mercredi 31 janvier 2024

En sTuDiO aVec BaSHuNG



On ne peut pas se tromper à tous les coups, l'oeuvre posthume d'Alain Bashung jusqu'ici malmenée par une série de publications navrantes vient de se dôter d'un album de haut vol, En Studio avec Bashung. Un document cohérent dont la parution est totalement justifiée par sa sidérante qualité musicale. Et historique, aussi, mais on s'en fout. De l'historique, on en avait déjà eu avec le composite De Baschung à Bashung en majorité constitué d'enregistrements des années soixante, portraits d'un artiste qui se cherche, n'ayant rien à apporter au mouvement dominant de son époque et dépourvu des aptitudes nécessaires pour évoluer dans sa marge. La principale qualité de cette compilation, par ailleurs généreuse, reste de proposer une sélection de titres parmi ceux gravés la décennie suivante avec Dick Rivers sous l'estampille du Rock Band Revival. Une série de reprises de classiques du rock'n'roll par un groupe fictif destiné à alimenter anonymement le marché du disque discount, vendu 15 francs dans les rayons des mousquetaires de la distribution aux côtés des Testament du Rock et autres merveilles hautement éducatives. C'était sympa, ça swinguait dur.





J'en arrive au plat du jour. En Studio avec BashungSi ce disque est aussi satisfaisant, c'est qu'il apporte un éclairage différent, faute de nouveau, sur la période la plus fascinante et créative de Bashung, celle d'où émergent les albums Play Blessures et Figure Imposée. Le contexte, Bashung le plante lui-même en quelques mots au début du disque. Fernando Arrabal lui offre un rôle dans son téléfilm Le Cimetière des Voitures et le sollicite pour en composer la bande originale. En échange d'un sourire. A ce moment de sa vie, Bashung est dans un état d'esprit typique des claudicantes années 80. Créateurs et créatures fantasment un trip apocalypstico-post-punk peuplé de craintes illusoires. Les enfants de la nuit ont soudain peur de leurs ombres. Le fumeux romantisme de la lose bat son plein, abandon à tous les étages de toute notion de bonheur. Il faut, pour être dans le coup, afficher Khôl épais, dents cariées, teint jaunâtre et, sublime du sublime, anorexie et depression chronique. Avoir de l'énergie à revendre et un optimisme à tout rompre était au mieux suspect, au pire condamnable. 

Cette mentalité de zombies consentants à principalement donné matière à rire. Elle a aussi engendré quelques instants superbes. Au milieu du carnaval, une maigre poignée d'artistes avait autre chose à soumettre qu'une attitude affectée. Un talent. Bashung en fit partie. Soudainement devenu star des variétés, le compte en banque alimenté par Gaby Oh! Gaby et Vertiges de l'amour, il a tout loisir de se lamenter sur son sort. Notre homme se voit artiste maudit, limite incompris. Lui le rocker, l'amateur de cold wave et de rockabilly, adepte de Manset et Christophe, se voit étiqueté article pour ménagères entre JJ Goldman et Francis Cabrel. Il le vit mal. Se triture l'objet. Trouve prétexte à révolte. 



Le soucis c'est qu'un téléfilm de Fernando Arrabal produit par Antenne 2 dans la France de Mitterand est à peu près aussi révolutionnaire que Toucher la chatte à la voisine. Ce qui n'a ici aucune importance. En Studio avec Bashung est une tuerie et c'est marre. On y trouve l'influence conjuguée de Bruce Springsteen et Mink DeVille sur 'Cause I want you, celle d'Alan Vega sur Rock be me, tandis que le tempo ultra lent de The Hébrides évoque les Cramps de Psychedelic Jungle. Autant dire l'underground vu de l'Hexagone, dans les faits le rock contemporain du moment. Une intense minute de blues en fin de parcours, I don't know, et partout ailleurs des classiques en devenir du répertoire de l'alsacien. Strip now, Bistouri scalpel et Imbécile, pour les nommer, ici dans des versions différentes. Assurément pas moins bonnes, différentes. Elles dégagent une langueur en pente douce, se développent sur toute la durée necessaire à l'émergence d'un climat. Le travail de retape effectué par Michel Olivier, déjà ingénieur du son lors des sessions d'enregistrements, respecte à la lettre cet esprit si particulier oscillant entre analogique et électronique émergeante. On nage en plein rétro-futurisme, tempi mécanos, guitares surf, groupe soudé et chambre d'écho. Bistouri scalpel vampirise le crâne plus qu'elle ne l'incise et la découverte de la version avec voix de Procession est une autre bonne surprise, 'Cause I want you me colle à la peau. Strip now en sort grandie à deux reprises. Sophie refourgue la formule gagnante de  Vertiges de l'amour pour un follow up avorté qui aurait eu de la gueule. En ne forçant pas le trait comme il aura tendance à le faire ensuite, Bashung se révèle chanteur instinctivement crédible dans un anglais imaginaire, assemblage de mots clés finalement similaire à ce qu'il faisait du français, avec lequel il illumine des mélodies dont on retrouve l'écho jusque sur l'album Osez Joséphine que The Hébrides et I don't know évoquent par ce feeling indéfinissable de blues crypto moderne qui fait regretter le virage pris avec Chatterton. Il y avait chez Bashung une tendresse mélancholique que sa pudeur a sacrifié aux pirouettes de l'esthète branché. Si Johnny Hallyday dans ce qu'il a eu de meilleur avait un héritier, c'était sans hésitation Bashung. Capable de planter pile entre les deux yeux ce que le coeur n'exprime d'ordinaire qu'en silence.

En un mot comme en un roman, ce disque est une saloperie. Il me donne un plaisir dont j'apprenais à me sevrer, celui de découvrir, non pas un tire-larmes nostalgique, mais un authentique disque de rock à écouter en boucle.

Hugo Spanky


13 commentaires:

  1. Bashung, je suis forcément d'accord avec tous ceux qui en disent du bien et je vais pas plus loin, ça me convient très bien comme ça. C'est pour moi plus une sorte d'icône qu'un disque que je mets sur une platine.
    Par contre, à propos de disque : ''Rock'n'Roll Hits'' par The Rock Band Revival avec Mike Hailwood en couverture façon Warhol cheap, ouah mais je l'accroche au mur illico. Y a des esthètes aux manettes là !

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    1. Rate surtout pas cet album de Bashung, il remet l'aventure au centre du débat. Un peu comme prendre un virage sur le porte-bagages de Mike Hailwood.
      De quoi ? Il avait pas de porte-bagages ?
      Sans déconner.

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    2. Les précédents disques posthumes m'ont tellement fait bailler que je suis complètement passé à côté de celui-ci qui est pourtant paru en 2022. Allez, hop, tu en parles tellement bien que je fonce voir de quoi il en retourne.

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    3. J'ai fait la même erreur que toi. Tu me diras ton avis, je pense que 'Cause I love you va te scotcher direct.

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    4. Il m'a tellement plus que je l'ai acheté direct. Niveau packaging, ils se sont pas foulés c'est du basique : cd digipack cheap, pas de livret avec un bref résumé du contexte de ces inédits. Mais bon à 9.99 €, on va pas faire les difficiles d'autant plus que le contenu écrase le contenant haut la main.
      " Cause I want you " (et non pas I love you) dis-tu ? Ben ouais, j'en suis tombé gaga itou comme de tout le reste d'ailleurs. C'est sa période zinzin en mode expérimental qui s'affranchit des carcans sclérosés guitare/basse/batterie - tout en les utilisant ! - en proposant des sonorités nouvelles qui nous plongent dans un monde interlope où l'étrange règne en maître et l'inquiétude frappe à tout bout de rue.
      Ce disque est un voyage intranquille d'une beauté sombre qui nous envoute mieux qu'un vaudou dès la première écoute ; un doux venin à s'injecter à haute dose.

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    5. Pourtant j'ai les lunettes et la pochette du vinyl qui est d'une taille autre que celle du cd ))) Je corrige.
      T'as juste pour l'analyse aussi, il s'affranchit du cadre tout en restant dedans. Le propre des meilleurs que de savoir naviguer jusqu'au large malgré les contraintes. Ce disque décompose la transition entre Pizza et Play Blessures, on y entend ce qui aurait pu être (et qui aurait été foutrement tout aussi génial) puis l'émergence de ce qui a été. C'est un témoignage fantastique d'une évolution en cours avec toutes les étapes laissées de côté (ou réutilisées plus tard, j'entends dans ce disque pas mal de ce qui ressurgira sur Osez Joséphine).

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  2. En tout cas quel plaisir d'écoute, hier à fond et bien entendu « Cause I Want Love You » m’a scotché, et tu nous y a bien préparé, je me fais des nœuds au cerveau, sa voix comme ça me fait penser à… merde pas trouvé, en dernière partie j’ai par contre pensé à du Mink De Ville bien chaud. Vraiment le pied. Dans mon enthousiasme je me suis jeté sur PLAY BLESSURES, quatre après une vraie tentative, je ne sais pas ce que j‘espérais. En fait je pense m’énerver un peu (un peu j’ai dit !!) sur sa façon de tirer les voyelles, cela m’énerve autant que le phrasé de certaines chansons de Higelin, de Starshooter aussi, because la difficulté de faire rock avec du français? J’ai dégradé la bonne note sur STRIP NOW (j’ai retrouvé mon commentaire de l’époque 2020, histoire de rester cohérent, pas ma qualité première) mais j’ai remonté BISTOURI merci le STUDIO, bien éclaté sur TROMPÉ et trouvé positivement curieux JUNGE. Haaa Bashung, une fois accro j’imagine qu’on en décroche plus.

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    1. Play Blessures te fera sans doute toujours un effet contrasté, il est ainsi. C'est un de ces disques conçus avec un parti pris. On le comprend encore mieux en découvrant En Studio. Bashung avait matière à transition douce après les rondeurs savoureuses de Pizza, il a choisi d'être radical, voire excessif jusque dans sa diction comme tu le soulignes. Son chant sur les versions d'En Studio est beaucoup plus naturel, mais on sait qu'il a finalement décidé de rompre avec sa précédente incarnation lorsqu'est venu le moment de concrétiser le projet. C'était ce qu'il avait de mieux à faire pour rompre avec l'espèce de no man's land variété-rock qui foutra en l'air à peu près tous les autres, de Téléphone à Higelin en passant par Capdevielle ou Couture (qui lui choisira de filer à New York pour se réinventer peintre). Le morceau Sophie aurait pu être travaillé dans l'optique d'un single pour surfer sur le succès de Vertiges de l'amour, le potentiel y était. Au bout du compte le single sera C'est comment qu'on freine ))) Tout est dit, là, non ?
      Figure Imposée passe bien la rampe aussi, même s'il est plus inégal que Play Blessures. Bashung n'était pas arrivé à le finaliser comme il aurait dû l'être. Mais la plus récente réédition cd de l'album qui ajoute le fabuleux Spiele Mich An Die Wand à la tracklist (ainsi que White spirit, tous deux en remplacement de Lou ravi et Nuits Halloween) lui rend enfin justice. Avec cet agencement là, le disque est plus cohérent dans sa radicalité et se hisse pas loin du niveau de son prédecesseur. Là où tel qu'il était paru à l'origine, il avait le cul entre deux chaises, mi-Play Blessures, mi-prélude à Passé le Rio Grande.

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    2. Peut être aussi que Play Blessures t'apparaitrait mieux si tu l'écoutais d'abord dans ce qu'il est vraiment. C'est le soucis avec les cd rallongés, si on connait pas le vinyl d'origine ça floute la donne. Donc, pour info, Play Blessures finit par Trompé d'érection.
      Ce qui suit sur le cd c'est la B.O du Cimetière des Voitures qui est antérieure à l'album, mais n'avait jamais été commercialisée. Ce sont d'ailleurs les seuls morceaux co-signés par Boris Bergman, puisqu'il a été évincé ensuite du projet Play Blessures.

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  3. Les deux photos centrales, merci 🤩
    C'est vrai que même joyeux, il fallait être triste dans les années 80, c'était marrant 😄
    Ça a en torturé plus d'un de se retrouver cantonné, voire englué, dans la catégorie variété - je pense à Nino Ferrer et tant d'autres -, pourtant et égoïstement pour nous, c'est dans cette colère et cette frustration où leur égo leur faisait défaut qu'ils ont sorti des merveilles, et rien à envier aux amerloques. En Studio avec Bashung en est l'exemple type. Tu décris parfaitement l'atmosphère et la chaleur qui s'en dégage et beaucoup de ces morceaux quasi "mémo" sont de vraies tueries, je me demande juste si Bashung l'aurait sorti de son vivant. Mais je pense aussi qu'on aura jamais la réponse 🤠

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    1. Même vivant pas mal de disques sortent sans consentement de l'artiste, la plupart n'ont pas ou plus le contrôle. Dans le cas de Bashung, on peut spéculer. Il était plutôt friand de sorties postérieures à la création. Il a réalisé deux intégrales auxquelles il ajoutait à chaque fois des inédits, des remixes, des documents.
      Les parutions parallèles à sa discographie "grand public" sont nombreuses, disques pour enfants (Max et le rock, Emilie Jolie), disque religieux Le cantique des cantiques à l'occasion de son mariage avec Chloé Mons, puis La ballade de Calamity Jane et L'Homme à Tête de Chou, qui fut son dernier projet. Le très recommandé (de ma part) Réservé aux Indiens regroupe des instrumentaux et des chansons laissées pour compte, tout comme le rare Instrumentaux avec sa pochette caméleon.
      A mon avis si la musique du Cimetière des Voitures qui occupe une large partie de En Studio n'est pas sortie au moment de son enregistrement, c'est plus du fait de la maison de disques que de Bashung. Ils attendaient de lui des tubes dans l'esprit de Gaby et Vertiges, certainement pas des machins aussi décalés.

      Et c'est là qu'on en arrive à La Variété, qui est un truc exclusivement français. Balavoine avait justement dit que son travail inspiré de Peter Gabriel aurait été qualifié de rock dans les pays anglo-saxons, mais pas ici. Comme si le terme rock était l'exclusivité des groupes de seconde zone s'efforçant de remplir le cahier des charges (dont le premier impératif est que pour être rock tu dois être un échec))
      Ceci dit, la Variété amène une liberté que les autres n'ont pas. Le qualificatif et ce qu'il incarne oblige nos artistes à prendre des directions différentes du carcan Beatles/Rolling Stones. D'ailleurs c'est quand ils s'essayent au rock traditionnel qu'ils se plantent. La spécificité française c'est qu'il faut un ingrédient supplémentaire pour que ça fonctionne. On a été biberonné à ça et c'est cool, on a appris à se foutre des étiquettes.

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  4. J'ai pris une baffe en 2023 avec "De Baschung à Bashung".. mais pas une bonne baffe. Longtemps je m'étais dit, merde.. c'est qu'ils sortent ses débuts ..un artiste comme lui. Pourtant j'aime bien la chanson "française" des débuts.. variétoche ou pas.. les 1er Balavoine, Jonsaz, Lavilliers .. avant qu'on les connaisse. Catastrophe pour Alain (par contre j'aimerais bien qu'ils fassent la même chose pour Y.Simon). Donc, coup de frein sur les écoutes. Puis avec ton billet, j'ai écouté ce "En studio" que j'avais zappé, ça m'a réveillé un poil, même si je suis assez moyen sur "Play..". j'ai pris du plaisir sur Bistouri.... Et du coup, je me suis mangé le LIVE 1981. Donc, merci, tu as déboulé à temps ;D

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    1. Je ne sais pas ce que tu penses du Live 81, pour moi c'est la tasse. Bashung n'a pas encore recruté les rockers marseillais avec lesquels il donnera le meilleur de lui-même (dans le registre rock audacieux qu'il délaissera ensuite pour briller autrement), du coup ça sonne baba variétoche. Aucune version n'égale son versant studio, on est loin du sommet incarné par le Live 85 ou Tour Novice.
      Le coffret Baschung est pire encore, tant sa maturité musicale fut une mèche longue à venir et j'avais déjà dit tout le mal que je pense de En Amont. Non, vraiment, l'oeuvre posthume De Bashung n'est pas à la hauteur. Ce qui rend En Studio d'autant plus précieux. Pour le reste, il vaut mieux chercher satisfaction dans la marge de sa production, les cd Instrumentaux ou Réservé aux Indiens sont de véritables malles aux trésors.
      On annonce une compilation avec un titre inédit que je n'ai pas écouté. Si ça relance l'intérêt, tant mieux, j'ai l'impression que Bashung n'entre toujours pas dans le cadre. La star academy ne l'a pas encore béatifié. Pas plus qu'Yves Simon, d'ailleurs ou Thiéfaine et Higelin. Bizarre cette volonté de ne garder de la production française que Piaf, Brel et Aznavour, pourtant faire chanter à ces petits jeunes le répertoire de Trénet serait un bel hommage ))

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