samedi 14 février 2015

BoB DYLaN Le LéGioNNaiRe De La MuSiQUe


Au dos de la pochette de son dernier disque, Bob Dylan, au bras d’une mystérieuse femme masquée, contemple un single Sun, comme si l’étrangeté de la musique de Memphis était la dernière énigme qui lui restait à résoudre…

En 2013, Misty White enregistrait son album pour Bang records au studio Sam Phillips Recording (Memphis) avec aux manettes le guitariste des sessions Sun de la grande époque : Roland Janes, malheureusement décédé depuis. Quelques jours avant, il venait d’enregistrer, au même endroit, notre fameux Zimmerman… Et Misty n’était pas peu fière que Roland Janes note son numéro de téléphone juste au dessous de celui de Dylan. Bien que ce disque soit un excellent délire de crooner country, la connexion avec Sun me paraît maintenant évidente.


Dylan reste avec Elvis, les deux artistes dont j’aurai tout aimé : des premières notes des Minnesota Tapes à ces ballades sirupeuses de 2015. Comme Elvis, il n’a été qu’habité par la rugosité de la musique américaine, le blues, le gospel, la country….  Ce qui les rend tous les deux imperméables aux interférences des époques qu’ils ont traversées. Mort trop tôt, le King aurait été du même bois.



Et c’est en rocker que je vois Dylan, depuis ce fameux concert de Toulouse de 1993 au palais des sports. Je revois encore la salle coupée en deux, la scène avancée pour combler le vide d’un public plus que défaillant à cette époque.  Le menton collé sur la scène, j’ai tout observé à ses pieds : son look impeccable avec son pantalon de mariachi, ses plans de guitares électriques quasiment improvisés (plus proches d’un Chuck Berry que d’un Doc Watson), ces copieuses engueulades hors micro avec ses musiciens (putain de caractère!!), ses tubes complètement déstructurés que je reconnaissais à peine aux paroles… Si il y a un moment où j’ai approché la fragile flamme du rock and roll, c’est bien ce soir là…

 

Je venais de m’acheter le premier Bootleg Series quelques temps auparavant, et c’est avec ce disque que j’ai vraiment découvert  Dylan. Mon père avait le concert au Bangla Desh avec George Harrison, mais gamin, je préférais son disque de Bill Haley, (une compil des années 70 avec une femme à moitié nue dessus. Enfin… elle était peut être habillée mais je m’en souviens comme ça). J’ai du attendre d’avoir 24 ans pour comprendre un peu mieux de quoi il en retournait. Je sentais un peu quand même que l’orgue de Mickey Gallagher qui donne sa couleur à London Calling ça venait de Like a rolling stone. Et Bijou reprenait Si tu dois partir, ça sentait bon l’électricité. 

 

 

Faut dire que le Bobby, on l’a mal compris. Chouchou des universitaires indignés, il les avait pourtant envoyé paître en 1963 lors de la remise du prix Tom Paine. Du haut de son génie juif, Il avait senti le piège et la tentative de récupération très tôt.  Quant on visionne les conférences de presse des années 60, on est frappé par la niaiserie des questions posées et la gène de Bob qui s’efforce de rester courtois… Même s’il était sensible aux droits civiques, ce qui est un minimum, il n’était pas plus que ça intéressé par les idées «progressistes». Ce qui le branchait, lui, c’est la musique américaine, encore et toujours... jusqu’à son dernier souffle. 



Le folk évidemment
L’Amérique attendait un héros, un nouveau Jerry Lee ou un Buddy Holly, mais c’est par le folk que ça arriva.  Dès l’adolescence, dans le Minnesota, c’est le son de la country qui le fascine. Le SON !!! C’est ça la musique américaine… Les types ont un son à eux avant tout le reste. Avant le look, avant la virtuosité ou les paroles. Le jeune Bob s’intéresse au folk, car c’est la seule musique qui lui semble intègre à l’époque. Il «emprunte» une vingtaine de disques à ses «potes», des raretés folks introuvables. Ils le retrouvent et lui font un brin la leçon. Ce sont ces petits détails de sa biographie qui me le rendent si précieux. Comme ces heures passées à décrypter les chansons…




La scène folk où il débarque début 1960 est finalement assez bidon : faux prolétaires, (futurs dentistes, comme le dit Dave Van Ronk dans  sa bio)  faux bouseux, faux artistes bohèmes, véritable revival en revanche et donc caricature des années 20. Mais comme toujours, la réalité est plus compliquée que ça et tout cela n’empêchera pas l’émergence d’un son magnifique, celui de Vanguard Records ou de Folkways, d’artistes excellents comme Eric Von Schmit, Fred Neil ou Tom Rush
Le jeune Bobby, lui, a beau raconter des bobards sur sa biographie à qui veut l’entendre, il n’en reste pas moins crédible que les autres. Ramblin Jack Elliott, fils de médecins juifs de Brooklyn se fait passer pour un vieux baroudeur…  Mais Bob, lui, est déjà trop hillibilly pour cette scène, la voix trop rude. Il rompt le procédé « folk » (c’est à dire la transmission orale de la musique) le jour où il se met à composer. Il est déjà ailleurs et quand surgit le Freewheelin’ Bob Dylan, c’est toute l’Amérique qui retrouve la filiation de ses prophètes. De Jimmy Rodgers à Hank Williams. Les milieux noirs sont aussi touchés et c’est un tour de force à l’époque. Y pas longtemps, J’ai refermé A l’affut, la bio de Bobby Seale, le fondateur des black panthers. La seule allusion à la musique qu’il fait, c’est à propos du jeune Bobby dont il décode les paroles à double sens. Les groupes Gospel le reprennent aussi. Les Staples Singers entre autres.


C’est aussi le premier à produire des textes qui font le pont avec la littérature, sans doute l’influence beat, Kerouac et Ginsberg. Freewheelin’ … marque la cassure : Écriture automatique, surréalisme ou Rimbaud ? Les français ont toujours, un siècle d’avance quand il ne s’agit pas de musique. Patti Smith et autres Tom Verlaine ne s’y tromperont pas. Justement, les rockers new yorkais de 1975 (j’ose plus utilisé le mot «punk») parlons en. Patti Smith habitait l’hôtel Chelsea, voisine de palier d’Harry Smith, artiste génial, musicologue visionnaire, l’homme qui avait collecté les chansons pour sa monumentale Anthology of American Folk Music de 1952 qui fut finalement la matrice de toute cette scène folk. Inutile de vous dire que peu des suiveurs du punk, comprendront la connexion avec le folk des années 20 : L’honnêteté et le dénuement.


Mais aussi le rock and roll !!!
Il affirme avoir assisté à la fameuse tournée qui mit fin à la courte vie de Buddy Holly. Puis accompagna plus ou moins Bobby Vee dont il reprendra les morceaux en tournée dans les années 2010. Ça ne le quittera vraiment jamais et il le retrouvera en électrique bien sûr, et plus encore avec les musiciens de Ronnie Hawkins, connu sous le nom des Hawks, le futur Band. Ces mecs sont comme lui : du Nord.
Ils connaissent les hivers rudes, les concerts à deux balles dans tous les bars de l’Ontario : reprendre Bo Diddley devant des routiers canadiens, ramasser le matos à moitié bourré et repartir en camionnette dans la nuit, les essuie-glaces à fond à travers la tempête. Robbie Robertson est à l’époque le meilleur guitariste blanc de rock and roll  sur la planète. Je ne me suis jamais remis de sa partie de guitare sur la version de Who do you love de  Ronnie Hawkins. Il a vite compris que tout était dans le touché : il bosse les morceaux d’Howling Wolf pendant des heures : juste une note qu’il arrive à faire sonner de manière à ce qu’elle vous vrille le cerveau : la quintessence du blues.


La collaboration avec Dylan est un cataclysme : la tournée anglaise, le fameux concert où il se fait traiter de Judas. Et puis…les Basement Tapes…. Ressortis en intégralité en 2014 et que j’attendais fébrilement depuis des mois. Comme pour les Sun sessions d’Elvis, la magie opère de manière un peu mystérieuse. Est ce un état d’esprit, une certaine décontraction, la voix trainante de Dylan couplé à l’aisance du Band ? On ne sait pas vraiment : Dylan fait trainer les syllabes : Ooh, baby, ooh-ee. It’s that million dollar bash. Il n’a déjà plus grand chose à prouver. C’est juste pour la musique et cette bande de canadiens.


 

 
  

La fête est loin de se terminer, car si on regarde bien les chefs d’œuvres se sont accumulés. Dylan, Blood on the tracks dans les années 70, les trois albums chrétiens, Oh Mercy, et la renaissance à partir de Time Out Of Mind jusqu’à maintenant. Toute une vie à acheter ses disques…toujours surpris à chaque fois  de leur niveau de qualité, la chance d’avoir été le contemporain de ce «légionnaire de la musique» comme il se surnomme lui même. 





Pas très original, me direz vous, d’être fan de Dylan, mais c’est ce que j’avais à dire sur ce petit gars du Minnesota.

Serge Bang 
http://www.bobdylan-fr.com  (Excellent site de traduction de ses paroles)
http://www.bangrecords.com (L'album de Misty White et de nombreux autres à un clic de vous)

dimanche 8 février 2015

MoONLiGHtiNG


THe FuN coMeS iN YouR HouSe


Milieu des années 80, un raz de marée s’apprête à tout dévaster dans le paysage audiovisuel américain; à redéfinir à jamais les canons sclérosés en vigueur de ce microcosme bien trop ronronnant. Cette bourrasque bienfaitrice se nomme Moonlighting et son moteur principal Bruce Willis


Tout débute par le showrunner Glenn Gordon Caron qui à l'époque se lasse de la série trop gentiment décalée à son goût Remington Steele (avec un Pierce Brosnan débutant) et a des envies d'émancipation avec un programme conçu par ses soins doté d'une impertinence jusqu'alors inédite dans le monde télévisuel.
Son idée est simple, partir du postulat d'un couple de détectives et envoyer paître toutes les règles de bases pour se concentrer sur les personnages et leur forte singularité détonante. Pour ce faire, il doit trouver un duo d'acteurs dont l'alchimie à l'écran soit immédiatement identifiable.
Rapidement son dévolu pour le personnage féminin, qu'il voit glamour et froid au premier abord, se porte sur Cybill Shepherd, un ancien mannequin dont la carrière d'actrice doit tout au cinéaste Peter Bogdanovitch qui en a fait sa muse et sa femme durant un temps. 



Mais c'est le personnage masculin qui va lui procurer le plus de fil à retordre à dénicher. Il veut que celui-ci soit l'antithèse de Cybill, un type à la coolitude écrasante, au tempérament de branleur affiché sur son visage, à la malice éclatante, à même de foutre un bordel pas possible en un rien de temps et à commettre des actes impardonnables tout en demeurant une crapule tout aussi attachante que séduisante. Après un casting titanesque, c'est un parfait inconnu qui dès sa première audition attire ses faveurs: Bruce Willis qui s'impose donc comme une évidence. Autant dire tout de suite que la chaîne ABC oppose son veto à ce choix jugé suicidaire mais Glenn n'en démord pas ce sera lui ou la série ne se fera pas.


Finalement tant bien que mal le pilote est validé et dès lors Glenn sait qu'il n'aura pas droit à l'erreur. Avec une niaque jamais prise en défaut, il s'engage corps et âme dans son élaboration et apporte sa patte volontiers originale à un script loufoque à souhait qui soutiendra de bout en bout sa vision: faire marrer les gens avec une romance des plus improbables, bref ressusciter la screwball comedy qui l'enchante tant en la rendant volontiers plus corrosive. C'est peu de dire que ce salopard aura réussi son coup de façon magistrale.

Cybill incarne Maddie Hayes, un ex mannequin, qui après s'être fait dilapider sa fortune par son comptable peu scrupuleux se voit contrainte de reprendre les rênes de la seule chose qui lui reste en sa possession et dont elle ignorait par ailleurs l'existence: une agence de détectives. Seulement voilà, quand elle se retrouve en son sein, il ne lui faut pas bien longtemps pour comprendre que cette affaire ne sera jamais rentable puisqu'une bande de farfelus la peuple; notamment le plus notoire de tous, qui pour couronner le tout fait office de patron, David Addison (Bruce Willis) qui dès sa première rencontre avec elle la drague effrontément et lui assène qu'il l'a déjà vue quelque part, sûrement en tenue d’Ève dans une revue cochonne ! D'entrée de jeu, on le voit, le ton est donné et on se doute très vite, qu'avec ces deux là ensembles, les situations vont être explosives. 



Et elles le seront effectivement, puisque après le succès du pilote le show a le feu vert et Glenn va s'en donner à cœur joie et nous proposer un véritable festival.

Si Moonlighting fonctionne si bien c'est grâce à une combinaison sans précédent de facteurs qui en font toute sa saveur. Tout d'abord des acteurs récurrents épatants (Bruce et Cybill donc mais également tous les seconds rôles: Agnès DiPesto la standardiste out of the world, incarnée par une Allyce Beasley irrésistible de drôlerie décalée, Burt Viola, l'employé de bureau qui se montre d'un enthousiasme assommant à la simple perspective de devenir un jour un détective privé assermenté, dont Curtis Amonstrong revête le costume avec une douce folie épatante et tous les figurants qui à chaque épisode commettent en arrière plan des actes insensés hilarants), ensuite une narration dont l'ambition est de nous surprendre plus que de raison (les acteurs qui se mettent à parler à la caméra et nous prennent à parti, les allusions moqueuses à la série dans la série, les inattendues ruptures de ton dans une scène qui peuvent nous amener autant à l'émotion qu'à l'amusement dans un même plan et les intrigues retorses et extravagantes qui font écho à l'existence des héros principaux), puis le décryptage lucide et implacable des mœurs de l'époque (le monde du travail et ses petitesses indignes en prend pour son grade, les différences de classes sont impitoyablement mises à jour et même la religion est abordée avec un rare discernement) et surtout des dialogues ciselés comme rarement ou les acteurs se régalent à parler à toute berzingue en nous prodiguant de joutes oratoires à se bidonner jusqu'en s'en étouffer. 

  
Si cela n'était pas suffisant en plus de cela, ce show se donne des moyens d'assurer un rendu prestigieux. Au travers d'hommages à l'âge d'or Hollywoodien avec un épisode en noir et blanc qui reprend les codes du classique du film noir Gilda, un autre qui apporte son dû au comédie musicale en engageant rien que moins l'immense Sanley Donen pour filmer une chorégraphie époustouflante ou bien encore une scène de prison qui fait revivre l'espace d'une séquence le célèbre Jailhouse Rock d'Elvis. Et que dire du détournement de La Mégère Apprivoisée de Shakespeare si ce n'est qu'il est brillant d'irrévérence et nous en met plein les mirettes tout du long avec en plus un Bruce Willis déchaîné qui absurdement se met soudainement à interpréter Good Lovin' en costume d'époque farfelu tandis que le casting tout entier entonne les chœurs à s'en péter les cordes vocales.


Car Moonlighting a également le bon goût de nous proposer un accompagnement musical de haute volée avec des pépites de la soul music (The Temptations ont même droit à une apparition !) et du rhythm'n'blues distribuées sans compter tout le long des épisodes et qui font résonance avec les histoires en cours.    

On l'aura compris, ce show singulier dans une époque – les années 80, il ne faudrait pas l'oublier – où la télévision est policée à l'extrême a de son souffle puissant envoyer balader toute règles de bienséance. Il nous aura surtout fait découvrir un Bruce Willis dans un rôle qui, sans contestation possible, se révèle être le meilleur de toute sa carrière. L'animal fait feu de tout bois. D'une scène à l'autre il peut-être repoussant, charmant, déprimé, joyeux tel un gosse, mutique mais avec une imposante présence, envoyer des réparties cinglantes comme nul autre, se mettre à nous faire montre des ses talents de chanteur au détour de séquences mémorables (il n'a pas son pareil pour faire des entrées fracassantes en se trémoussant tout en chantant des tubes de soul music intemporel) et à nous donner des frissons quand il se met à jouer de son harmonica.
Pour autant il convient d'ajouter que Cybill Shepherd lui tient la dragée haute et qu'elle n'hésite pas à écorner son image en se donnant à fond face à un tel bulldozer dont rien ne semble pouvoir arrêter la marche. Peu a peu son personnage se révèle moins stéréotypé qu'on ne le croit (comme tout un chacun se sont ses contradictions qui la révèlent au mieux) et à travers elle c'est la cause féminine qui est défendue avec finesse sans didactisme de mauvais aloi. 


Afin d'être tout à fait honnête, il faut savoir que cette série, qui comporte cinq saisons,  n'est pas parfaite de bout en bout et qu'elle comporte son lot d'épisodes faiblards au mieux ou qui ne valent pas tripettes au pire (souvent ce sont d'ailleurs ceux où la romance prend trop le pas sur l'espièglerie qui est la marque de fabrique de ce show) mais en comparaison des pépites qui jalonnent son parcours ce n'est pas trop cher payé de devoir se les fader et je vous encourage à vous dégoter au plus tôt ce Moonlighting qui j'en gage vous apportera de grands moments de joie.

 





P.S: Pour en revenir à Bruce Willis et ses talents musicaux, je vous conseille d'aller écouter ses deux albums solos enregistrés chez Motown: The return of Bruno et If I don't kill you, it just makes you stronger. Le premier pop, funk et soul manque un peu d'unité mais il contient néanmoins de forts jolies choses (les reprises de Respect yourself, Youngblood et Under the boardwalk – avec The Temptations, tiens, tiens... - sont notamment des plus réussies) et le second, rhythm'n'blues à fond les ballons, est une petite merveille dont au aurait tort de se priver à plus forte raison que ce Bruce là à la voix idéale pour ce genre d'exercice (Pep talk le morceau d'ouverture met d'emblée dans l'ambiance qui sera sauvage, énergique et festive avec des chansons imparables servies par des musiciens au taquet qui apportent un groove imparable, le tout rehaussé par des cuivres en mode blitzkrieg et si vous voulez une splendeur plus apaisante ça tombe bien puisque la reprise du remarquable Save the last dance for me sera là pour vous cajoler à en frémir d'aise tandis que le blues ouaté du titre Blues for Mr.D achèvera de vous conduire au nirvana suprême et que Love makes the world go round fera fondre votre de cœur de midinette retrouvé).


Harry Max

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