Les auto-tamponneuses, je les vivais comme un avant goût des 18 ans. Faire du cruising, la musique à fond, le coude à l'équerre, en évitant les embuches. La sono alternait disco à guitares et variété, Heart of glass, Made for loving you, Gaby, Ti amo, Touch too much, Ma gueule. Je vous raconte pas comment je cruisais la Riviera, d'Azur à Ligure, sitôt que le moelleux de l'intro du Cœur grenadine venait s'alanguir dans les boomers. Il n'y avait que le I can't tell you why des Eagles pour savoir débarquer de la sorte, en glissando tout schuss. Voulzy, c'était pas forcément le mec à qui j'ambitionnais de ressembler, mais pour ce qui était de coller le spleen dans mon Eden sous les pins, il était hors catégorie. Si j'avais eu suffisamment de jetons, j'aurai pris la tangente jusqu'au bout du monde, au volant de mon électrique rouge aux pare-chocs botoxés, sans jamais gouter autre chose que son single grenadine.
Connement, de cette amorce de souplesse, je n'ai gardé que le souvenir lorsque fut venu le temps des grandes décisions. De celles qui vous définissent à l'adolescence, lorsque se définir devient passage obligatoire pour communiquer. Peu avant de se rendre compte que toute communication est superflue. Ce triste moment où l'on abandonne au pied du manège, les plus encombrants de nos amours de jeunesse. Ceux là même qui ne nous lâcheront jamais, quoique l'on s'inflige pour leur échapper. Vous voulez que je vous chante Vanina ?

Pourquoi Bashung et pas Voulzy ? Qu'est ce que Vertige de l'amour avait de plus ? Faut être
sacrément con pour revendiquer Le cœur grenadine sans chercher à
goûter les autres saveurs. D'autant que je n'avais pas trouvé
déshonorant Désir, désir, le duo avec Pause-Café. Et qu'entre Mes nuits sans Kim Wilde et L'arrivée du tour, je veux pas dire, mais il n'y a pas la ligne droite de Vincennes. Du Paul McCartney enrobé de Harry Belafonte, ça ne peut pas faire un garçon de mauvais goût.
Il n'est même pas encombrant, Voulzy, avec sa tocade des 45 tours et puis s'en va. A croire qu'arraché de mon Roc méditerranéen, mal transplanté en royaume de Burgondie, j'étais devenu carrément
méchant, jamais content.
En société, chaque fois que je disais Voulzy, on me répondait Souchon.
Faut reconnaître que ça n'aide pas. On me collait du Jersey dans mes
tropiques, du Brandy dans mon Indien. Pas d'échappatoire au poulailler,
grillage triple torsion maille de 13. Voulzy, Souchon, Soulzy, Voulchon. Jeu
de rôles à la fantaisie chantournée, ces deux là changent de masque
selon la destination. Tignasse frisée blonde,
tignasse frisée brune, emmêlées par un destin taquin qui fit naître le blanc-bec au Maroc et le mulâtre à Nogent-sur-Marne. Dandy velours pour les paroles écrites à la craie de Douvres, délicatement emberlificotées par mots amoureusement choisis. Dandy fleuri pour des airs qui virevoltent comme les Monarques lépidoptères en Basse-Terre, les parures d'accords raffinés, décorum de guitares mutines pour voix éthérées, Everly falsetto. Source commune pour consommation fragmentée par esprits mal érigés. Souchon pour France Inter, Voulzy pour le Podium Europe 1. Rockollection a trop souvent côtoyé Le schmilblick pour que l'estampille Guy Lux m'autorise à considérer comme un des miens, perfecto pento, celui qui citait pourtant Them, Dylan, Mama's and Papa's, Rolling Stones ou Little Eva, au fil de quelques rimes bien senties, sur un de nos hit pop parmi les mieux fichus des 70's. Pas futé, mon regard de se tourner vers les rives lointaines, alors que Belle-île-en-mer flotte à quai. Le manque d'indulgence prend le pas sur le peu d'eau qui nous sépare.
Il aura fallu que Milady se lasse de m'entendre fredonner la biguine je la danse pas (alors que je ne danse pas plus la salsa et que je n'en fais pas tout un plat) et
qu'elle m'offre cet album rose délavé pour qu'enfin je savoure ce Punch Planteur dans lequel, jamais, le rhum ne supplante mangue et goyave. Le chaloupé
de la démarche vient de l'esprit, pas du foie. Un délice. Un univers de flirts chahutés, de virée vers le Var, d'affirmation de soi, un cocktail de rimes en eau, en elle, en cœur. Des crobars à mille lieux des mécaniques roulées des clichés. Musicalement, on pense à Pizza, à Band On The Run, du swing de sultan illuminé par des idées à foison. Un JJ Cale à l'ananas. Les mélodies s'immiscent dans l'arrière boutique crânienne, pincent les lèvres, mordillent les joues, tourneboulent les lacrymales sans jouer les tire-larmes. Sept compositions sans écueil et une reprise de Qui est in, qui est out. Huit titres au milieu desquels, encore plus scotchant que Le cœur grenadine, En Tini savate l'arrogance de capitale, revendique une autre vie délestée des ambitions de métropole. On dirait Mirror in the bathroom de The Beat débarrassé de son urbanité, joué en laissant une traine de toile légère dans le sable blanc. Ce qui est finalement mieux qu'avec les fesses serrées. Karin Redinger évoque le versant Souchon du duo, à moins que ça ne soit When i'm sixty four. Hé! P'tite blonde picore dans le glam, Cocktail chez mademoiselle trinque en laidback aux mille et une subtilités. Ça défile comme au Mercredi des cendres. Intimité de crépuscule, lové à quelques pas de la foule bigarrée, dans le fantasme d'un corps immobile aux formes d'ile entre capricorne et cancer. Je ne vais pas signer pour le grand album perdu du rock français, mais entre Bashung et Coutin, il y a assurément une place à faire pour ce disque ci.

Et ainsi arrivé à la mi-temps de l'éternité, découvrir que sous les spots multicolores de mon arc-en-ciel électrique se trouvait bel et bien un trésor. Serein, dorénavant, de savoir que creuser ne servait à rien pour le trouver, lever la tête suffisait.
Hugo Spanky
Ce papier est dédié à Malcolm Young, éternel activiste des sonos de fêtes foraines.