jeudi 18 juin 2020

BeaSTie BoYS sToRY



Qu'importe en quelle occasion, toutes font dorénavant l'affaire pour un business affuté par la nostalgie, les Beastie Boys sortent un documentaire commémoratif. L'originalité du truc tient à sa présentation sous forme de stand-up, Ad-Rock et Mike D prennent le micro pour raconter les temps forts d'une histoire qui s'est terminée là où elle avait commencée, à Brooklyn, un triste jour de 2012 par la mort d'Adam MCA Yauch, emporté par un cancer à tout juste 47 ans. Devant une foule docile, que l'on découvre dans la séquence post générique composée de quelques sympathiques personnalités, les deux ex-zouaves du Hip Hop MTV alignent pendant deux plombes anecdotes souvent rigolotes, parfois sentimentales, dans tous les cas impeccablement choisies pour nous faire partager un parcours qui démarre en forme de casse-gueule.

Yougottafight for your right topaaaarty !!! On n'y a pas échappé, impossible, ou alors fallait ne pas être né en 1986. Le Hip Hop se vend alors comme une blague potache à usage du teenager américain lassé du look cuir et bluejean. Pèle mêle, on va lui fourguer casquettes, shorts de baskets, vodka aux fruits et de nouveaux sons pour accompagner tout ça. Enfin...de nouveaux sons qui s'appuient méchamment sur les anciens -la batterie de John Bonham pour base d'à peu près tout- mais dégraissés au possible. Slim fast Bonham. Rick Rubin trucide les basses de la disco, mais en garde le tempo, si il y a du punk, revendiqué, dans cette musique, ce n'est certainement pas dans sa vitesse d'exécution, plutôt dans l'abrupt de ses arrangements squelettiques. L'ère du DJ qui fait tourner en boucle son vinyl de Good times est révoquée, voici le règne des boites à rythmes sur lesquelles se greffent effets synthétiques, samples d'une poignée de secondes et grosses guitares de rock FM.  Run DMC ou Beastie Boys, black or white, c'est pile la même recette. Walk this way, Fight for your right, My Addidas, Girls, c'est toujours du Def Jam, comme c'était toujours du Motown vingt ans plus tôt. Le label de Russell Simmons imprime une signature qui va durablement s'imposer comme la définition même du Hip Hop.

1988, les Beastie Boys sont lessivés. Les shows décérébrés pour MTV les ont essorés, les concerts pour propager le phénomène de foire à travers le vaste monde en ont fait des serpillières. Pour couronner le tout, au moment du bilan comptable ils s'aperçoivent que Def Jam leur a mis profond sur les royalties. C'est l'histoire qui marche sur la tête, le patron du label est black et ce sont les petits juifs de Brooklyn qui se la font mettre à l'envers. Le ton est donné, les années 80 ne respecteront aucune tradition.



Le trio ne sait plus trop comment retomber sur ses pattes, la came pour l'un, l'expérimentation musicale pour un autre, la tentation Hollywood pour le troisième. Nos gars ont tout pour finir dans le caniveau des gloires éphémères. Sauf qu'ils aiment vraiment la musique, ce sera leur salut. Ils se souviennent que Clash aussi ne savait pas jouer au début de l'histoire et que ça les a pas empêcher d'avancer. Les Beastie Boys repartent de zéro et sortent enfin leurs instruments du placard. D'abord timidement, Paul's Boutique produit par les Dust Brothers est avant tout affaire de collages savants à base d’extrême bon goût et de savoir-faire novateur. Un an avant que le Fear of a black planet de Public Enemy n'en récolte les fruits, le disque des Beastie Boys additionne les samples, multiplie les ambiances, donne un nouveau décor dans lequel se faire son cinéma. Pas de bol, personne n'ira à la séance. Paul's Boutique est un bide intersidéral.


Retour aux clubs, le groupe a le choix entre reprendre son vieux numéro à base de bière, de weed et de sperme en misant sur les nostalgiques du spring break de 86 ou se réinventer complétement. Cette fois ci, il n'y aura pas de matelas de dollars au pied du building pour amortir la chute. Quitte ou double. Adam Yauch dégaine sa basse, s'imagine en Lemmy pigiste chez Funkadelic et plaque des coups de médiator sur les accords de Sabotage. Jackpot !
L'album précédant, Check Your Head, les avait concilié avec la critique rock qui jusque là les percevait comme une variante de Vanilla Ice. Les Beastie Boys s'étaient offert mieux qu'une résurrection, une virginité. Check Your Head les présentait en musiciens crédibles, capables de passer du hardcore typiquement new yorkais à la sensualité du funk de L.A sans perdre une once de personnalité. Les Beastie Boys sont avant tout trois voix qu'il est difficile de confondre avec d'autres MC du Rap. Ad-Rock est une scie circulaire, Mike D une chignole et entre les deux MCA s'intercale pour sauver nos tympans. La formule crispe les nerfs, pourtant on en redemande.



Listen all y'all it's a sabotaaage !!! Presque dix piges après Licensed to Ill, les Beastie Boys raflent une nouvelle fois la mise et s'octroie l'actualité des années 90. Ill Communication sera leur second raz-de-marée. Peut être qu'il leur suffit de coller Ill dans un titre d'album pour décrocher la timbale. Ce serait un argument si le disque n'était pas tout simplement fabuleux. Moins surprenant que son prédécesseur, dont il reprend la formule point par point, mais sacrément plus fédérateur. Là où Check Your Head était brut de pomme, tout en aspérités sous son vernis underground, ce qui ne veut plus dire grand chose de nos jours, Ill Communication en est une version mieux canalisée et impeccablement réalisée. Rien n'oblige à choisir entre les deux.

Avec tout ça les Beastie Boys se retrouvent au pire endroit de l'échiquier, idolâtrés par la presse bobo, la branchouille qui se tripote le jonc, la bouche en cœur pour évoquer ses illuminations du moment. Les mêmes qui vont nous pourrir Bjork, Red Hot Chili Peppers et par contumace Clash, Ramones et Cramps. Les handicapés de la personnalité qui se travestissent au gré des vogues. Hello Nasty sera taillé sur mesure pour leur faire les poches. Avec son single növo Intergalactic, le disque est celui du lifting pré-millénaire, intello-rigolo avec clip entre frayeur atomique et monstres estampillés Roger Corman. Tout y est, les Beastie Boys incarnent le revival futuriste. Coup de bol, Hello Nasty reste un bon disque, on peut encore se marrer avec sans être adepte de la panoplie qui l'accompagne. Ce sera la dernière fois. D'ailleurs c'est là que Ad-Rock et Mike D ont choisi d'arrêter leur stand-up. Le documentaire n'évoque pas le passage à l'an 2000. On les comprend. To The 5 Boroughs est un hommage au New York éternel qui peine à se relever du 11 septembre 2001. L'intention est bonne, mais le disque est raté. Il se veut un retour aux sources du Hip Hop, hélas il manque cruellement d'imagination. Trois ans plus tard en 2007, The Mix-Up, entièrement instrumental, confirme la panne d'inspiration et reprend la formule qui avait fait le succès de The In Sound From Way Out! qui compilait les instrus de Check Your Head et Ill Communication.


La chape de plomb tombe en 2009, Adam Yauch est diagnostiqué d'un cancer à la gorge, le groupe annule la sortie de Hot Sauce Committee, le temps n'est plus à la fête. On reste à l'écoute des nouvelles qui arrivent avec crainte. Les Beastie Boys choisissent de jouer franc jeu, intelligemment ils partagent le parcours médical d'Adam Yauch avec leur public, une forme de sensibilisation plus humaine que les grands raouts télévisuels, imbitables défilés de stars aux grands airs de circonstance. Dans un moment de répit, ils réactualisent Hot Sauce Committee qui sort finalement en 2011 accompagné de l'intitulé Part Two.
La voix d'Adam Yauch y apparait salement affectée, brisée. Qu'importe, ils l'ont laissée ainsi et c'est très bien comme ça. Hot Sauce Committee Part Two est un dernier baroud, il ne révolutionnera pas le monde, reprend les choses à Hello Nasty avec un coup de frais sur la production. Surtout, il ne mise pas sur l'abattement, ne se cherche aucune larmoyante excuse. Un an plus tard s'en est définitivement fini des Beastie Boys, l'annonce du décès d'Adam Yauch est commune à celui du groupe. 


2020, Spike Jonze filme Mike D et Ad-Rock sur scène, devant un écran géant qui diffuse avec parcimonie photos, footage, extraits de clips ou d'émissions de tv. Durant deux heures, ils évoquent leur épopée chaotique, c'est un peu long, ça manque de rythme, l'absence du troisième larron pèse et paralyse le délire. On s'en fout, on est content d'être là. Aux côtés de deux mecs de notre âge qui parlent de Clash, comme nous, de leur jeunesse, comme nous, des coups de pot et des coups bas qui font avancer. Deux mecs retirés du circuit, mais encore bien vivants, qui viennent partager un moment avec ceux qui ne les ont pas rangé au grenier, sans se sentir pour autant obligés de ressortir les guitares, les casquettes, les témoignages adoratifs des opportunistes abonnés à l'exercice et tout le saint-frusquin. C'est tellement bien de le faire comme ça.


14 commentaires:

  1. The Beastie Boys, le groupe que même les types qui ne sont pas férus de hip-hop - comme mézigue quoi - met tout le monde d'accord avec leur énergie d'acharnés, leurs singles imparables, leurs clips loufdingues et leur allure de j'en foutre intersidéral.
    Après la traversée du désert que tu décries, j'avais bien accroché à leur ultime album qui ma foi fait bonne figure en tant que chant de cygne.
    Toute une époque révolue: celle où les gonzes du hip hop ne se prenaient pas - du moins au premier degré - pour des prima donna doté de génie musical tels nos fantoches contemporains.
    HARRY MAX

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    1. Oui, Hot Sauce Commmittee avait bien relevé le niveau après To the 5 boroughs qui ne m'avait pas du tout enthousiasmé. Faut dire que comme souvent avec les groupes qui finissent par être récupérés par la hype à neuneux, j'ai eu une période où je les avais dans le pif. C'est con parce qu'ils n'y sont pour rien, mais c'est viscéral chez moi.))) Bref, les Beastie Boys m'ont régalé tout le temps que ça a duré, du premier album à Hello Nasty, j'ai adhéré sans hésitation, le disque sort, je pose mon billet et basta. Ce qui me fait penser qu'il n'y a plus personne pour qui je fais ça, du coup voir ce doc avec eux deux qui sont à moitié plombés chaque fois qu'ils évoquent Adam Yauch (tout le temps, en gros) ça m'a ému. Et surtout ça m'a confirmé à quel point il n'y a pas de hasard quand on s'attache à un groupe, ces mecs là ont le même âge que moi et ce qu'ils ont retiré de leur parcours et la façon dont ils l'expriment me parle complétement encore aujourd'hui. Je veux dire par là qu'ils ne jouent pas un rôle dans ce doc, ils ne vendent aucune soupe, juste deux mecs qui font un bilan honnête de là où ils en sont à ce jour et du regard qu'ils posent sur qui ils ont été pour en arriver là.

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  2. Je viens de visionner le doc, la mise en place au 1er quart d'heure est une peu laborieuse de part le dispositif un peu étrange, mais une fois que l'on se laisse embarquer par le flow ça roule tout seul.

    C'est clair qu'ils ont la gorge serrée les deux trublions mais ça fait plaisir de les voir déblatérer avec malice et jubilation une tonne d'anecdotes passionnantes qui nous révèlent que sous leur atour de glandeurs patentés se cachent des vrais passionnés qui, à force de travail sans relâche, se seront construit une identité musicale si forte qu'elle en perdure encore. Ils auront surtout eu l'intelligence de se séparer du monde encadré du business afin de n'en faire qu'à leur tête et de réaliser en quasi indépendance les projets qui leur tenaient à cœur car à trop côtoyer les chimères de la célébrité ils ont compris qu'ils couraient à leur perte. De véritables mecs en or donc.
    HARRY MAX

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  3. Pour moi le rap s'est longtemps cantonné à PE et à Straight Outta Compton. Les BB c'étaient juste les vannes que leur envoyaient lesdits PE et ce fameux Party For Your Right To Fight. Donc pas pour moi. Jusqu'à ce que j'écoute 5 Boroughs (ouais, y en a fallu du temps ...) et me rendre compte que les BB c'était pour moi ! Contrairement à mon fils qui en grandissant m'accordait une condescendance limitée genre c'est bien joli ton (very) Old School et c'est bien de faire un effort mais ... Pas de mais pour moi, j'ai remonté l'histoire des BB et rajouté un troisième nom sur mon étagère Rap/Hip-Hop. Jusqu'à ce qu'un naze se fende d'un débile ''l'Amérique va mal, son meilleur golfeur est noir et son meilleur rapper est blanc''. Il parlait d'Eminem et moi j'aime pas le golf, fin de l'histoire.
    Les gens sont cons. Et je vaux pas mieux. Faut que je regarde ce doc.

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    1. Je t'ai envoyé un mail, si tu l'as pas reçu fais le moi savoir, je me suis peut être gouré d'adresse.
      Public Enemy et les Beastie Boys étaient copains comme cochon, Chuck D les cite toujours comme étant parmi ceux qui ont ouvert la voie, l'antagonisme entre eux est une pure invention de notre presse franchouillarde qui n'ayant rien capté au Hip Hop l'a divisé en deux catégories : celui pour rigoler et celui qui fout la merde. Dans les deux cas, c'était à éviter. On reste le pays qui a fait un triomphe à Benny B...)))

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    2. Bien reçu, thanxagain !
      Ouais, je me suis fait avoir sur cette histoire, je le sais pourtant qu'il faut gratter, au moins depuis Neil Young et Skynyrd.
      (Ceci je te l'ai écrit noir sur blanc que j'étais con ...)

      Après comme je suis optimiste et que j'accorde une importance toute relative à la géographie je me dis que les US et les autres ils ont bien dû s'en taper aussi des Benny B

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    3. L'Amérique a carrément inventé tous les Benny B du monde, sauf que même Vanilla Ice avait le minimum requis de pertinence (c'est une tuerie ce Ice ice baby, au moins autant que under pressure, non ?). Bon, faut prendre ça d'un mec qui trouve que What is love de Haddaway est un putain de grand morceau. Je suis surement bon client. On va dire ))))

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  4. Moi, faut que je le trouve, entre ton papier et ça je vais peut-être m'y mettre. Je connais très mal, j'y ai pas mis trop de coeur faut dire. J'ai jamais trouvé le bon moment. Cela me semble le disque que l'on écoute à plusieurs, je le sens come ça. Pas l'écoute sage assis sur son canapé.

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    1. Ah, ton michkassayass, il y pipe que dalle au hipi di hop ))) T'inquiète je vais te refiler les bonnes adresses (toi aussi surveilles ton mail et fais tourner).

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    2. Bien reçu... je te dirai quoi (comme on dit à Brussels)

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  5. ... Avec les sous-titres c'est mieux mais c'est moins drôle, j'ai passé la moitié du visionnage hier en me demandant le rapport avec leur musique et John Barry souvent cité au début.
    Blague à part, c'est une claque de préparation, décontracté mais pro, donne envie sans prise de tête. heureusement que Bruce Springsteen ne l'a pas vu avant son show à Broadway... De mon point de vue c'est une première, peut-être une dernière aussi, pas certains que cela soit donné à tous de se poser sur scène comme ça.
    Maintenant, il me faut retrouver l'humeur, ton papier, ce show pour me mettre à écouter les Beastie Boys. Ou bien le bouquin, tiens.

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    1. On a la même analyse, c'est très pro, très juif new yorkais, Jerry Steinfeld, Ben Stiller n'apparaissent pas pour rien, je pense qu'ils ont dû bosser le truc ensemble. Contrairement à Springsteen, ça ne radote pas (lui avait déjà tout raconté cent fois dans ses chansons))) et surtout ils démystifient, ils assument, l'angle est humain, ils ne cherchent pas à se faire passer pour des légendes. Pas besoin, l'histoire est bonne.
      Le bouquin n'a évidemment pas été traduit en français, surement qu'un plumitif va en sortir une adaptation pourrie et hors contexte qu'il va se créditer en récoltant des subventions pour son éditeur. Les scribouillards d'aujourd'hui ont tous la même maladie, ils veulent que les actes d'hier cadrent avec les pensées du jour. Forcément avec des loustics pareils ça ne rentre pas dans les cases.))))

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    2. J'avais oublié, en lecture presque attentive, M. Assayas est pas loin de ce qui se raconte, pas ta passion c'est vrai, M. Assayas je l'aime bien, mais c'est tout au sérieux. Une collaboration avec M. Manoeuvre c'était le bon équilibre.

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