pas jugé bon de faire la révérence. Child of the moon, Tell me, I'm free, Sittin' on a fence, Money, Fortune teller, Poison Ivy, il y en a 25 du même calibre et Long long while ferme la marche. Long long while, face B anglaise du single Paint it black, inédite en Amérique ! On parle là d'un des plus fantastiques morceaux des sixties. Un bijou de slow qui vous prend les tripes et les malaxe avec les ongles, le genre de romance dont sont faites les histoires qui finissent avec du plomb dans la cervelle. Probablement enregistrée à Hollywood, tenue à l'écart des albums de façon incompréhensible.


More Hot Rocks (Big Hits & Fazed Cookies) le voilà mon choix. Aucune autre compilation ne lui arrive à la cheville. Elle éclipse le Meaty Beaty Big & Bouncy des Who ! More Hot Rocks (Big Hits & Fazed Cookies) est un double album de 1972 assemblé par Andrew Oldham, pressé uniquement pour le marché américain, ce qui signifie que la gravure est monstrueuse, la pochette en carton épais. Il est indestructible. Avec ça, je suis paré pour mille ans de purgatoire. L'agencement des morceaux est tel que l'on baigne dans la période la plus impitoyable du groupe, leur son est alors plus acéré que jamais, acide, rampant, lourd. Noir. Souvent psychédélique, voire satanique. Mick Jagger est méprisant à souhait, misogyne, dédaigneux. Il irradie d'arrogance. Les guitares sont inventives, mordantes, vicieuses. A des kilomètres des riffs téléphonés dont nous assaisonne Keith Richards depuis, depuis...Depuis qu'il n'a plus Brian Jones pour hausser le niveau d'exigences. Tell me ouvre le festival, tout est là, le tambourin, les choeurs débraillés, la propulsion mécanique de Charlie Watts dans toute sa splendeur. C'est la version courte, la plus rare, celle sans le piano de Ian Stewart. Pas le temps de chialer qu'elle est déjà finie et c'est Not fade away qui déboule pied au plancher, l'affaire est torchée en moins de deux minutes, voici The last time ! Riff hypnotique, section rythmique monolitique, pas de prisoniers, un carnage gravé à Hollywood en février 1965. La basse même le drive, c'est It's all over now enregistré à Chicago dans les studios Chess lors de la première tournée américaine en 1964. Une tranche d'histoire. Dommage que ce soit la version stéréo, on y perd un peu en barbarie. Good times, bad times est un blues en mono flanqué à l'origine en face b du single It's all over now, probablement enregistré à Chicago lors de la même session, bien que le son et le manque de soin me donne à penser le contraire. I'm free termine la face avec toute la morgue necessaire. Les Soup Dragons en feront un tube dans les années 90, les Rolling Stones l'avaient collé en face B du single Get off my cloud. Voila qui en dit plus long qu'une thèse.

Out of time ouvre la seconde face du double album, version plus courte, différente et bien meilleure que celle d'Aftermath. La basse atomise le voisinage, Brian Jones est au marimba (comme sur Under my thumb qui date des mêmes sessions hollywoodiennes de 1966), Mick Jagger est impérial. Out of time est tout bonnement monumentale, le son est énorme, Jack Nitzsche est à la console, Phil Spector surement pas loin. On parle là d'une chanson intemporelle, un chef d'oeuvre, que sais-je ? Faut vous en convaincre ? Vraiment ?


Après quoi, la tension ne peut que retomber, ça en est même carrément salutaire. Et elle retombe de la pire des façons pour notre santé mentale avec Lady Jane. Brian Jones tient les rènes sur cette ballade typiquement anglaise, bien que gravée là encore à Hollywood, qu'il domine au clavecin et arrange avec une sublime élégance. C'est encore en face B d'un single que sera d'abord commercialisé ce titre qui au fil du temps s'est imposé comme un indéboulonnable classique.

Autre ballade, Sittin' on a fence donne à ce milieu de seconde face une teinte unplugged avant l'heure. C'est l'époque des chemises à jabot, des guitares acoustiques et du clavecin. Les Rolling Stones s'éloignent du blues, manquent encore de confiance en leur talent de compositeurs et refilent ce titre à qui en voudra. Leur version sortira sur le fantastique Flowers qui aurait pu être mon choix si More Hot Rocks (Big Hits & Fazed Cookies) n'avait pas été aussi généreux.

Have you seen your mother, baby, standing in the shadow relance la machine. Version mono qui déchire, choeurs anarchiques, riff de cuivres, basse caverneuse, de l'écho à s'y noyer. C'est sale à faire passer les Troggs pour des enfants de choeur. Du garage sound à l'anglaise au mixage si bordélique qu'on peut se demander à quoi ils carburaient. La différence entre les résultats obtenus d'un titre à l'autre lors des sessions de 1966 à Hollywood est hallucinante. 

La face se conclut avec Dandelion et We love you, deux titres enregistrés en plein marasme et réunit sur un même single à l'été 1967, après les arrestations pour possession de drogue qui ont failli envoyer les trois leaders du groupe en prison pour de longs mois sans le soutien d'une partie de l'intelligentsia britannique. John Lennon et Paul McCartney s'affichent en studio à leurs côtés pour l'enregistrement des deux faces du single et participent à rendre We love you poisseux, lourd et addictif, tandis que Dandelion semble échappé de Sgt Pepper's Lonely Heart Club Band avec son ambiance  Beach Boys en descente de LSD. Leur présence sur More Hot Rocks (Big Hits & Fazed Cookies) est une des raisons de mon choix tant j'adore ces chansons aux constructions aussi folles que le jeu complètement barré de Charlie Watts. Le mariage incestueux des Rolling Stones et des Beatles donne à penser que si Their Satanic Majesties Request avait ressembler à ça, c'eût été l'apogée de l'ère du verseau.



Et de Their Satanic Majesties Request il est encore question sur la face 3 puisqu'elle s'ouvre sur trois titres issus des sessions mouvementées de 1967. She's a rainbow, 2000 years from home et Child of the moon qui ne sortira que plus tard en face B de Jumpin' Jack flash tandis que les deux autres titres constitueront les temps forts de l'album mal aimé. On nage dans des eaux lysergiques à souhait, je m'y sens heureux comme un cochon dans sa merde. Les Rolling Stones de cette période là tiennent en équilibre précaire, mais parfait, énergie brute, groove puissant, folie assumée et délicatesse des arrangements, aidés pour cela par John Paul Jones qui bientôt contribuera à former Led Zeppelin. Une alchimie aussi difficilement définissable que diablement efficace dont ils perdront la recette durant les sessions de Beggar's Banquet, représenté ici par l'impeccable No expectations avant que Let it bleed ne conclut cette troisième face representative d'une transition qui sacrifia le génie déglingué pour un professionnalisme strict qui sera fatal à Brian Jones. Les premières consonances country et l'évolution du groupe au fil des années soixante-dix donnent à penser qu'arrivé à ce stade les Rolling Stones devinrent un groupe typiquement américain.


Et c'est là que More Hot Rocks (Big Hits & Fazed Cookies) est grand. Plutôt que de poursuivre avec les sempiternels même classiques qui constitueront encore en 2024 les rappels de chaque concert du groupe, la face 4 chamboule tout et nous ramène en 1963 en assenant coup sur coup Money, Come on, Fortune teller, Poison Ivy et Bye bye Johnnie, après What to do, pioché sur Aftermath, en ouverture des hostilités ! Et revoilà les Rolling Stones nerveux des origines. Sans conteste le groupe le plus doué en terme d'adptations sulfureuses. Come on, Bye bye Johnnie et Money sont ici dans leurs rageuses versions singles, Fortune teller et Poison Ivy sont restées longtemps autrement plus rares puisque jusque là uniquement présentes sur une compilation de divers groupes du catalogue Decca édité en 1964. Après une version dopaminée du I can't be satisfied de Muddy Waters issue des sessions Chess de 1964 avec Brian Jones à la slide, le mirifique panorama se referme avec Long long while, la plus brillante perle parmi les perles dont je vous ai déjà dit toute l'affection que je lui porte.

Alors, c'est vrai, il en manque. Des indispensables pas tant que ça. Il manque Yesterday's papers et You better move on, c'est pas rien. Il manque surtout The spider and the fly. Mais si on va par là, le cassoulet aussi va me manquer.


Hugo Spanky

Their Satanic Majesties Request Revisited

jeudi 28 décembre 2023

PRiSCiLLa


On a regardé hier soir, et encore cet après-midi, le nouveau film de Sofia Coppola, Priscilla, consacré à celle qui fut la femme d'Elvis Presley. Un film sur l'enfermement, mental et physique. Sur une adolescence confisquée, les illusions surannées dans un monde définitivement disparu. Il ne faut pas s'attendre à voir un biopic sur Elvis, encore moins un document sur le rock'n'roll, Priscilla est privée de cette partie de la vie de son époux. Elle ne voit de cette exaltation que le bus qui passe les grilles de Graceland. Au delà de l'histoire, c'est du Sofia Coppola. Un film qui ne dit presque rien, à travers lequel on comprend beaucoup.



Le casting est parfait, sans ressembler à Elvis, Jacob Elordi nous le donne à voir de façon saisissante, quant à Cailee Spaeny, elle est impeccable de justesse. Je ne sais rien d'eux, ne les ai jamais vu nulle part auparavant, ils m'ont embarqué instantanément avec un tact de vieux routards qu'ils ne sont pas. En partie filmé à huis clos, en tête à tête, rien n'est caché de ce que l'on sait déjà sur les travers d'Elvis. Sans faire dans le sensationnel, Sofia Coppola traite un sujet que d'autres auraient pris comme prétexte pour planter au bout d'une pique l'idole d'hier, au nom des moeurs d'aujourd'hui. Son propos est ailleurs. Elle nous raconte deux solitudes qui s'additionnent plus qu'elles ne se guérissent. L'une est subie, l'autre est incurable.

Ceux qui aiment le cinéma de Sofia Coppola seront ravis. Les autres ne changeront pas d'avis, ce qui prouve bien que ce sont des imbéciles.

Hugo Spanky


dimanche 12 novembre 2023

Oh YeaH!


...et revoila les Rolling Stones, et revoila les Beatles, et revoila Noël. Tant de choses qui vont si bien ensembles. 

Par respect pour Mick Jagger, je ne dirais rien sur l'album des Rolling Stones. De plus, il s'est fait éclipser par le retour des Beatles descendus des cieux pour se joindre au sprint final. Mazette qu'il était mal emmanché ce retour. Avec Paul McCartney qui s'emmêle les pinceaux dans des histoires d'Intelligence Artificielle qui effraient plus qu'elles ne rajeunissent la clientèle. C'est tout McCartney, de croire qu'il peut encore se positionner en interlocuteur des adolescents en crise de personnalité. Mais ça fait aussi son charme, cette naïveté aux dents de requins. Giles Martin s'est donc chargé du rétropédalage. Le remixeur en chef du catalogue des quatre de Liverpool a pris la parole et filé des coups de serpes dans les élucubrations de papy Paulo en affirmant, goguenard, qu'il n'avait utilisé qu'un simple logiciel pour nettoyer et recaler la voix de John Lennon (pour mémoire mort depuis 43 ans) et absolument pas de l'I.A. Et d'enfoncer le clou en précisant que McCartney le sait très bien (sous entendu; du moins il le savait il y a quelques mois encore, mais avec les vieux n'est ce pas...). A mon avis, il doit y avoir du mécontentement sur les royalties.

Bref, leur tambouille, on s'en fout. J'ai écouté le morceau. Now and Then. Le nouveau 45t des Beatles. En 2023. Franchement. Comment voulez-vous que ce monde progresse quand on en est là ?
On s'en fout. Le morceau est fabuleux. J'ai eu les larmes aux yeux, la gorge nouée, le drapeau en berne en entendant Lennon attaquer le premier couplet. I know it's true, it's all because of you... Merde, alors. C'était encore possible. Il restait une mélodie de Lennon à mettre en illumination. Je suis scié. Le refrain arrive abruptement, McCartney y est allé à la truelle, façon cantique pour les stades, tous en choeurs avec le iphone tendu vers l'icône pour faire comme dans les documentaires d'Arte. On s'y fait dès la troisième écoute, mais c'est un peu raide. Du coup, j'ai jeté une oreille sur la démo originelle de Lennon. Le refrain de la chanson est tout autre. C'est une de ces mélodies sublimes dont Lennon était généreux, délicate et échevelée avec audace. Mais pas assez percutante pour les 40 secondes d'attention du public connecté. McCartney a donc choisi de concocter un refrain avec ce qui est à l'origine le pont du morceau, autrement dit un passage de transition moins intense que les deux parties qu'il lie (faut bien prendre de l'élan à un endroit). En prenant soin de muscler le rendu là où il faut, on se retrouve en territoire Wings. Ma foi, ça fonctionne, et il fallait bien qu'il tripatouille un peu pour prétendre à du Beatles. 


Giles Martin a sorti la porcelaine en habillant Now & Then de samples prélevés sur des hits des...Beatles. Ben, tiens. Il n'aurait plus manqué qu'il sample Oasis. Une chose est sûre, le résultat est autrement meilleur que pour Free as a bird et Real Love, parfaitement salopés en leur temps par la production de Jeff Lynne. D'ailleurs Now & Then est aussi sec inclus dans le nouveau calibrage de la compilation double bleu 1967-1970 qui devient triple bleu et se clôture désormais en 2023. Un beau bébé que voila, d'autant plus qu'il ne voyage pas sans son grand frère le triple rouge (Patron, une autre!). 

McCartney s'est chargé de remixer une nouvelle fois le tracklist des deux compilations, manière de justifier un prix qui fait mal aux côtes. J'ai pas encore écouté l'intégrale, j'espère quand même qu'il n'a pas mis la basse à fond comme il l'a fait sur le remix de Love me do qui figure en face B du single. L'intention est claire, la revendication sans subtilité : Les Beatles, c'était c'est moi (et bientôt les Rolling Stones aussi, vu qu'il fait l'actualité sur tous les fronts). Là aussi, j'ai choisi de m'en foutre, je ne suis pas allé vérifier si Now & Then est co-signé Lennon/McCartney ou l'inverse. Je suis bien. La chanson est merveilleuse. 

Hugo Spanky

mardi 10 octobre 2023

Comment occuper la canicule sans sortir de chez soi



Tout commence par une envie de reggae venue de je ne sais où, sans doute des 38 degrés dans lesquels j'étais cloitré, semi-catatonique, moulé dans un fauteuil, n'usant de mouvements que pour attraper alternativement la bouteille d'eau à ma gauche et la bombe de Catch insecticide à ma droite. Aussi pour convoquer les disques sur la feutrine dans un effort dont la simple pensée m'épuise encore. 

Mon stock de vinyls aux couleurs jamaïcaines prend la poussière depuis une bonne vingtaine d'années et s'est réduit au fil des ans à une poignée de B.O, celles de Rockers et The Harder They Come. C'est d'ailleurs par là que j'ai calmé les premiers symptomes. Pas par les B.O, non, aussi impeccables soient-elles, je ne les ai même pas tirées de leurs pochettes. Au lieu de quoi, je me suis calé devant la télé et j'ai dégainé les MKV par une solitaire nuit de canicule. Les deux films n'ont pas pris une ride et continuent à faire la nique à tous les biopics et autres farces qu'on propose au menu du Jacques Borel des derniers croyants. J'ai ri, j'ai vibré, j'ai dansé nu sous les étoiles, tout ça en conservant des urines plus irréprochables que celles de Vinegegaard après un contre la montre.

Seulement voilà. J'ai beau avoir retrouvé un semblant d'exaltation tropicale, il n'en demeure pas moins que la production discographique de l'ile m'emmerde joyeusement dans sa grande majorité. Autant j'apprécie de me laisser éblouir par les pépites diffuses qui habillent Meurtres au Paradis, autant écouter un album entier de Studio One, ou Jah sait qui, m'apparait comme un défi. Pour situer, Could you be loved est en ce qui me concerne le pinacle de la carrière de Bob Marley, et New Age Music celui des Inner Circle de Jacob Miller. Je peux jurer avec une irréprochable sincérité qu'aucun chanteur n'ensorcèle mieux que Gregory Isaacs, pas même Julio, et poser More Gregory sur la platine si prestement que celui qui aura prétendu l'inverse n'aura pas eu le temps de fermer son clapet puant. Pourtant, c'est plus fort que moi, ce que je préfère dans le reggae ce sont les effluves de disco que les plus malins ont su y glisser. 

A ce jeu là Third World est au dessus de tous. En quatre albums (les quatre premiers) le groupe a mitonné un melting pot agrémenté d'un don pour la composition accrocheuse jamais pris en défaut. Chez Third World on entend le reggae dans ce qu'il a d'authentique (suffit de se pencher sur leur version du Satta massagana) jouer du coude avec Earth, Wind and Fire, Santana et la bombe à quatre temps on the floor la plus plombée de ce côté ci de Saturday Night Fever. Des titres! Des titres! scande la foule en délire qui ne trouve de tels propos nulle part ailleurs qu'ici. Démerdez-vous leur répond l'écho. Vous ferez peut être de belles rencontres en chemin.

Je dis; la disco a régénéré le reggae et sauvé le rock bien plus concrètement que le punk ou la new wave. Combien de survivants des sixties lui doivent le plus inespéré sursaut de leur carrière ? Combien lui doivent carrément leur carrière ? Même les plus improbables ont tâté du son caractéristique de ses productions. 



De 1975 à 1980, les albums de disco ont apportés fraîcheur, énergie, humour, audace, sexe ! Des disques anonymes le plus souvent, le même artiste ou producteur (en matière de disco ça revient souvent au même) utilisant fréquemment une multitude de pseudonymes pour graver des disques singuliers, anti-conformistes, inspirants. La New Wave anglaise, la No Wave de New York, la House de Chicago, la French Touch, la Makina espagnole, l'Electro, la Dance, la Techno doivent leur émergence à l'un de ces disques, le mythique I feel love créé par l'association de Giorgio Moroder, Pete Bellotte et Donna Summer. I fiiiil love. Aujourd'hui encore, Jimmy Sommerville fait ses rappels sur un mash up de Highway to hell et I feel love et chaque soir, invariablement, il fait un tabac monstrueux. Parce qu'il touche là à des chansons qui transcendent la notion de goût individuel. Et si Highway to hell appartient toujours à AC/DC, il y a longtemps que I feel love appartient à tout le monde. 
De Love to Love You Baby (1975) à Bad Girls (1979) peu de discographies peuvent se targuer d'un aplomb comparable à celle de Donna Summer, d'un tel alignement méticuleux de hits implacables, pourtant I feel love garde quelque chose d'unique, quelque chose de si puissament libérateur que l'humanité entière en comprend instinctivement les arcanes. Le hasard -ou des forces si dangereusement complexes que le Pentagone a choisi de les garder secrètes- a fait que ce titre déjà hautement hypnotique et sensuel s'est trouvé gratifié d'un clip à une époque où ils étaient plus rarissimes qu'une bonne nouvelle sous l'ère Macron. Chaque diffusion altérait l'environnement dans lequel elle avait lieu, d'un côté de l'écran comme de l'autre. Guy Lux, Drucker ou Carpentier paraissaient soudain dotés d'une importance vitale. Mais était-ce seulement un clip ou la parade nuptiale d'une femme cobra en lamé noir ? 

Je m'emporte ? C'est fort possible. Il n'en demeure pas moins que Jimmy Sommerville a pigé ce que le rocker lambda nie, ou est incapable de déceler, à savoir qu'il n'existe aucune antidote à la disco. Par même le Hard Rock, surtout pas le Hard Rock. Les disques post 1978 d'ACDC, Van Halen, Scorpions, ZZ Top...sont mixés comme de la disco. Tous ceux qui se sont infiltrés dans le top 10 des charts armés d'une guitare saturée le doivent à un mixage disco ! Quiconque a connu les premières heures du walkman sait ça. Touch too much pulse de la grosse caisse, Runnin' with the devil sonne comme les Ohio Players, Make it real not fantasy lustre le dancefloor. La preuve ultime étant que les filles aimaient ce hard rock au groove massif au même titre qu'elles aimaient Sylvester. Sans se poser de questions. Parce qu'on peut danser dessus autrement qu'en se flinguant les cervicales. Et nous, trop cons, de croire que c'était pour les belles gueules de Klaus Meine, David Lee Roth ou Bon Scott. Et de vouloir leur ressembler ! On est fait de quoi ? Quelqu'un peut dire avec lucidité qu'un de ces trois là a une BELLE GUEULE ??? En musique, et peut être dans bien d'autres domaines, les filles ont toujours raison. 




J'appâte le chaland avec mes histoires de filles, mais ne vous y trompez pas, le rock avait plus besoin de la disco que l'inverse. Un mensonge éhonté prétend que ce serait une musique pour singles, trois minutes dans le juke-box pour le quota tolérance et on passe à autre chose. Au delà du fait que le rock'n'roll originel est bâti sur le même calibre sans qu'on y trouve à redire, la disco se consomme également au format longue durée. Et pas qu'un peu. Des versions extended ont régulièrement inoculé la fièvre à des maxi démentiels et les albums du genre ont permis l'élaboration d'un lyrisme péplumesque nerveux du popotin. 

Et en matière de longue durée Alec R. Costandinos était un maitre. Mettez la main sur son Romeo & Juliet en 5 actes, un de ses deux chef d'oeuvres, l'autre étant le premier album de Love and Kisses. Mick Jagger en a dévalisé l'Act III pour en faire le Too much blood des Rolling Stones. Pour les paumés Too much blood se trouve sur Undercover, un disque de 1983 qui à deux reprises nous les laisse entendre faire preuve de pertinence, avant qu'ils ne sombrent corps et âmes dans la sénilité qui les anime encore aujourd'hui. Imaginez la gueule que ça aurait eu si les fabuleux Rolling Stones avaient splitté après un ultime maxi sanguinaire, l'explosive version extended de Too much blood en face A et celle de Undercover of the night en face B. Sur la pochette, le canibale japonais en recto crado relifté par Warhol et au verso Bianca, robe Chanel déchirée, à demi nue au milieu de quelques pathétiques guerilleros sud américain. Malheur, ils auraient fait la nique à Clash. Le rock en aurait gardé sa dignité. Au lieu de quoi, je vous conseille avec insistance de placer vos billes sur Alec Costandinos plutôt que sur l'ignominie qu'ils nous réservent pour les fêtes de Noël. Et puisque j'évoque la nativité, sachez qu'adapter William Shakespeare en disco ne fut qu'une péripétie dans le parcours d'Alec Costandinos, il en fit autant avec Le bossu de Notre Dame cher à Victor Hugo, non sans avoir entretemps breveté, sous le pseudonyme Sphinx, rien de moins que la disco biblique avec l'album Judas Iscariot !



Autre lieu commun, la disco serait bête à bouffer du foin. Ses protagonistes ne connaîtraient de la vie que strass et paillettes. Et de choquer les bonnes âmes en se comportant exactement comme elles l'espéraient. Cachez donc ces corps qui s'épuisent de plaisir sous les stroboscopes. Quelle sorte de métèques faut-il être pour se fourvoyer auprès de pareilles créatures ? Pour la liberté de chacun et de chacune à disposer de son corps, pour la visibilité des minorités raciales, l'homosexualité revendiquée, l'indépendance des femmes, la disco a fait plus que vingt années de folk contestataire. Saturday Night Fever film décérébré ? Plutôt une dérangeante mise à mal du culte du macho. Ce qui me fait penser qu'il faudra que je prenne le temps de discourir à propos de Looking for Mister Goodbar. Cinéma et séries télé ont bonne mine dorénavant de glorifier le mythe du mâle alpha des années 70, la vérité est que cette décennie fut d'inspiration homosexuelle. Les opportunistes de l'entertainment ont largement puisé à cette source, mais quand le sida ravagea le milieu new-yorkais aucun n'a manqué de tourner le regard vers les misères consensuelles du tiers monde plutôt que de monter au front face à une hécatombe qui empilait les cadavres en bas de chez eux. Il sera toujours temps de se revendiquer de Keith Haring plus tard. En 1985 alors que l'épidémie faisait rage depuis le début de la decennie, ce n'est que sous couvert que le Live Aid versa une part de ses recettes à la lutte contre le VIH. Rien ne change jamais là où le courage est absent. Les crétins d'américains qui avaient saccagé le mouvement disco en sacrifiant des disques à la mi-temps d'un match de baseball, fiers comme Artaban d'étaler leur bêtise la plus crasseuse, répondant à l'appel d'un encore plus crétin qu'eux, sont les mêmes qui avaient brulé les disques des Beatles ou empêché Elvis d'être filmé là où l'action est. Un ramassis de dégénérés congénitaux effrayés par le sexe, le sexe entre même sexe, le sexe entre races, les accoutrements déviants, l'art de vivre au dessus de la médiocrité par la simple volonté d'être soi. Que des membres de la communauté rock aient pu se revendiquer publiquement de tels actes, sans que quiconque ne leur oppose d'arguments, est symptomatique des dérives d'une sous culture d'initiés lorsqu'elle devient culture de masse par le seul biais d'un commercialisme forcené. Elle renie ses convictions fondatrices sans même les avoir jamais assimilé. Ou comment quelque chose qui avait un sens devient la caricature de son contraire.




Tant de considérations socio-idéologiques ne m'ont pas empêché d'être, avec mes albums disco, aussi con que Brassens avec son bouquet de fleurs. Une fois mes incontournables vinyls passés en révision, une fois épuisées les découvertes du dimanche, je me suis trouvé dépourvu de cartouches pour alimenter mon addiction. Comme à mon habitude, je suis allé lorgner du côté des blogs. Les quelques recherches effectuées au moment de ma phase reggae m'avaient laissé fort circonspect, les blogs sur le sujet sont pour ainsi dire inexistants et les forums sont invariablement peuplés de fanatiques incapables d'émettre le moindre avis personnel. Ce n'était rien comparé au néant qui entoure la disco. Pour une fois que la France pourrait se vanter de quelque chose en matière de musique, tout le monde s'en désintéresse. Sur ce coup là, on est à l'origine de tout ! Alec Costandinos, dont je vous causais quelques centimêtres plus haut, n'est pas français, certes, mais il aurait pu ! C'est nous qui lui avons servi de rampe de lancement (sans qu'on s'en rende tellement compte). Et Cerrone ? Il est belge, peut être ? Alors, bien sur, sitôt qu'un gars s'appelle Raymond Donnez, il devient Don Ray sur les pochettes, du coup on y perd en traçabilité. N'empêche que c'est une pointure et qu'il est français. Au moins autant que Space et Space Art qui nous en bouchèrent un coin en apparaissant casqués et saturés de parasites à une époque où les frères Bogdanoff ne s'étaient pas encore matérialisés sur notre planète. Deux combos à géométrie variable au sein desquels on retrouve des pointures tel que Jannick Top (de Magma puis à peu près tout le monde) et le guitariste Patrick Rondat (qui aura son heure de gloire lors de l'avènement du hard rock français), le tout pour un résultat largement influencé par Daft Punk (à moins que ce ne soit l'inverse). Synthétiseurs futuristes vulgarisant les plaines lugubres de Mike Oldfield pour en tirer des hits aussi séduisants que les albums étaient médiocres; Onyx pour Space Art, Magic fly et l'épatant Prison pour Space. Tout ceci remplissant si bien les caisses de Vogue et Carrère que tout le monde s'y colle. Les historiques en quête de renouveau comme Barclay, mais pas seulement. Faute de proposition, dès 1976 Cerrone fonde Malligator pour sortir Love in C Minor et encaisse le pactole en devenant au passage détenteur de l'ensemble des droits sur ses productions. Les labels antillais dont la communauté est friande de rythmes nouveaux lui emboitent le pas, tandis que beaucoup d'autres, régulièrement financés par le milieu de la nuit, sont fondés pour des raisons qui nous échappent. Ainsi Fauves Puma de Nicolas Skorsky réinjecte les bénéfices du succès national de Rémy Bricka (le gonze avec des pigeons sur la guitare et une grosse caisse dans le dos) pour créer de toutes pièces Santa Esmeralda avec qui il cartonne à l'international avec une reprise de Don't let me be misunderstood à mettre les Gypsy Kings sur le cul. Skorsky finira en cold case égorgé chez lui après avoir collaboré avec à peu près tout le monde, de Quentin Tarantino à Sophie Favier jusqu'au milieu du rap français. Elle est là la véritable histoire des labels indépendants.



A ce stade de contamination j'avais développé un groove corporel permanent entretenu par un engouement soudain pour Madleen Kane. Ecrasé par la chaleur, j'évoluais péniblement d'une pièce à l'autre avec la grâce d'un Barry Gibb en col pelle à tarte, tandis que dans mon esprit dévasté résonnait, tel un mantra, you can you can you can. J'étais Lon Chaney un soir de pleine lune, insatiable. Puis la lumière a rompu les ténèbres, j'ai trouvé Disco Chez Julian le blog inespéré. Du Disco de toutes les nations, sans distinction. Du frelaté comme du génial. Julian alimente sa créature d'improbables trouvailles. Pour chaque titre, il rédige quelques lignes, pas le truc bégueule qui veut en mettre plein la vue, juste de quoi situer. Et quand c'est pas instructif, faute d'info biographique, ça donne quand même une idée de ce vers quoi on tend. Je me voyais revenu au temps des disquaires compétents et des mille et une découvertes qui en découlaient. Le plus beau, c'est que tous les morceaux sont en écoute. J'en avais les incisives acérées. J'ai carrément remonté tout le blog, ça m'a pris deux mois pour en venir à bout ! J'écoutais tout, collectais les mp3 jusqu'à remplir quatre giga de compilation, incrédule d'en connaître si peu d'un genre dont j'avais été un assidu contemporain. Deux cent albums et une centaine de maxi qui faisaient ma fierté devenus peau de zob en découvrant une production stakhanoviste sur un laps de temps pourtant très court, de 1975 à 1979, avant que le son  ne vire Hi-NRG.

Julian ratisse large, faut le voir pour le croire, je suis tombé sur des pépites vers lesquelles je n'aurais pas levé les yeux. Ma préférée est une reprise du classique d'Andrea True Connection, It's all up to you enregistré en Italie en 1978 par une Jeanne Mas débutante et drôlement sexy. 



Je devenais siphonné du premier album des canadiens Bombers, Don't stop the music, Dance dance dance et leur reprise du Mexican de Babe Ruth nourrissaient mes nuits, je théorisais seul et sans fin sur leur guitariste Walter Rossi, inconnu ici, pointure du blues chez eux, qui sonne exactement comme David Gilmour. La disco réflecte le passé et le propulse vers l'avenir. Funky town par Lipps Inc flirte ouvertement avec The changeling par The Doors, Chilly allonge le temps de cuisson du For your love des Yardbirds, Macho se charge du I'm the man du Spencer Davis Group et la plupart des albums disco sonnent comme Fun House débarrassé de Ron Asheton et Iggy Pop. Et de découvrir à quel point Dave Alexander était grand. Regardez les photos des Stooges et comprenez pourquoi les autres devaient le virer pour continuer à se prendre au sérieux. Lui ricane tandis qu'ils jouent aux affreux SS, aux tortionnaires de chats. Merde alors, Queen Samantha 2 recycle carrément les coups de wah wah cradingue, tandis qu'une flûte y va de son couplet. Par pans entiers tout s'éclairait. Aussi sec, je sortais Pleasant Dreams et bien sur il sonnait aussi parfaitement disco que Road To Ruin, je testais ma théorie avec Scream Dream, pour un résultat identique à celui obtenu avec les Ramones. Ted Nugent sonnait disco, Wango tango n'était pas un hit venu de l'espace, il était impeccablement calibré pour proposer aux radios une alternative rock sans rien perdre du format disco qui ressuscita le rythme sur des ondes empêtrées dans la guimauve. Je revois l'extase des spécialistes à la parution de Some Girls. Hallelujah les Rolling Stones redeviennent des rockers après les errements de Black & Blue ! Vraiment ? Avec un album qui repose sur Miss you et Beast of burden ??? Je ris. Et de saluer Dylan qui voit la lumière avec Slow Train Coming, le renouveau du fameux son du sud, mon vié, les mains que Wexler & Beckett ont appliqué sur le saint homme sont celles de la disco. Celles définies par Arif Mardin, homme de l'ombre de la mafia turque d'Atlantic records qui fit claquer les disques d'Aretha Franklin comme jamais ceux d'Otis Redding ne parvinrent à claquer. Lui aussi qui finalisa la formule avec Jive talkin' et Night on Broadway. Quincy Jones était un imposteur, comme souvent ceux qui restent dans l'histoire, mais les Bee Gees savent à qui leurs suiveurs doivent leurs sacres. 







Proche de l'hallucination, j'entendais de la disco dans tout ce que j'écoutais. Je jubilais de mépris envers les ignares persuadés d'avoir été débarassés de la bête. Je décidais donc fort logiquement d'écouter un album des Amboy Dukes. Migration, quel absolu chef d'oeuvre que voilà. Parfaitement raccord dans mon esprit avec septembre qui s'étiole. Hot R.S et leur reprise très personnelle de House of the rising sun (15 minutes de disco dub ponctué de débauche féminine) m'avaient indiqué la voie des origines, bien sur que les faiseurs de disco n'étaient pas tombés du ciel, ils avaient écouté les mêmes disques que vous et moi. Ils en avaient juste retiré d'autres ingrédients. Plutôt que se compromettre dans des poses extatiques de guitaristes en égotrip, ils avaient isolé la basse grommelante et l'inflexible beat puis les avaient calé sur métronome. Une chose que les Amboy Dukes seraient bien emmerdés de faire. Ne me faites pas dire, ce que je n'ai pas dit, les Amboy Dukes groovent. Ils sont de Detroit et les groupes de Detroit groovent. Tous. Grand Funk Railroad plus que les autres, certes, mais le Bob Seger System et toutes la clique sortie des couilles de Mitch Ryder ont un groove dont les crocs ne lâchent pas le mollet. Là où chacun trace sa route, c'est dans leur capacité de discipline. Les Amboy Dukes n'en ont aucune. Il faut n'avoir jamais écouté Ornette Coleman, Sonny Sharrock ou Pharoah Sanders pour hurler au free jazz en évoquant Fun House et Kick Out The Jams. Ces deux disques sont si structurés, et quelque part implacablement dépourvu d'imagination, qu'ils n'ont de free que quelques secondes atonales somme toute bien sagement planquées en fin de parcours. Les Amboy Dukes sont d'un tout autre calibre. En ce sens qu'ils n'ont de free, comme de jazz sans doute, pas l'ombre d'une référence. On sait d'Iggy Pop, qu'il se faisait bichonner les douilles par Nico, qu'il nourrissait un tel complexe envers New York (puis Londres, puis Berlin et enfin Paris) qu'il était près à n'importe quelle pirouette pour paraître cultivé (jusqu'à reprendre Joe Dassin, Yoko Ono et George Brassens sur le même disque). Ted Nugent et ses Amboy Dukes ne s'encombraient d'aucun complexe. Un arc, des flêches, une montagne, pas besoin de Jean Ferrat. La musique de ces types là se barrait dans tous les sens parce qu'ils ne savaient pas faire autrement. Ecouter leurs albums demande de dépasser la torture que celà peut représenter. Sur les deux premiers le chanteur est quelque peu compliqué à tolérer, on s'y fait. Sur Migration, le groupe recrute Rusty Day, futur chanteur de Cactus et sans tergiverser parmi les plus abrasifs gosiers de son temps (qui fut court, il sera abattu chez lui en compagnie de son fils adolescent et d'un colocataire lors d'un deal de coke). On se prend donc à espérer qu'ainsi renforcés l'album des Amboy Dukes va casser la barraque. S'il n'était pas en grande partie instrumental ! Qu'importe, Migration est fabuleux. J'en suis devenu obsédé. J'alternais dans un même bonheur la désinvolture de ses feedbacks et libertés rythmiques avec le romantisme robotique de Giorgio Moroder. Et ça tenait en équilibre. 

Hugo Spanky