jeudi 29 septembre 2022

cRasH teSt


Qu'est-il arrivé à la black music ? Elle qui, toujours, a su se réinventer sitôt récupérée. Gospel, jazz, bebop, blues, rythm & blues, doo wop, 
rock'n'roll, freejazz, soul, ska, rocksteady, reggae, funk, hip hop, house, on pensait que jamais ça ne s'arrêterait, que l'on boirait à sa source pour l'éternité. Personne pour imaginer qu'un jour il ne suffirait plus de limer ses crocs, élimer son âme, couvrir son sexe pour se l'attribuer plus blanche que blanche. Et soudain, plus rien. Comme si transformer la House de Chicago en gadget pour traine-savates friands de weekends à la campagne avait été le sale coup de trop. Comme si les brothers avaient envoyé Pharell Williams pour qu'on comprenne bien qu'il était temps d'aller se faire empapaouter ailleurs. 
Au point qu'on en vient à s'en vouloir d'avoir ri de Living Colour. 

A force de ne jamais citer ne serait-ce qu'une vingtaine d'albums, là où il en faudrait cent, dans les classements que nos génies de la presse ne manquent jamais de dresser, voila que la frange la plus créative de notre culture disparait inexorablement de la mémoire collective. Vous avez vu ce qu'on voudrait nous faire avaler ? Amy Winehouse déesse de la Soul, plus grande voix du siècle. A croire qu'on a que ce qu'on mérite. Rien. Le vide. Pire, le silence.
Ici même, dans ce blog dont je fais ce que je veux, la black music ne tient le sommaire que trop rarement. Bande d'ingrats que je suis.


Alors on fait quoi ? J'aligne les piges funky pour soigner ma conscience ? J'évoque Otis Redding chaque fois qu'il le mérite ? Qui pourrait me le reprocher ? On n'écoute jamais trop Otis, y a fort à parier qu'on ne l'écoute même carrément pas assez. Un type formidable qui n'a jamais enregistré un seul titre qui ne mérite pas d'être entendu mille fois. Otis rythm c'est le coup de fouet matinal, Otis blue c'est le compagnon du spleen nocturne. On arrive à l'automne, pensez à vous le prescrire. Et du coup, je n'aurais plus qu'à rappeler ce qu'il doit à Sam Cooke. Tout ce que tout le monde doit à Sam Cooke. Source d'inspiration pour Motown et Atlantic autant que pour les jamaïcains, ce qui représente une bonne moitié des racines du funk, du hip hop et de la house. Sam Cooke is in the house, faut bien dire ce qui est. 




Pour garnir l'autre moitié des racines, ils s'y sont mis en nombre.
George Clinton est celui dont la vitalité du lègue est la plus contemporaine, base absolue, et quasi unique, du gangsta rap, fournisseur de samples pour Dr Dre. On ressent encore son influence dans le visuel de bon nombre de clips, mais musicalement, faut pas rêver, son savoir a été enterré en même temps que Prince.
Pour qui voudrait ne pas se tromper dans la direction à suivre, tant l'œuvre est labyrinthe, il convient de citer quelques disques qui tracent la voie pour embarquer sur le vertigineux rollercoaster du P.Funk. Pour commencer, vous êtes dispensés de Parliament, non pas que grand chose distingue ce groupe de son petit frère, c'est juste que durant leur phase la plus créative Clinton et sa clique n'étaient juridiquement plus en droit d'utiliser ce nom. En quatre petites années terrestres, c'est sous emblème Funkadelic qu'ils vont enregistrer six albums tous aussi déjantés qu'indispensables à qui voudrait ne pas mourir totalement idiot. Entre 1970 et 1974, prenez de quoi noter, funkadelic, free your mind and your ass will follow, maggot brain, america eats it's young (avec Catfish et Bootsy Collins en provenance directe des JB's), cosmic slop et standing on the verge on getting it on font le joint entre l'héritage de Jimi Hendrix et l'avenir du futur. funkadelic est le plus hendrixien, america eats it's young le plus jazz (au sens où Zappa est jazz), les autres sont des monuments de funk éclaté. Ne me remerciez pas de suite, je vais ouvrir une cagnotte leetchi.



(Après les avoir vu sur scène) on se demandait comment ils feraient pour tenir encore six ans...sur cette interrogation Michel Bourre concluait son compte rendu des concerts des Rolling Stones aux abattoirs de Paris en 1976. Quarante-six ans plus tard la question est plus d'actualité que jamais et pour une fois la réponse est réellement incertaine. Aucune incertitude ne plane par contre sur ce qu'il reste de la musique noire de 1976. Rien. Du jazz funk maquillé d'électronique kraut, rien, du disco chic boule à facette, rien, de la philly soul pour emballer les rombières, pas plus. Et déjà, en 1976, il ne restait pas grand chose de l'édifice qui surplomba tous les autres entre 1968 (hard to handle) et 1972 (wattstax). Pourtant les fondations étaient solides, semblaient inébranlables. Le blues de Chicago, les envolées mélodiques du New York doo wop, le groove d'Atlanta. Avoir autant d'atouts et ne jamais parvenir à conquérir Los Angeles, seule garante d'éternité, parlez d'une connerie. Il faudra les Bee Gees pour que le disco fasse le crossover.

C'est pas faute d'avoir essayé. Motown d'abord, sacrifiant inutilement son art. Tous les autres ensuite, usant de sacrilèges, se ridiculisant à Hollywood pour au final s'achever au crack sur quelques parkings maudits. C'est ici qu'il convient de citer Sly Stone, Ike Turner, Bobby Womack, encore que ce soit parfaitement injuste tant rares furent les héros a échapper à ce péril, Clinton lui-même, James Brown, Marvin Gaye, autant de destinées saccagées par le cailloux et 400 ans de frustrations, sans qu'aucun scribouillard ne prennent la peine d'en faire des légendes. Et ma foi tant mieux, ceux là ont eu la vie si rudement attachée au corps que la déchéance n'en fut que plus longue, laide et cruelle. Je ne vais pas tartiner sur Sly, tout le monde sait ce qu'il faut savoir, mais plutôt signaler l'existence de Strange fruit, Confined to soul et Bad dreams trois albums de Ike Turner enregistrés dans la première moitié des 70's. Les deux premiers avec Family Vibes, groupe plus ou moins fantoche, mais, surtout, sans Tina pour nous les briser. D'ailleurs en grande partie sans voix du tout. Ike joue avec son studio, en tire des sons parfois farfelus sans que ça ait une importance quelconque. On est là les deux pieds dans une des grandes qualités de la black music, le rien à foutre des convenances. Tant que ça fait tourner le chalice, on publie les bandes. Et putain, heureusement qu'ils ont été là pour le faire. Ces disques contiennent de la musique qui aspire à plein poumons, loin des prises de tête qui accompagnaient la moindre sortie millimétrée des culs pincés du rock calibré. Ike n'a clairement pas passer des mois à peaufiner, c'est du pousse toi de là que je m'y pose et Bad dreams est presque trop bien fichu pour que je ne lui préfère pas les deux autres machins aussi loufoques soient-ils.



J'allais embrayer facile sur Isaac Hayes, Hot buttered soul, And to be continued, Black Moses, trois indiscutables splendeurs, si l'aiguille ne s'était pas posée sur le Solid Rock des Temptations de 1972. En pleine déliquescence après la résurrection inespérée de Cloud nine, la formation tangue comme jamais, les tensions internes sont légions. Les uns veulent revenir au style lover, chanter de la romance, la recette a fait ses preuves, qu'est ce qu'on va s'emmerder à confesser que papa était bon rien. Les autres se trouvent une mine d'enfer avec les capes en fleur de cuir que Berry Gordy leur a payé pour coller avec leur nouveau son. Ça claque des portes à tout va, des membres historiques ne sont plus là au moment d'enregistrer l'album, et on s'en fout, Norman Whitfield tient l'affaire d'une main de fer. Grand homme que voilà, forgeron d'un son qui rétame d'une pichenette. Il inocule aux Temptations le vaccin Undisputed Truth mitonné dans le laboratoire qui lui sert de studio. Une dose de psychédélique, une rasade d'énergie brute et des voix qui planent au dessus d'un beat titanesque. Selon les moments, je préfère les versions de Undisputed Truth, plus risquées, dirty, à d'autres celles des Temptations, immaculées, mind. En vérité elles sont toutes démentielles. Il y a là l'essence, au sens incendiaire du terme, de ce qui porte la black music au firmament. 
Pour ce qui est des disques à sélectionner, c'est simple : tout ce qui porte la signature de Norman Whitfield depuis le mirifique needle in a haystack des Velvelettes en 1964 jusqu'au car wash de Rose Royce en 1976. 


Et là, je vous cause de Earth, wind and fire et on fait tous des cochonneries zen en se touchant le zizi au beau milieu de la galaxie, je sais que vous en rêvez, mais va falloir attendre parce que j'ai mis la main sur un dossier qui risque fort de vous la mettre en bandoulière. Sonny Sharrock et sa femme Linda, malheur, voila un couple à qui les expérimentations ne faisaient pas peur. Influencée par l'avant garde en général et Yoko Ono en particulier, Linda Sharrock va sur Black woman de 1969 porter la fièvre noire à un paroxysme que Sun Ra n'avait pas vu venir. Un album siglé au nom de son époux, Sonny Sharrock, qu'elle vampirise dans les grandes largeurs sitôt qu'elle approche du micro. Si elle semble alors sortir de nulle part, son guitariste de mari a lui un beau parcours initiatique au fil duquel il croise la route de Herbie Mann qu'il accompagne sur l'album The inspiration I feel, Steve Marcus spécialiste d'adaptations de standards pop à la sauce free-psychedelic-jazz et surtout Pharoah Sanders pour l'album Tauhid, première œuvre de l'ancien discipline de John Coltrane sur le label Impulse qui le verra atteindre d'inaccessibles étoiles. Tenter de décrire Black woman dépasse un tantinet mes compétences. Du gospel sous acide, du sexe vaudou, que sais-je, disons que c'est très free, mais sans les sempiternels affrontements de solo à qui mieux mieux. Les musiciens ne se confrontent pas, ils s'empilent, font des galipettes et parfois s'ignorent. A tel point que Sonny plante un blues acoustique au milieu du fatras, blind Willie, qui à mon avis n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd lorsque Mick Jagger a composé moonlight miles.
Un second disque du couple, Monkey-Pockie-Boo, enregistré à Paris au studio Saravah, et avec une rythmique française, voit le jour l'année suivante. Moins réussi, quoiqu'encore plus perché, Sonny Sharrock délaisse sa guitare sur toute la première face au profit d'un sifflet à coulisse ! A partir de là on peut supposer de tout et imaginer maintes raisons à leur disparition de la scène jusqu'en 1975 et l'album Paradise, nettement plus domestiqué, bien que pas totalement inintéressant. 



Et puisqu'on est dans le jazz le plus éloigné de la berge, et qu'il vient tout juste de nous quitter, je saisis l'occasion pour en placer deux sur Pharoah Sanders. Sans doute le dernier représentant d'une certaine idée de la liberté musicale. J'ai déjà évoqué tout le bien que je pense de Karma, contemplatif chef d'œuvre à la spiritualité polyforme, je vais ajouter Village of the pharoahs à la liste des albums qui peuvent faire de vous un homme meilleur. Et peut être même qu'ingérer les 37 minutes de Black unity à plein volume pourrait s'apparenter à une affirmation de soi. Du haut de sa pyramide, Pharoah nous contemple, faites lui un beau sourire. Et allez en paix.

Hugo Spanky