Bruce Springsteen a de la
suite dans les bonnes idées et s'il sait mettre entre parenthèses
un projet pour lequel il estime n'avoir pas encore trouvé le ton
adéquat, il sait aussi le ressortir de sa manche le moment venu.
Il y a un manque dans sa
discographie quelque part dans les années 90, lorsque sous influence
d'Antony & the Johnsons il enregistrait Lift me up, lorsqu'en
bidouillant tout seul dans son home studio il en sortait des
merveilles tel que Missing, Street
of Philadelphia, Back in your arms, American skin, Goin' Cali et
d'autres éparpillées sans la cohérence que le projet aurait mérité
tant cette lost période semble avoir été riche.
High hopes, qui sera en bac dans une poignée de semaines, n'est pas cet
album fantôme mais assurément il est ce qui s'en rapproche le plus.
Dans ses plus brillants moments. Dans l'ordre d'apparition, Harry's
place et son saxo à la sonorité proche de celle utilisée par David
Bowie sur Black tie white noise pour un résultat qui s'il n'est pas
réellement novateur nous emmène néanmoins sur un territoire que
Springsteen ne nous avez pas encore fait visiter. Comme plusieurs
autres morceaux du disque sa fin abrupte donne une impression
d'inachevé non dénuée de charme. La version studio d'American
skin enfin révélée confirme tout le bien que je pense de
Springsteen quand il œuvre sur cette voie, tout comme le splendide
Down in the hole, véritable bijou de l'album avec ses airs de I'm on fire et toute l'intelligence de la production dans
ce petit gimmick sur la voix qui permet au morceau de décoller
pleinement au moment où se coupe le filtre. Avec Hunter of
invisible game et surtout les deux autres chef d’œuvres du disque,
placés à sa conclusion, The wall et ce Dream baby dream qu'il
devait être saisissant d'entendre à la fin des concerts de la
tournée Devils and dust tellement Springsteen s'approprie le morceau
de Suicide, ces six titres sont la chair de l'album, sa justification
tant leur qualité les hisse au niveau de ce que le Boss a enregistré
de meilleur depuis une bonne vingtaine d'années. Ensemble ils
forment une sorte de E.P au cœur d'un disque multifonction.
Car le boss est en
tournée et ne semble pas avoir envie d'en rester là. La manière
dont il se met Rio dans la poche en une poignée de minutes lors du
festival Rock in Rio lève le moindre doute, Springsteen veut du
live, encore et encore. Puisque la mort rode autour de son E.Street
Band, il répond par la vie, une overdose de vie. Et puisque Shackled
and drawn s'use plus vite que Thunder road, il remplie la
cartoucherie de munition fraîches.
C'est ici que, résonnez
trompettes, Tom Morello fait son apparition. En toute discrétion à
vrai dire, avec savoir faire et a-propos notamment sur Harry's place
dont il habille le final avec habileté. Son morceau de roi vient
avec The ghost of Tom Joad dans une version définitivement
acrobatique. Dans son habit électrique elle me fait la même
impression que la découverte de Born in the USA en version
acoustique, elle s'impose comme une évidence.
High hopes qui ouvre les
débats et les a précédé en single remplit parfaitement son rôle,
compact, pêchu, avec un riff d'accordéon qui d'emblée m'accroche
comme chaque fois que notre homme sort cette instrument de sa
musette. Just like fire would des Saints devient vite fait bien fait
un morceau de Springsteen, enlevé, balancé, avec Little Steven
planqué dans les chœurs, une reprise qui a tout pour tenir le rôle du numéro 12
sur la tracklist des concerts à venir. En ce qui me concerne, sa
présence sur l'album est anecdotique.
Heaven's wall retrouve partiellement le ton de The Rising et même s'il n'est pas grand chose d'autre que du remplissage
sur lequel Bruce ne semble pas plus investit que ça, il reste
globalement plaisant et son bref duel de guitares laisse imaginer de
futur empoignades scéniques toutes cordes dehors. Frankie fell in
love fait lui office de voyage dans le temps en nous ramenant aux
mélodies envolées des 70's, sans doute le morceau le plus E.Street
Band dans son orchestration. This is your sword est à première vue un reliquat pas franchement très utile de Wrecking ball dans son versant Pete Seeger. On ne va pas se mentir, celle ci aurait aussi bien pu rester là où elle était.
High hopes ne fera pas
taire les grincheux mais il continuera à faire rêver les amoureux.
Personnellement je regretterai que Springsteen ne soit pas allé au
bout de sa démarche intimiste mais comment reprocher à un homme
d'avoir encore trop d'énergie à transmettre pour se contenter de
flatter les dérives mélancolique de nos âmes ?
Tel va le Boss au gré du
temps qui passe, débarrassé des angoisses de la perfection, il se livre enfin tel qu'on le voulait, dans toute son humanité,
laissant telle quelle les imperfections au profit de l'existence. Et
je vais vous dire mon sentiment profond, ça fait du bien. High hopes
est un disque imparfait qui se veut ainsi, un fourre tout comme les
Stones savaient en laisser paraître, un machin qui ne court dans
aucune catégorie, qui ne concourt à aucun prix, qui laisse aux
autres la futilité du clinquant. High hopes ne verra son éclat
s'user sous aucun spotlight, parce qu'il n'est pas conçu pour briller.
Un disque bref et mal branlé du Boss, un disque sans vision ni
concept, on n'avait pas encore ça en vitrine, venant de sa part. Alors il faut chercher ailleurs le sens de tout cela, puisqu'avec lui tout a toujours sinon un sens du moins un but. Wrecking ball était un disque quasi désespéré, le dernier sursaut de Davy Crockett à Fort Alamo, comme si aucun espoir ne subsistait. Et quant on est Le Boss on ne laisse pas ses ouailles sans espoir.
En
laissant fuiter ces douze titres juste avant le réveillon du jour de
l'an, Springsteen a offert aux internautes -et dans la foulée à
tous les autres- un cadeau qui lui aura assuré au passage d'être dans
toutes les enceintes de bon goût aux douze coups de minuit, dans les
bars, dans le salon du quidam, à sa place parmi nous, encore et
toujours, comme un miracle sans cesse renouvelé. Bruce Springsteen
est encore là, la main sur nos épaules. Une main moins ferme sur
des épaules moins frêles mais l'important est ailleurs. Seule
compte sa présence. Et la notre.
Super idée cette fuite juste avant le jour de l'an ;)
RépondreSupprimerAprès je suis pas fan moi de cet album. Même si les morceaux sont jolis, je n'y trouve rien de saisissant à mon humble avis.
Sylvie
Le problème avec ces disques et j'inclus le disque de la fille Presley et ces chanteuses country que tu conseilles, c'est le son.
RépondreSupprimerCette production fout tout en l'air. Ce son moderne trop épais, trop propre me débecte.
Dommage car les chansons sont surement bonnes mais ca vire de ma platine au bout de 30 secondes... Je suis peut etre trop vieux pour l'époque mais je retourne direct à mes singles de Chuck Berry...
Chope toi A killer's dream de Rachel Brooke et on en reparle.
SupprimerAh Serge, ta critique me rappelle un certain Mr Spanky qu'il n'y a pas si longtemps que cela reprochait exactement le même défaut à tous les disques de Bruce suivant "Born in the U.S.A.": soit donc une production sonore trop clinquante. Il y a mis le temps mais désormais, il a fini par apprécier - et pas qu'un peu, le bougre! - quasiment toute la discographie du Boss. Espérons que cela finisse par t'arriver un jour car assurément, tu passes à coté de grandes chansons.
SupprimerQuant aux chanteuses country dont ont fait l'éloge depuis récemment, Hugo a bien raison: écoute Rachel Brooke dont la production sonore est des plus old school et devrait te ravir. En ce qui concerne Lisa Marie, j'estime que le boulot accompli par T.Bone Burnett est en tout point remarquable de finesse.
Clairement on en est à un stade où faut choisir, soit on écoute toujours pareil, soit on accepte de se coltiner de nouveaux sons et de s'y adapter. Perso, je vois la musique comme je vois la vie, ça fluctue, parfois on en redemande parfois on voudrait le bouton Stop.
SupprimerJ'aime l'esprit américain qui fait se côtoyer tout et son contraire, qui pour continuer à faire fonctionner la machine met des doses plus ou moins homéopathique de nouveautés dans ses fondamentaux. Ça me va. Et même leur variétoche est de qualité, les nanas savent chanter, danser, se placer nickel sur un morceau et tout ça en se trouvant le petit quelque chose qui va les distinguer les unes des autres.
En France, on n'a même pas tout et son contraire, on est dans l'uniformité. On s'est fadé dix ans de Quebecois, et là on est en plein dans dix ans de Belges. Ah, si, estampillé bleu blanc rouge on a un clone de charlie winston (christophe maé, donc) qui caracole en tête des ventes avec un produit extra roots from new orleans qui sonne pile poil comme yannick noah quand il nous chantait l'afrique. Super....C'est comment qu'on freine ?
Alors je ne vais pas en prime poser le diamant sempiternellement sur les 100 mêmes disques pour y entendre le même son, le même refrain. J'ai envie de m'enthousiasmer.
Hugo
Décidément plus j'écoute ce "High Hopes" et plus je le trouve décevant. Ce qui constitue une réaction complètement à contre nature de tout album de Bruce qui se respecte. Seuls quelques morceaux tirent leur épingles du jeu ( High hopes, les réinterprétations de American skin (41 shots) et The ghost of Tom Joad, The wall et la reprise - en tout point exceptionnelle, elle - de Dream baby dream) au milieu de pléthores de titres franchement anecdotiques.Pour moi il vient s'ajouter à la courte liste des albums les plus fades de sa carrière juste après donc le catastrophique "Human Touch" et le tiède "The Rising".
SupprimerHarry, quel album me conseillerais-tu pour entamer ma réconciliation avec le boss. (J'ai cessé de m'interesser à lui après l'écoute de "the ghost of tom joad" qui m'a beaucoup ennuyé). Un qui sone pas trop rock FM quand même.
SupprimerEssaye donc "Devils & Dust", roots mais pas ennuyeux comme "The ghost of Tom Joad" (là, je partage ton avis: les textes ont beau être sublimes ça n'empêche que musicalement parlant on s'emmerde ferme) et, dans le genre entraînant et de haute volée, plonge-toi donc dans le fabuleux "Live in Dublin", une tuerie à te rendre marteau.
SupprimerAprès, lance-toi dans l'écoute des morceaux Good eye, The last carnival sur l'album "Working on a dream" et Shackled and drawn, Jack of all trades, Death to my hometown sur "Wrecking Ball".
Gageons qu'après tout cela, tu te laisseras happer par le reste de sa production des années 2000.
Clairement Hugo, tu as raison: vaut mieux se tourner vers l'avenir et écouter de nouvelles choses.
RépondreSupprimerSauf que j'y arrive pas. C'est pas la bonne volonté qui me manque :-)
Mais si, c'est la bonne volonté qui te manque. En même temps on cause futur sur une chronique du nouveau Bruce Springsteen.....
SupprimerEcoute A killer's dream de Rachel Brooke, sérieux, c'est du bon avec un son qui va (très) bien.
La balade feutrée avec les petites touches décalées dans le production est un registre où Bruce excelle en vieillissant. Ce Down in the hole est une perle qui donne envie d'écouter l'album. Je n'oublie pas que Springsteen est un artiste grand public (middle of the road) capable de prendre des chemins de traverse comme avec l'improbable mais insubmersible "Nebraska" en 1982, sorti derrière le carton The River.
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