Un tempo qui claque comme la langue sur le palais, des mots qui impriment l’imaginaire, saisissent les larmes des papillons, une voix qui ressuscite Sam Cooke, plus loin quelques notes de synthé égrainées en dépit du bon sens. Quiconque a entendu Wishing well en 1987, que ce soit en grande surface (comme moi), dans sa voiture ou devant Les enfants du Rock, s’est senti attrapé par le colbac. Quiconque ayant une âme, je veux dire.

Le disque se vend par millions et ce n’est pas volé. Les classiques s’y bousculent, Sign your name, Dance little sister (qui dans sa version maxi inclus une démentielle fusion sur Sex machine) If you let me stay, I’ll never turn my back on you et se conclut, après un divin a-cappella tout droit venu du Doo wop, par la meilleure version qui soit d’un Who’s loving you pourtant déjà porté jusqu’aux cieux par les Jackson 5. Après avoir imposé élégance et raffinement le temps des sillons qui précèdent, Terence Trent D’Arby ouvre
des brèches sur ce titre historique, crache tout ce qui nous manque
tant depuis, une authenticité à faire s’effondrer les murs de Babylone.

Vexée, traitée pire que de la merde par les stars d’alors, Prince, Bruce Springsteen, Madonna, Michael Jackson,
tous refusent les interviews, la presse va se retourner contre le jeune arrogant et saisir l’occasion de montrer l’étendue de sa
connerie, justifiant au passage le dédain avec lequel elle se voit
considérée. Rarement des articles consacrés à un chanteur auront autant mis
l’accent sur ses faiblesses psychologiques. TTDA prend des champignons hallucinogènes, TTDA a vu dieu, TTDA fait de la moto sans casque, TTDA ne sait pas cuisiner les bolognaises, TTDA serait
pédé : son ancienne copine en témoigne. Et lui qui ne refuse jamais un
entretien, trop naïf pour se protéger, trop immature pour voir qu’à
travers lui les tabloïds règlent leurs comptes. On peut
voir dans son histoire les prémices de ce qui détruira Amy Winehouse,
ce besoin de nourrir les rotatives quitte à en oublier la décence,
cette faculté qu’a l’Angleterre de dévorer l’essentiel au profit de
scoops aussi mercantiles que destructeurs. De Jerry Lee Lewis à Pete Doherty,
les exemples sont légions. Que ce soit ce modèle qui sert, depuis deux
décennies, de bible aux magazines français en dit long sur leur
intelligence.
Neither fish not flesh, son deuxième album, sort dans la foulée et se voit sacrifié pour l’exemple. Aucune critique ne sera trop dure, toutes vont le pulvériser, le réduire à néant, le ridiculiser. Démontrant à travers tout ça leur ignorance, leur nullité dans la matière dont ils se posent en érudits. Avec cet album Terence TrentD’Arby a voulu corriger ce qui le hérissait sur Introducing the hardline, sa production trop lisse, trop parfaite, trop impersonnelle. Cette lucidité sera le premier accro avec CBS qui rêve de faire de lui un pendant masculin de Sade.
Neither fish not flesh, son deuxième album, sort dans la foulée et se voit sacrifié pour l’exemple. Aucune critique ne sera trop dure, toutes vont le pulvériser, le réduire à néant, le ridiculiser. Démontrant à travers tout ça leur ignorance, leur nullité dans la matière dont ils se posent en érudits. Avec cet album Terence TrentD’Arby a voulu corriger ce qui le hérissait sur Introducing the hardline, sa production trop lisse, trop parfaite, trop impersonnelle. Cette lucidité sera le premier accro avec CBS qui rêve de faire de lui un pendant masculin de Sade.

Au jour levé, il m’offre la cassette
et un rasoir Bic. Je ferais bon usage des deux.
Neither fish not flesh est un bide qui en aurait enterré d’autres. Terence Trent D’Arby a
fini de faire la Une. Concrètement le seul tort du disque est sa construction en
labyrinthe. Il commence par la fin, place en ouverture les titres les
moins accessibles, ne se livre qu’à la longue. C’est aussi ce qui lui
confère son éternelle saveur. Comme des épices savamment dosés qui ne se
dévoilent que longtemps après avoir été ingurgités.
Apaisé, c’est avec un sourire au coin des lèvres que je retrouve Terence Trent D’Arby sur les ondes des FM deux ans plus tard. Malin, le môme a placé un imparable hit sur son album suivant, Symphony or Damn, ce Delicate partagé avec Des’ree. Superbe.


C’est déjà la fin pour ceux qui ne l’ont suivi que le temps de l’éclosion. Terence Trent D’Arby se rebaptise Sananda Maitreya, passe pour plus fou encore, et claque la porte de sa multinationale maison de disque.

2014 et Sananda Maitreya est
toujours là, donne des concerts où on le réclame, joue du piano dans
les jardins publics de Milan, propose des téléchargements MP3 sur son site, comme Mick Jones avec Carbon/Silicon, comme Prince,
comme tous ceux qui, plus que le faste de la reconnaissance, cherchent
à avancer sans contrainte. Comme quelques-uns d’entre nous aussi, qui
savent dorénavant quoi taper dans la barre Google pour ne plus se
nourrir uniquement du menu de la cantine.