LE DERNIER DES GÉANTS
Depuis le temps que Ranx
Ze Vox existe vous savez à quel point notre fine équipe est d’un
sérieux à toute épreuve. Nous n’hésitons pas à donner de notre
personne pour clamer haut et fort que rien ne vaut les soirées bien
arrosées afin d’ouvrir son esprit à de nouveaux horizons.

Instantanément le groove
s’empara de mon corps qui jusque là se trouvait lamentablement
avachi sur une assiette de kebab. Mais bon sang, me dis-je, en
transe, tandis qu’une feuille de salade me tombait de la joue, quel
est donc ce type qui chante le rock’n roll de façon si démoniaque
et en français de surcroît !?
« Ben c’est Eddy
Mitchell, grunge ! », m’invectiva, l’œil aussi
goguenard qu’aviné, le Spanky alors que 7red, impassible face à
tout ce remue ménage, continuait à roupiller tel le guerrier après
un dur labeur.
Comment le Eddy Mitchell
de Comme quand j’étais môme et du Cimetière des éléphants a
gravé sur cire du bon vieux rock’n roll endiablé et je n’en
savais rien !? Quelle ne fut pas ma
stupeur d’apprendre cela avec dix grammes d’alcool dans le sang !
Et effectivement, les
lendemains plus tranquilles qui suivirent cette soirée agitée,
furent mis à profit pour que je me rende compte, avec effroi, de mon
intolérable lacune concernant l’œuvre Mitchellienne.

Désirant rattraper un
retard de 48 années (!) en la matière, je me mis fébrilement en
quête de ses opus.
Hélas, face à
l’incompétence crasse de notre industrie musicale, je m’aperçus
rapidement que dégoter les disques du bonhomme était tout sauf une
sinécure.
Mis à part Frenchy,
Jambalaya et ses deux derniers albums (Come back et Ma dernière séance) on ne trouve que des best
of d’Eddy. Et dire que ce crétin de Pascal Nègre ose nous faire
la morale sur le téléchargement illégal alors que les bacs des
disquaires sont d’un vide abyssal, il y a de quoi fulminer là !
Nevermind, ce n’est
qu’au terme de recherches acharnées (au passage merci Hugo et
l’ami Bernard) qu’une maigre partie du Graal discographique de
Schmoll s’offrit à moi.
Et là, ce fut la GROSSE
CLAQUE !

Gorgés de compositions
dantesques qui nous entraînent dans le rhythm’n blues le plus pur
(pour 7 colts…) et le rock’n roll le plus échevelé (pour Rocking…) nos oreilles sont à la fête.
Le gars Eddy, qui a oublié
d’être sourd, reprend du Chuck Berry à foison et adapte lui-même
les paroles en français avec un talent de parolier hors pair.
Car notre bonhomme n’a
pas son pareil pour croquer, le temps d’une chanson, des tranches
de vie qui nous touche ( A crédit et en
stéréo, sur notre besoin maladif de
posséder des choses alors qu’on en a pas les moyens financiers ;
Fume cette cigarette,
sur le passage de l’adolescence à l’âge adulte ; C’est
un piège,
sur notre facilité désolante à se laisser berner par autrui).
Disons le carrément Mr
Eddy se soucie de tous les travers de notre société et déteste les
interdits que l’on nous impose. Écouter l’album Après
Minuit, un modèle de description de la
dépression qui frappe notre monde. Avec le morceau Il
ne rentre pas ce soir, il résume la crise de
l’emploi mieux qu’un discours, forcément vaseux, d’un
politicien. Avec Le parking maudit,
il nous décrit le quotidien sordide des prostituées. Je
ne suis pas un géant, quant à lui, nous
parle de rupture amoureuse tandis que Le
barman nous narre les vicissitudes de ce
métier pas aussi évident que l’on croit. Ces pépites musicales
sont autant de chefs d’œuvre poignant qui nous hante longtemps
après leur écoute.
Mais comme il ne fait
jamais les choses à moitié, ce sacré Eddy est également un
visionnaire. Sur le disque Sur la route de
Memphis, il nous assène une reprise de The
harder they come de Jimmy Cliff dans une version autrement plus
enlevée que l’originale. Elle se nomme Le
maître du monde et, alors qui l’a écrite
en 1976, elle nous
parle des ordinateurs qui contrôlent de plus en plus nos vies.
Vous l’aurez compris, en
tant qu’auteur, l’ami Eddy touche sa bille.
Son autre force réside
dans son impressionnante faculté à savoir s’entourer des
meilleurs musiciens du circuit.

Titres que l’on
retrouvera, notamment, sur les galettes Eddy
In London (forcément), Du
rock’n roll au rythm’n blues
(tout e(ddy)st dit là !) et De Londres à
Memphis (sur celui-ci
il s’expatrie également aux USA et, avec des musiciens qui ont
œuvré pour le King
himslef, s’en va prêcher la bonne parole rock’n rollienne).
Ces opus nous transportent
dans une tempête de swing, de groove et de soul qui nous donne des
fourmis dans les guibolles : les cuivres nous rugissent à la
gueule, les chœurs féminins nous déversent du miel dans les
esgourdes, les guitares nous abreuvent d’accords d’anthologie et
la rythmique nous entraîne dans sa folle cavalcade éperdue. Du
bonheur à l’état pur, voilà ce que nous propose ce diable
d’Eddy.
Après cette incartade
britannique notre bon Eddy débarque à Nashville, Tennessee où il
se dégote des musiciens d’exception. Avec ce gang infernal il va
graver 7 albums studio (Rocking In Nashville,
LA bombe de sa pourtant faramineuse discographie ; Made
In USA, son album country à lui ; Sur
la route de Memphis, Le
dernière séance, Après
minuit, C’est bien
fait ! et Happy
Birthday) ainsi que quelques live.
Tous ces opus sont
indispensables et ils renferment des joyaux indémodables.

Le bougre ne lâchera pas
l’affaire : il s’attaque à David Bowie et Lou Reed qui
–honte à eux !- ont osé efféminer sa musique préférée,
à Roger Daltrey et son horripilant zozotement, aux ridicules
mouvements New Wave et Disco et aux maisons de disques et aux médias
qui l’ont outrageusement aseptisés.
Bref, tous les indésirables
qui ont dénaturé le bon vieux rock’n roll d’antan en prennent
pour leur grade !
Tu peux préparer le
café noir, La photo
des jours heureux, Je
t’en veux d’être
belle, Divorce, nous
montre son versant romantique qui, immanquablement, face à la
justesse des ses propos, vous flanquera la larme à l’œil.
À l’ouest d’Eddy,
La dernière séance,
Good Bye Gene Vincent,
Enterre mon cœur au ciné Majestic sont
des vibrants hommage à ses héros de toujours (Ava Gardner, Robert
Mitchum, Burt Lancaster, etc.) et à une époque désormais révolue
(celle des cinémas de quartier en France, des drive-in en Amérique,
des idoles du rock’n roll originel, etc.).
Dodo métro boulot
dodo, Je fais le
singe, Ne changeons
rien critiquent violemment les mœurs de
notre époque, le capitalisme à outrance et les tuniques bleues
(c’est de cette façon qu’Eddy nomme la flicaille !).

Eddy n’est donc pas
infaillible et ses albums des années 80 et 90, gâchés par une
production ultra datée (tombant dans les travers de ce maudit
synthétiseur et du son clinquant), sont hélas là pour en
témoigner.
Heureusement, les années
2000 réussissent bien mieux à Eddy qui sur les albums Frenchy
et- surtout- Jambalya
retrouvent une orchestration à tendance back to the roots du plus
bel effet (à tel point que l’on regrette vivement de ne pas avoir
assisté au Jambalaya Tour qui, visionné en DVD, révèle un show
magistral). Et quand on sait qu’il a retrouvé sa virtuosité de
conteur, on plonge sans hésiter dans ses nouvelles péripéties
musicales.

Et profitons-en pour saluer le parcours cinématographique de notre Schmoll.
Si, comme pour certains de ses disques, il frôla parfois la limite du cocasse (Frankensetin 90) il aura surtout su briller sur quelques unes des plus attachantes pellicules qui soit.
Il est grand temps qu’une juste reconnaissance soit rendue à Mr Eddy Mitchell. On a trop tendance à l’occulter au profit de son ami Johnny Hallyday et à le reléguer aux oubliettes.
Ne mettez pas autant de
temps que moi pour vous rendre compte du talent de ce Monsieur et
précipitez-vous sur ses disques de sa grande époque (commencer par
Rocking In Nashville
et, à moins d’être bouché au niveau des conduits auditifs ou
être un fan de cette calamité sur deux pattes nommée Cali, vous
serez conquis).
Harry Max