mercredi 16 avril 2025

PeTe ToWNsHeND ↕ THe WHO ‼

Mon idée était de consacrer un subway to heaven aux Who. Trier dans la fournaise pour en extraire un seul album. Je ne suis pas avare d'idées à la con. Le résultat fut un méli mélo interminable, fait de souvenirs adolescent, d'emportements fanatiques. Je m'embourbais au fil des lignes, peinant à avancer vers une implacable conclusion : j'étais incapable de choisir un seul album. Pire, je les aimais tous. J'en arrivais à défendre It's Hard. Je classais en un élan théatral digne de Richard Burton Cry if you want, Eminence front, I've known no war parmi leurs grandes réussites. Tout juste si je parvenais à étriper Kenney Jones, qui mérite pourtant d'être crucifié au fronton de l'incompétence. Vous comprendrez bien qu'arriver à ce stade, choisir entre A Quick One et Sell Out devenait source de conflits internes qui m'agitaient jusque dans mon sommeil paradoxal. Les Who sont intouchables, aussi difficile à admettre que ce soit en les voyant se ridiculiser années après années, depuis déjà quatre décennies faites de reformations improbables dans des configurations qui le sont encore plus. 


A la trappe, les Who. Je me recentre sur Pete Townshend, ce sera l'occasion de vanter Empty Glass, immense disque, ultime éclat d'un génie. Car, tout compte fait, c'est bien de ça qu'il s'agit. L'extinction des feux. Et la difficulté de la situer avec justesse et émotion. Je lui dois bien ça, l'émotion. Je me retiens de vous raconter toute l'histoire, celle qui me lie à Pete Townshend. Je suis lucide, rien n'est plus chiant à lire que les souvenirs d'enfance, personne ne peut en comprendre les méandres, sinon le principal intéressé. Souvent, je saute ces pages là dans les biographies. pour parfois y revenir, une fois amoureux du personnage. 

Empty Glass, rien à déclarer. Ce disque est parfait, on peut le faire écouter à tous les apprentis compositeurs, ça en découragera une bonne moitié, nous épargnant ainsi une large parties des horreurs que l'ont subi au nom du rock. Du rock, justement, il en est sacrément question dans Empty Glass. D'abord parce que le disque est impeccablement produit. Pas de Glyn Johns castrateur dans les parages, mais un Chris Thomas qui a tout compris. Quoi mettre en exergue et quand. A ceci s'ajoute des compositions qui tutoient les cimes, on néglige trop souvent de dire à quel point Pete Townshend est un compositeur exceptionnel. J'ai quand même mes préférences, elles sont nombreuses, I am an animal, And I moved, Gonna get ya, Cat's in cupboard, Jools and Jim, Rough boys, les singles sont imparables : Let my love open the door, A little is enough, seul titre où la production frôle l'excès. 

La vraie surprise archéologique fut de découvrir à quel point All The Best Cowboys Have Chinese Eyes est un bon disque. Celui là, je l'avais survolé et aussitôt rangé avec les fioritures. J'y revenais tous les dix ans pour m'acclimater à un titre ou deux. Je faisais systématiquement l'erreur de l'écouter comme j'aurais écouté les Who. L'absence de guitare frontale, les mélodies tordues, la production synthpop, tout convergeait pour me dévarier. La boussole indiquait invariablement la sortie. Je le gardais pour sa splendide pochette et son titre. Puis j'ai succombé. Aussi simple que ça. Enregistré seulement deux ans après Empty Glass, avec la même équipe, Bill Price, capteur de son pour The Clash, et Chris Thomas, concepteur pour les Pretenders, All The Best Cowboys Have Chinese Eyes en est le versant opposé. Le verre plein. Le baiser après le coup de boule. Sans rien céder au revival, Pete Townshend retrouve l'esprit qui animait l'âge d'or des Who, lorsqu'il enquillait Substitute, I'm a boy, Pictures of Lily, Happy Jack, The kids are alright, So sad about us, que sais-je encore, Disguises, Call me lightning, Run run run. Pete est un moderniste dans l'âme, sa pop calibrée pour 1982 n'est plus habillée de Rickenbaker, il laisse ça à Jam et préfère flirter avec les nouveaux romantiques. Ceux là ne pouvaient que lui plaire, avec leurs angoisses existentielles, leurs incertitudes sexuelles. Stop hurting people, Communication, The sea refuses no river, Slit skirts, Uniforms, comment avais-je pu ne pas en saisir toute la pertinence ? Me voilà ébranlé dans ma certitude. Empty Glass me parait soudain daté, manquant d'audace. Facile.

En 85, Townshend se refait une santé après des années d'addictions (il replongera) et concrétise un film, un album et une tournée autour de White City, son album solo le plus ambitieux. Et sans doute son plus gros succès commercial, même si j'en sais franchement rien. Face to face avait accroché les radios jusqu'en France, donc j'imagine que ça a dû se vendre. Quoiqu'il en soit, le film est réussi et le disque est excellent. Il fait le lien entre ses deux prédecesseurs en étant rock et moderne à la fois. Un pied dans la tradition et l'autre dans l'actualité. Même équipe de production, même groupe de base, mais deux invités de marque, surtout un. Le récemment disparu Clem Burke et le toujours vivant David Gilmour, faites votre choix. Les compositions sont fignolées, variées, mitonnées à feu doux. Give blood est violent comme j'aime, Secondhand love est intense, White city fightning (co-écrit avec Gilmour) frappe au coeur, Face to face est le parfait single, vaguement tête à claque après dix écoutes. Le seul ratage arrive en toute fin de parcours avec Come to mama qui succombe aux tics de productions des années 80. N'empêche que pour un réchappé des sixties dont plus personne n'attendait rien, Pete Townshend vient d'aligner trois albums qui ont de la gueule. Novateurs, ils ont redéfini un style sans brusquer les vieux fans de Who's Next. La tournée qui suit, à laquelle participe David Gilmour, accouche d'un chouette Deep End Live qui culmine par une version splendide et totalement personnelle de I put a spell on you, surprend avec une reprise de The (english) Beat, Save it for later. On a le droit de tiquer sur les cuivres de Won't get fooled again, mais ça reste du bon boulot. Cette fois encore, le disque s'accompagne d'une VHS.

L'histoire s'arrête là. Le jour où je décèle autre chose qu'une source d'ennui profond en provenance de The Iron Man et Pyschoderelict, je vous téléphone. En attendant ce jour hypothétique, je me suis repenché sur la trilogie estampillée Scoop, Another Scoop et Scoop 3. Des démos plus ou moins finalisées, celles de Scoop 3 ont été retravaillées par le maître, les autres sont dans leur jus d'époque, couvrant toute la carrière de Pete Townshend avec les Who, puis en solo. On retrouve dans un parfait désordre chronologique des hits dont les versions définitives font parties de notre ADN, des choses moins connues et d'autres carrément expérimentales, en costume de bal, en tenue de soirée ou en déshabillé des heures intimes. Surtout, pour ceux, dont je suis, qui considèrent Roger Daltrey comme le maillon faible, au moins en studio, tous les titres sont ici chantés par la voix sensitive de Pete Townshend. Youpi‼ Ces trois là, je les ai fait mien il y a longtemps. Deux doubles albums et un triple qui, au passage, ne sont pas au programme des nouvelles rééditions de l'oeuvre solo. Surement qu'un second coffret leur sera consacré. De toute façon, on sait très bien où localiser tout ça, ce serait une grossière erreur de s'en dispenser. 

Et arrivé là, je dis quoi ? Lequel est l'élu, Empty Glass, Scoop ou Chinese Eyes ? Hum, je suis noyé dans le nombre. Pour ne rien arranger, les blogs regorgent d'albums de démos assemblées par thématiques. J'ai mis le grapin sur tout ce que j'ai pu dénicher. C'est fabuleux. Je me délecte de cette opulence en relisant Who I Am, l'autobiographie, où j'apprends l'existence d'un coffret 6 cd, Lifehouse Chronicles, qui fut disponible en d'autres temps sur le site personnel de Pete Townshend. Qui depuis n'existe plus. Le coffret en question honore Lifehouse, l'oeuvre sacrifiée qui devait suivre et surpasser Tommy. Trop avant gardiste, incompréhensible, invendable, on connait le raisonnement et son aboutissement. L'équarissage fut confié à Glyn Johns avec pour résultat Who's Next, disque frustrant, décousu, assemblage aseptisé dépourvu de bon sens. Quel autre con que Glyn Johns aurait écarté Naked eye, Let's see action, Pure and easy ? Qui aurait signé cette production plate à des millénaires du son de Tommy, de la rage de Live at Leeds, du bouillonnement de Quadrophenia ? Quelques années plus tard, il reviendra flinguer By Numbers de la même façon. Rah, je m'emporte à nouveau, je fais des lignes, je ne tranche pas. 

Hugo Spanky

The demos (Pete Townshend)

Lifehouse (The Who)

Body Language (Pete Townshend)

lundi 31 mars 2025

SuBWaY To HeaVeN → UmMaPiNK GuMmafLoYD



Pink Floyd est parmi les rares groupes anglais à avoir perduré tout en ayant foiré les sixties, mieux que ça, ils en sont sorti éreintés et amputés. Woodstock, Monterey, Isle de Wight se font sans eux, trop occupés qu'ils sont à vivifier l'underground en s'affichant au festival Actuel, à Amougies, aux côtés de Frank Zappa. Un contretemps apparant qui leur sera utile bien plus tard pour nourrir une crédibilité de précurseurs du mouvement alternatif. Avant que Roger Waters ne se charge de ruiner cet heureux hasard en cumulant les dérapages médiatiques. On n'en est pas là, si jamais on y arrive. 

Donc, Pink Floyd se ramasse dans les sixties, ce qui n'empêchera pas le bric-à-brac de A Saucerful Of Secrets d'offrir aux Chemical Brothers le gimmick tubesque de Block rockin' beats, piqué à l'intro de Let there be more light, tandis que le black metal avant-gardiste revendique avoir puisé ses racines putrides dans Set the controls for the heart of the sun. Pas mal pour un disque en grande partie lamentable. Je rappelle, si besoin, que le concept de cette rubrique est de désigner un disque et un seul, raison pour laquelle j'évite consciemment d'évoquer leur premier album, celui avec Syd Barrett, sonnez trompettes, résonnez musettes. Il ne me vient pas une seule seconde à l'esprit de ne conserver que lui. 


Pink Floyd entame la décennie suivante par une ribambelle d'enregistrements foireux en signant ou apparaissant sur les médiocres More, Zabriskie Point et Obscured By Clouds qui leur valent un culte aussi instantané qu'indéboulonnable. Des disques que tous les hippies du monde vont mettre un point d'honneur à posséder. Le son des communautés se trouve ici. Shiloms, trous dans les tapis, pubis qui grattent, bouffe macrobiotique, le bon temps en somme. En parallèle de quoi, ils gravent Ummagumma, disque mystère s'il en est. D'abord, un album live fantastique d'intensité, indispensable, ensuite un album studio divisé en quatre compositions solo qui me fait dire qu'ils ont bien fait de se réunir en groupe. Attention néanmoins, Ummagumma pourrait très bien être l'élu de cette rubrique. Il est celui vers lequel je reviens le plus souvent et pas uniquement pour le live. Il y a quelque chose de fascinant dans les quatre facéties de son disque studio. Une dissociation des éléments qui préfigure les isolated tapes. On peut faire son propre morceau de Pink Floyd en mixant les pistes. Je colle la mouche sur le solo de Nick Mason et c'est un univers de possibilités qui apparait. Hum, je note l'argument sur mon carnet et je reprends la route, again. 

D'autant que c'est ici que ça devient primordial. Parvenant à se discipliner un tant soit peu, Pink Floyd signe dorénavant des disques qui se tiennent de l'entrée au dessert. Ou du tofu au space cake pour rester dans le contexte. Atom Heart Mother, Meddle, Dark Side Of The Moon, Wish You Were Here, Animals, The Wall, excusez moi du peu. 

J'attaque la falaise de front et je disqualifie Wish You Were Here et The Wall. Le premier parce qu'il est intolérablement amorphe. Après l'inventivité de Dark Side Of The Moon, il se contente un peu trop visiblement de passer les plats. Le second, parce qu'il doit autant à Bob Ezrin, si ce n'est plus, qu'à Pink Floyd. Cette fois encore, le groupe recycle pas mal d'idées déjà entendues, notamment dans Time. Ça reste un bon disque, carrément génial par instants, mais ruiné comme la majorité des productions Bob Ezrin par un final qui pèse trois tonnes. Le type est un producteur de génie, je suis le premier à l'affirmer, il faudrait juste lui interdire de composer. Enfin, j'en sais rien, je l'ai peut être trop écouté. En plus d'avoir vu le film plus de fois que raisonnable. A l'opposé, Animals est celui que j'ai le moins usé. Jamais compris comment les critiques peuvent le désigner comme étant le plus violent, il m'ennuie. Je lui reconnais plus de qualités qu'à Wish You Were Here, c'est déjà ça. 


Ce qui me laisse avec Meddle et Dark Side Of The Moon d'un côté et Atom Heart Mother de l'autre. Objectivement Meddle est le meilleur des trois. Il a quasiment le son spatial de son compère, tout en conservant une dose de vitriol héritée des champs de boue de Belgique. Je me comprends. J'imagine qu'il serait de bon ton de démonter Dark Side Of The Moon, mais je l'aime ce fichu disque. Si seulement sa face B ne se cassait pas la gueule. Qui est allé coller ce saxophone sur Us and them ? Qui ? Déjà que le morceau ne vaut pas un clou, le saxophone le crucifie pour de bon. Et torpille la dernière partie de l'album au passage. D'ailleurs, il torpille aussi l'album suivant. Donc Dark Side Of The Moon qui jusque là était parfait, groovy, puissant, audacieux, n'évite pas l'écueil de la condescendance. Us and them le fait ressembler à un album des Rolling Stones, ce qui dans le cadre qui nous réunit ici est d'une vulgarité disqualifiante. Avantage Meddle. L'album Marseillais, celui des ballets de Roland Petit. Et c'est là que je dégaine Atom Heart Mother. L'album symphonique. Même écueil cependant, une première face intouchable, ma préférée de leur discographie, et une autre de remplissage insignifiant. S'ils s'étaient moins dispersés sur des B.O à la con, les temps forts égarés sur Obscured By Clouds et More en auraient fait un authentique chef d'oeuvre. Du coup, je m'évite de passer l'éternité en tête à tête avec une vache.


Revoila Meddle qui me fait du gringue. C'est vrai qu'il est fortiche. One of these days est un hard rock comme le groupe aime en placer en ouverture d'album, une habitude qui perdure depuis Lucifer Sam. Le contraste avec A pillow of winds tient du grand écart, Gilmour s'éclate à la slide sur une ballade folk un brin trop longue. Je me serais passé de la chorale lourdingue des supporters de Liverpool maladroitement placardée sur Fearless, encore une idée qui refera surface sur The Wall. Mais comme je suis de ceux qui trouve Seamus sympathique et que San Tropez est une agréable ritournelle, la face passe le cap sans encombre. Les ballades à l'anglaise, niaises et bucoliques font leur dernier tour de piste, plus jamais Pink Floyd ne sonnera aussi dépouillé. Raison de plus pour ne pas faire la fine bouche. Et comme Echoes fait de Meddle leur seul album qui ne part pas en sucette avant la fin, on est proche du sans faute. Il lui manque pourtant la sauvagerie du live de Ummagumma et les hallucinations expérimentales de son versant studio. Meddle est un disque conventionnel, typique du rock anglais de ces années là. Un disque comme Queen en fera, un rocks ou deux pour renouveler les setlists, une pièce maîtresse, des ballades et des fanfreluches. Ummagumma est d'un tout autre calibre, ce titre, cette pochette, ces photos en noir et blanc crado, cette blonde vaporeuse, Pinocchio, les lutins et ces quatre types qui s'affichent drogués jusqu'aux yeux. Ummagumma fout les miches. Le genre de disque qui résonne comme un conte sordide dans un crâne d'enfant. C'est qu'il y en a des surprises sous cette drôle de pochette. The Narrow way de David Gilmour préfigure Led Zeppelin III (qui sortira un an plus tard) tout en faisant le lien avec les expérimentations sonores de l'underground anglais (Ash Ra Tempel) et allemand (Amon Düül), tandis que sa partie finale pose les prémices de ce qui sera bientôt la marque de fabrique du groupe. Nick Mason parvient à agencer son solo de percussions de manière à ce qu'il ne reste pas sur l'estomac, ce qui est une sorte de miracle pour qui a fréquenté les live des années 70, largement complaisants en la matière. Ce sont finalement Richard Wright et Roger Waters qui trébuchent. Le premier vise trop haut et se heurte à ses limites, tandis que le futur leader maximo s'empêtre dans du folk champêtre agrémenté de gadgets dispensables, avant de lâcher la rampe avec Several species of small furry animals gathered together in a cave and grooving with a pict, un collage qui démontre l'utilité du Two Virgins de John & Yoko sorti l'année précédente. Pas de quoi trucider sa grand-mère, peut-être, seulement voilà, il y a le live. Les hurlements de Roger Waters sur Careful with that axe, Eugene, les cisailles vitriolées de David Gilmour sur Astronomy domine. La violence de la scène londonienne n'avait jamais été captée de la sorte. Se sentant menacés sur leur terrain, les Who s'empresseront de sortir Live at Leeds quelques mois plus tard. Il y a aussi Set the controls for the heart of the sun, clavier oriental et percussions maléfiques que Bob Ezrin, déjà lui, refourguera à Alice Cooper dès Love It To Death (black juju) et souvent par la suite. Il y a A saucerful of secrets, treize minutes de torgnoles qu'on dirait inventées pour moi. Treize minutes de tragédie grecque, d'opéra intersidéral, de péplum wagnerien. De grand n'importe quoi, si vous voulez. N'empêche que. C'est beau, c'est ravageur, libérateur, ça s'écoute à fond et ça dit merde à tout. Y compris à Meddle. Qui a prétendu que Pink Floyd avait foiré les sixties ? Ummagumma sort en novembre 1969 et change la donne. In extremis.

Hugo Spanky

Ummagumma

jeudi 27 mars 2025

oRaNsSi PaZuZu

 


Il apparait évident à l'écoute de Oranssi Pazuzu que le black metal dans sa branche la plus avant-gardiste agit de façon néfaste sur la pysché de ses auteurs, et surement en partie autant sur ses auditeurs. Le plus récent disque des finlandais, Muuntautuja, en est une preuve indiscutable. D'emblée, il vous assène une interminable série de sons tonitruants  dépourvus de la moindre élémentaire notion d'harmonie, durant laquelle l'esprit tente, tel celui du noyé qui se démène pour échapper à son destin, de se raccrocher aux éléments qu'il comprend. Il y en a si peu que la quète apparait rapidement vaine. Poursuivre l'écoute en s'opposant au réflexe de survie demande un tel effort que l'accalmie, qui finit par arriver, prend des allures de paradis terrestre. Avant que la conscience revenue, on ne se découvre en enfer. Nous voilà beaux. 


Cette approche frontale se reproduit sur la seconde face, par chance, l'album n'est pas double à l'inverse de son prédécesseur, Mestarin Kynsi (la griffe du maitre, selon google traduction) qui s'étale sur trois faces. J'y reviendrai, j'en finis d'abord avec Muuntautuja (Mutation, selon moi-même). La seconde face, donc, fracasse avant de monologuer sournoisement. En fait de monologue, ce serait une incantation, réussissant le pari d'installer une ambiance cinématographique tout en conservant un aspect affreusement concret. Aussi dingue que ce soit, rien ici ne semble fictif. Puis le monologue se mouve, ondule et se contracte par spasmes dégressifs, à nouveau charmeur, sans devenir apaisant le moindre instant. Je vous le dis tout net, ces types sont dérangés. Ils sont carrément allés jusqu'à planquer un ultime titre au delà d'un réconfortant silence. Un morceau planant. A ceci près que l'on plane en dessous du sol. Minuscule cellule de vie frayant vers l'oeuf de reproduction à travers les méandres boueux, les détritus, les décompositions diverses et les charniers les plus abjects. 


Une écoute sarcastique pourrait faire croire à une jam informe, un tintamarre causé par un ramassis de musiciens drogués, victimes d'hallucinations mises en scène par Lucio Fulci. Ce serait une funeste erreur, il y a ici un engrenage d'évènements, certes irrationnels, mais qui laissent déceler une pensée humaine. Fût-elle d'une humanité réduite à son expression la moins civilisée. Ne croyez pas que je vous conseille ce disque, je vous préviens au contraire de l'éviter. Il est vicieux.

Néanmoins, ce n'est rien en comparaison du maléfice pernicieux qui opère à l'écoute de Mestarin Kynsi. Nous y voilà. Cet album de 2020 procède par ondes alternatives. Contrairement à l'approche kamikaze de Muuntautuja, il stimule l'endorphine en ciselant un accueil psalmodique. On est cool, un brin inquiet, mais ça va. Puis l'horizon s'assombrit en un éclair et un tsunani dissonant s'écrase sur les membranes. Oranssi Pazuzu fait feu de tout bois, boucles vocales, synthétiseur percussif, bends distordus broyés par l'impulsion des basses, tambours assourdissants. Un boucan à rendre fou. Rendez-moi Ummagumma ! Montagnes russes, avalanches et reflux annihilent toute résistance et c'est éreinté par le mal que l'on tourne dorénavant les faces comme le candidat au suicide dépaquète ses Gillette. 


Hugo Spanky

Oranssi Pazuzu - Muuntautuja (2024)

Oranssi Pazuzu - Mestarin Kynsi (2020)



lundi 17 mars 2025

noRVeGiaN woOD

 


Fleurety est un groupe passionnant. Il ne concourt dans aucune catégorie, passe du black metal au trip hop, du easy soft au heavy free. A la manière dont les Beastie Boys ont étiré le hip hop, Fleurety a étiré le black metal, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus que quelques signatures. Fleurety est un club, plus qu'un groupe. La base est composée d'un duo de norvégiens, dont il est inutile que je mentionne les noms, vous ne les connaissez pas, moi non plus, et c'est un enfer à recopier. A ce duo multi-fonctions s'ajoute, au gré des albums, une somme d'invités piochés parmi les membres les plus éclectiques de formations tel que Mayhem, Ulver, Ved Buens Ende, Arcturus et j'en passe. Autant de noms, soit dit en passant, auxquels je ne vous conseille que trop de vous intéresser. Bien que la valeur des guests ne garantie pas le résultat, pour preuve le plus récent album de Fleurety, The White Death (2017), est complètement à côté de la plaque, dépassés qu'ils sont par une amicale concurrence qui n'en demeure pas moins féroce.

Fleurety enregistre des disques construit comme un Lego réalisé sous acide. Ce qui est un exemple purement théorique, puisque je ne l'ai pas vérifié. En tout cas, c'est ce à quoi ça me fait penser. Les toiles d'araignées sous acide sont un autre bon exemple et celui ci a été vérifié. Par d'autres.


Basses hypnotiques, parfois synthétiques, ambiance magnétique (une rime de plus et j'ai un couplet cold wave). Tiens, de la cold wave, y en a. Entre autres choses. Genre de la musique de jeu d'arcade. Là je vous parle de l'album Department of Apocalyptic Affairs, leur deuxième 30cm, paru en 2000. Le plus abouti dans l'osmose, complexe sans être hermétique, du moment qu'on ne soit pas trop intolérant envers ceci, ni trop intransigeant envers cela. Quoique j'en sais rien, c'est la valse des étiquettes et je valse très mal. Disons qu'un public novice en metal extrême pourrait se raccrocher à son atmosphère éthérée. La notion éthérée étant modérée par un groove éléphantesque. Je ne veux pas paraître timoré, c'est un foutu chef d'oeuvre dont je vous parle. Un de ces disques qui vous donne une vague nausée opioïde au moment de la prise de contact. Chaque écoute ouvre de nouvelles pistes, les sons qui la veille semblaient anecdotiques conduisent dorénavant le vaisseau à travers l'hyper espace des rendez-vous dansants. Un disque fait de séquences, par moment euphorisantes. Agréablement oppressantes. Une sorte de dub à vitesses modulables drivé par une basse qui sert de ligne blanche. Selon les jours, je lui préfère leur premier disque, Min Tid Skal Komme, qui, bien qu'ayant de solides ramifications progressives, mais aussi folk, est plus ouvertement black metal (!) avec des blasts et tout le toutim. Encore que les spécialistes s'opposeraient en affirmant qu'il est plutôt death que black et que les passages doom prennent le dessus sur ceux résolument thrash. Les spécialistes sont chiants, que voulez-vous que j'y fasse ?

Min Tid Skal Komme, donc. Un disque de 1995 composé de cinq morceaux, dont seulement deux autour des 5mns. Autant vous dire que les autres ont les circonvolutions dans la peau. Des passages en arpèges, du chant hurlé, des solos en tous genres, des rythmes protéiformes. L'ensemble va au delà du concept de chanson, on est dans un puzzle immatériel, un vortex sensitif. On reçoit des météorites en rafales, l'instant d'après on est en apesanteur au dessus des brumes de Laponie. Ecouter un tel disque devient une aventure en soi. Transmettre son ressenti revient à raconter le pitch de Chromosome 3.

Hugo Spanky

Fleurety - Min Tid Skal Komme

Fleurety - Department Of Apocalyptic Affairs

Fleurety - The White Death

mercredi 5 mars 2025

SuBWaY To Hell :ToM WaiTs

 


Pour saisir toute l'insolence du personnage, sans doute faut-il avoir connu le début de la décennie 80, lorsque adoubé par Francis Ford Coppola, bien avant qu'il ne le soit par Jim Jarmush, Tom Waits déambulait en pleine mutation dans le labyrinthe des studios Zoetrope. Avec la B.O de One From The Heart, il transite de son incarnation beatnik cocktail à celle d'alchimiste tombé de la lune, que David Goodis avait pris soin de situer dans le caniveau. De Los Angeles à San Francisco, il ne pouvait en être autrement. L'influence du film de Coppola, son esthétique néon outrageusement moderne pour décrire l'aventure humaine la plus usagée -l'amour fatigué, la jalousie fantasmée- fut déterminante pour Tom Waits. Le décalage entre le propos et l'éclairage qui en est donné sera fondateur. Heartattack and Vine a confirmé que Blue Valentine resterait insurpassable, Tom Waits l'a compris, il fait peau neuve. 

Dès lors, 1982, et pendant pile dix années, Tom Waits va enregistrer l'essentiel de ce sur quoi se fonde mon choix pour définir lequel de ses disques m'accompagnera jusqu'à l'automne de la vie. J'entends des pécores affirmer que bien au delà de 1992, notre homme a encore délivré le meilleur de lui-même. Ceux là peuvent quitter ce lieu, ils sont de ceux qui l'ont assassiné de bonnes intentions. Les Eliot Ness de l'inculture, les faiseurs de modes estudiantins.


Point de suspens pour cette fois, l'album qui me sied le mieux n'est même pas mon préféré. Bone Machine n'est peut être même pas un bon album, et au moment de sa sortie il n'est ni un pas en avant, ni un pas de côté. Il est un coup de marteau sur un clou déjà enfoncé de tout son corps. Le disque de trop. Celui qui déborde sur la marge. Rien de ce qu'il contient n'atteint les splendeurs de Franks Wild Years, qui le précède dans le temps, ni l'étrangeté de Swordfishtrombones. Il n'a pas grand chose de l'évidence de Rain Dogs, qui envouta le réfractaire public rock. Bone Machine est une réplique lancée après que le rideau soit tombé.

Alors, pourquoi ? Pourquoi je ne suis pas en train de vanter la beauté inégalable de I'll be gone, Innocent when you dream, Yesterday is here, le groove sensuel de Hang on St Christopher, Temptation, Way down in the hole. Pourquoi je ne vous fais pas avaler Franks Wild Years par les narines ? Parce que je suis en plein trip Erzébeth Bathory ! Voilà pourquoi. Franks Wild Years est clinquant. Et ça m'éblouit, habitué que je suis aux ténèbres emmurées.

A ce propos, j'ouvre une parenthèse pour vous conjurer de fuir comme la peste bubonique le navet que Julie Delpy a consacré à la Comtesse qui occupe mon coeur et mon esprit. Elle n'a rien compris, c'est dramatique. Alors que, bordel, tout est cinématographique dans l'existence d'Erzébeth Bathory. Le contexte, sauvage de glace et de neige, les bois, les forêts, la misère paysanne, les loups, les sorcières, le vice, la folie. Ses plaisirs. Julie Delpy n'a pas saisi l'occasion de filmer une femme, debout en bord de route, nue dans l'indicible froid de l'hiver hongrois, sur laquelle Erzébeth fait verser des seaux d'une eau qui gêle instantanément en s'écoulant des cheveux aux chevilles. Depuis l'intérieur de sa calèche, elle regarde, avide de curiosité, l'agonie de l'imprudente emprisonnée dans la glace. Au lieu de quoi, Julie Delpy filme printemps, romance et été. Comme s'il fallait absoudre de force celle qui n'a jamais voulu l'être. Erzébeth a refusé aux hommes le droit de la condamner, jusqu'au dernier moment elle tenta d'empoisonner ses juges. Erzébeth se revendiquait maitresse de son domaine, souveraine de ses paysans. Elle régna sur leurs vies, décida de leurs morts. Qu'auraient-elles pu vivre de plus exaltant ? Ses filles de misère destinées à peiner aux champs, obligées à satisfaire maris de circonstances, curés et dignitaires, surement pères et frères itou. Il suffit de se libérer des entraves de la morale pour comprendre la chose dans toute son infinie démence, sentir la giffle du réel semblable à celle du baton souple qui fouette pour la deux-centième fois le même épiderme, les mêmes cuisses, le même corps dévasté qui s'affaisse dans l'insconcience, malgré les liens qui le suspendent. Tandis qu'approche de cette bouche ouverte sans trouver la force de hurler, le fer rougi par les braises, il suffit d'imaginer les rires hystériques de la Comtesse, bras écartés, le pas rapide, écorchant le lin de sa fine robe blanche contre la pierre hérissée des entrailles humides de son château. Epilepsie héréditaire, démence génétique, enfance traumatisée par les visions répétées, jusqu'à devenir banalité, des tortures infligées par ses ainés aux bougres qui leur déplaisent. Voir un homme pourrir vivant en même temps que se décompose, dévorer par la vermine, le cadavre du cheval dans lequel il est cousu. C'est autre chose que grandir devant la télé, vous en conviendrez. Hantée, Erzébeth a choisi de brandir l'horreur en étendard, puisque rien ne l'efface, faire de la douleur un orgasme. Alors que ses servantes infligent sans talent, elle dépèce en esthète, arrache d'un trait de pince aiguisée une joue, un lobe d'oreille, un nez, un morceau de poitrine qu'elle fait tournoyer au dessus du feu, délicate attention, puis le fait manger par celle-là même d'où il provient. Enfin, elle se jette au sol, convulse dans le sang, enfouie son visage dans les corps aux artères arrachées qui s'entassent et se vident pour satisfaire son désir d'éternelle jeunesse. Dans l'ombre, une sorcière déclame les incantations à la lune en une litanie diabolique.



Pour toutes ces déraisons, Franks Wild Years n'a pas sa place, l'excentricité de Swordfishtrombones semble vaine et le rock de Rain Dogs trop ordinaire. Seul Bone Machine, ne serait-ce que pour son titre, peut revendiquer un siège au festin. C'est un disque de fatalité mortifère. L'animal roi à trois têtes, les radiations l'ont maudit, la terre hurle, Abel fracasse le crâne de Cain à coups de pierre. Comme Erzébeth, Tom Waits refuse de grandir par peur de vieillir. Chaque chanson amène une angoisse, en autopsie les fondements et pisse dessus. Leur qualité importe peu. Elles sont cagneuses, malsaines, inachevées. Parfaites. 

Hugo Spanky

Ce papier est dédié à David Johansen

vendredi 3 janvier 2025

SøuFFRe De Vie



C'est donc d'une musique cadenassée par les contraintes que tous les possibles trouvent matière à survivre. Sans doute que, comme pour le Blues avant lui, les stéréotypes dont on affuble le Black Metal sont dans l'esprit de ses détracteurs. Je dois remonter loin pour trouver un tel mélange en déséquilibre, tranquille au bord de la falaise, que celui proposé par le nouvel album de Gaahl, chanteur norvégien d'œuvre cantique. Trelldom pour le nom du groupe, By the shadows pour celui du disque et larguez les amarres. Un saxophone libre, des rythmes imprévisibles, des voix, partout, hantées, des guitares qui grincent, lacèrent, piétinent. De l'aventure. On dirait le Outside de Bowie passé par la marmite des réducteurs de têtes.



Ailleurs, Døedsmaghird, Omniverse consciousness. Un clavier décalé, des sonorités dissonantes, un mixage qui s'évertue à camoufler toute flagornerie séductrice. Bon sang que cette musique se mérite, et pourvu que ça dure de la sorte. Qu'aucun consensus ne vienne la placer sous les projecteurs de la hype. Que tout ceci ne soit jamais atteint du syndrome qui en flingua combien d'autres, bravaches et revanchardes. Pourvu qu'aucun étudiant ne se badigeonne de corpse paint à la prochaine soirée infirmière du Bikini.


Ces disques sont là, planqués sous le tas de fumier de l'année écoulée, souvent épuisés quelques mois après leur parution. A saisir dans le souffle retombant du geste créateur. Immédiats, instinctifs. Leurs géniteurs sont déjà ailleurs tandis que le vinyl sort des presses. Le mode de fonctionnement ne doit plus rien au commerce qui façonne les tendances, guère de promotion ici, peu de concerts. Un projet sitôt réalisé, on passe à autre chose, une autre configuration, un autre nom, un autre label, une autre envie, qu'importe sinon la liberté. A traquer sur Bandcamp, en ne se fiant à rien d'autres que son propre jugement. Seul responsable de nos motifs de satisfaction. A prendre ou à laisser.