dimanche 12 avril 2020

DaDa diDoOda



Collages, montages, découpages, détournements, écriture automatique, faisant feu de tous les absurdes, Dada à cent ans. Dans un monde entre deux guerres, pensé, organisé, où chacun marche au pas. Dans une atmosphère d'industrialisation galopante qui trace les contours de ses méfaits à venir, Dada leva le voile sur notre part de folie, cet impossible dont s'abreuvent les libertés. Opprimé sitôt exprimé, premier mouvement à recycler l'existant au mépris de son sens originel. 


Peut être parce qu'il n'a pas produit d’œuvres emblématiques, Dada s'est vu partiellement occulté par les mouvements qui s'en sont inspirés, surréaliste, situationniste, punk. L’opacité de ses textes fondateurs, dont on trouve trace dans Courrier Dada, livre de Raoul Haussmann édité chez nous par Allia, n'arrange surement rien à ses difficultés de transmission.
Dada demande un effort, il ne se contemple pas, il se devine, il ne dicte pas, il suggère. En cet instant même je trahis Dada, puisque écrire sur Dada n'est pas Dada si ce n'est pas écrit en Dada. J'utilise des règles de logique, d'association de mots, de grammaire, de conjugaison, autant de choses auxquelles mon esprit a été soumis par assimilation. Je devrais découper ce foutu texte en morceaux, laisser la lame trancher au cœur des mots, jeter tout le bordel en l'air et que le hasard lui donne forme. Cela n'aurait peut être ni queue ni tête, peut être même que ce qui en sortirait serait le contraire de ce que je voulais dire, nous serions face à des idées venues de nulle part, déconcertés par des pensées qui ne sont pas les nôtres, qui n'auront, allez savoir, jamais été exprimées jusque là. Nous serions dans l'incompréhension. Obligés d'inventer de nouveaux chemins pour des dialectes hors gps. Le vertige de celui qui s'est perdu. Nous serions complétement Dada.


Dada est un mouvement par accident. Aucun de ses protagonistes ne souhaitant en partager le mérite, il est conflit d'égo. Chacun d'eux se proclame seul et unique Dada, désigne les autres, qui en font autant, comme étant au mieux des surréalistes, au pire des charlatans. Dada rend Dada. Et de se proclamer anti-Dada ceux qui se veulent les vrais Dada, puisque ainsi seulement ils se distinguent des Dada qui ne le sont que parce qu'ils le proclament. On le voit, l'affaire n'est pas mince. 


De Suisse, d'Allemagne, de France, de New York, Dada observe avec un esprit anarchique la mise en place du nouvel ordre mondial, il se veut grain de sable zinzin dans le rouage. Coup de ciseaux dans le discours. Fenêtre sur le désordre. Dada n'a pas de principe, ne se projette pas dans un hypothétique avenir, ne cherche pas à bâtir une enclave, une pensée, une église. Dada n'est pas franc maçon. Dada veut détruire par overdose de négativité, il rejette l'idéal commun, vomit la pensée unique.



Depuis le Cabaret Voltaire à Zurich, Hugo Ball, Emmy Hennings, Marcel Janco, Tristan Tzara, depuis New York, Berlin et Paris, Man Ray, MarceL Duchamp, Hannah Höch, Max Ernst, Francis Picabia, Richard Huelsenbeck, André Breton, Raoul Haussmann, d'autres encore, fuient la postérité, revendiquent l'éphémère. Demain n'est pas. L'art est mort. Le scandale est vie. Dada est un souffle perfide. Une étincelle sans oxygène. Plus tard, on proclamera no future, do it yourself, destroy, slogans derrière lesquels vont se ranger tout ceux qui n'en comprendront ni le sens, ni la portée, ni l'origine. La nécessité lâche qui caractérise l'humain et son besoin d'ordre, d'uniformité, de simultanéité est le pire ennemi de Dada. C'est hélas ainsi qu'il sera transmis, l'insaisissable mis en bocal, l'éphémère momifié en musée. Pour que le con contemple, oublie d'inventer, de prendre part. D'être Dada.


Hugo Spanky





18 commentaires:

  1. Je sais, tout commentaire est superflu, mais je n'ai pas pu m'en empêcher (Tu échappes à l'anecdote de Marcel Duchamp qui avait tout d'abord pensé à un bidet au lieu de son urinoir, mais il voulait éviter l'illustration d'une expression trop populaire)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. L'urinoir a d'ailleurs était exposé sous le nom de Bidet (puis Fontaine), ce qui évidemment était parfaitement Dada. Il n'aurait plus manqué qu'ils appellent les choses par leur nom ! )))
      Marcel Duchamp, à bien y regarder, a précédé le concept attribué à Warhol d'art en série à base d'objet du quotidien, la plupart de ses œuvres étant des reproductions à exemplaires multiples d'un original à existence éphémère. Sa roue comme son urinoir ayant disparu dans la nature peu après avoir été exposé. L'idée que l'idée prime sur l'objet a ouvert les vannes en grand et décomplexé l'art. Soudain l'important n'était plus de réaliser l'irréalisable en présentant des créations pharaoniques de difficultés. On retrouve cette idée dans le mouvement punk avec le concept du pas besoin de savoir jouer, en réaction aux virtuoses des années précédentes.

      Supprimer
    2. Je ne sais pas s'il a décomplexé l'art où si au final il ne l'a pas définitivement achevé. Il m'est d'ailleurs d'avis que dès qu'une idée née, elle meurt aussitôt, et que tout le reste n'est que déclinaison et non création. A moins que le but ultime de tout ça est d'arriver au néant. Ce qui semble être sur la bonne voix ;D

      Supprimer
    3. C'était le but, tuer l'art. Dada ne prenait pas demain en considération, c'est pourquoi les créations étaient détruites ou abandonnées après avoir été exposées. C'était une remise en question de la conception des œuvres et de leur postérité. De leur perception aussi. Dada revendiquait la négativité, détestait la béatitude, s'appliquait à émettre des critiques cinglantes, non objectives et surtout pas constructives envers tout et le reste. En commençant par agresser le public (la photo d'André Breton qui affiche le message de Francis Picabia que j'ai publié dans l'article).
      Le néant non seulement après, mais aussi avant comme l'illustre la Une du magazine Dada qui se trouve sous ma signature avec cette déclaration de Descartes : Je ne veux même pas savoir si il y a eu des hommes avant moi..
      Repartir de rien pour s'affranchir des erreurs du passé et des idées préconçues. Et de fait, ne rien laisser pour que les suivants en fassent autant.

      Supprimer
    4. Le mieux c'est de faire comme moi, tout commencer, et rien finir ;)))

      Supprimer
  2. Des sages que tous ces gens-là. J'en veux pour preuve cette citation de Picabia qui n'a d'agressif que le ''tas d'idiots''. Pour le reste c'est une simple vérité.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est ça. En 100 ans beaucoup de ce qui était impensable alors est dorénavant assimilé comme normal. D'où la nécessité de tout remettre en cause tout le temps.

      Supprimer
  3. les debuts de dada n'étaient pas les debuts d'un art,mais d'un dégoût des philosophes...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ça n'a été un art à aucun moment, ils étaient anti art. Et effectivement anti philosophes, anti politiques, anti bon goût, tout ce que tu veux. Ils étaient négatifs ))) Ils n'aimaient aucune pensée préconçue, ni rien qui soit dans sa forme d'origine ou utilisé pour ce à quoi il est destiné. C'est étonnant que Dee Dee Ramone ne se soit pas plutôt fait appeler Da Da Ramone )))

      Supprimer
  4. En 1983, Alice Cooper, sous la houlette de Bob Ezrin, mettait en boîte un album très ambitieux, doté d'une superbe pochette, inspirée de l'œuvre de Dali et, justement, titré DADA. Notre Richard Kolinka national avait d'ailleurs participé à l'aventure. Bien qu'il fut excellent, il a connu un bide monstrueux. Il aura fallu des années et des années pour que la critique reconnaisse enfin les qualités de ce disque.
    Voilà, voilà, c'est Dada !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ah oui il est super cet album je l'adore !

      ♫ A Dada à Dada et fouette, fouette
      Fouette, fouette, fouette là ♪


      ;) ;) ; )

      Supprimer
    2. @Keith : On doit faire partie des rares qui l'ont acheté à sa sortie ce disque parce qu'effectivement, il n'est jamais cité nulle part. Très Ezrin comme album, proche de Lace and Whiskey par son côté superproduction hollywoodienne. Le morceau titre dada et Former lee warmer sont à classer parmi ce que ces deux là ont fait de meilleur.
      Ah et pour le plaisir, je cite le nom du tableau de Dali : Marché d'esclaves avec apparition du buste invisible de Voltaire.
      Ça valait le coup, non ? )))

      @Sylvie : Non, rien ))))

      Supprimer
    3. Paradoxalement, aucun des titres de cet album n'a jamais été joué en live par le Coop'
      Scarlet and Sheba est également un pur chef d'œuvre

      Supprimer
    4. Ouais, c'est à dire qu'après Dada, Alice est parti en désintox et n'a plus tourné ni enregistré pendant pas mal d'années. Le pauvre vieux était rétamé au crack et Ezrin accro à l'héro.
      Son comeback aurait pu être un sacré truc puisqu'il avait commencé par un projet avec Bob Ezrin, Joe Perry d'Aerosmith et Andy McCoy de Hanoï Rocks qui s'est limité à quelques répétitions et séances de compositions avant qu'il n'opte pour un guitariste clone de Stallone et un retour essentiellement basé sur la nostalgie avec le show The nightmare return. A ce qu'il parait fréquenter ces trois là à ce moment là le soumettait à trop de tentations de rechute )))
      L'idée du groupe avec Joe Perry a été réactivé bien plus tard, d'abord pour l'album Trash, puis avec les Hollywood vampires, mais avec Johnny Depp à la place d'Andy McCoy, n'est ce pas....c'est pas la même )))))

      Supprimer
  5. Bel article.

    Ce genre de mouvement de franc tireurs a parcouru l'histoire. Depuis Diogène dans son tonneau en passant par Rabelais ou François Villon, certaines sectes gnostiques ou millénaristes ou plus près de dada, Raymond Roussel ou Alfred Jarry qui se teignait déjà les cheveux en vert. Une attitude qui a traversé les siècles sous diverses formes.
    A chaque fois, on en voit aussi les limites : une révolte souvent stérile qui débouche sur ... du vide.
    Mais un bel esthétisme dans le cas de Dada, né au début de notre modernité et de la culture de masse, connu plus tard sous le nom de "culture pop".

    C'est vrai que le punk lui a beaucoup piqué mais guère plus qu'il n'a piqué à ses prédécesseurs du moins sur le fond. Le futurisme italien ou d'autres (Arthur Cravan?) avaient déblayé l'affaire. La première guerre mondiale a un avant et un après, ce qui fait apparaître dada comme une cassure alors qu'il s'incrit à mon avis dans une continuité.

    J'ai bien peur que Dada ne soit pour notre époque, qu'un cadeau empoisonné, étant devenu la matrice originelle de l'art contemporain qui ne fait que le caricaturer ad nauséam en enfonçant des portes qu'il a ouvertes depuis longtemps.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci pour les nouvelles pistes, tout ceci est très judicieux. Il y aurait beaucoup à dire sur le futurisme italien.
      Je ne pense pas néanmoins que dans son cas spécifique, Dada se soit voulu une révolte. C'était plus une observation cynique et moqueuse qu'une volonté de changement de société. Ceci dit, tu as raison, les nombreux autres mouvements qui se sont eux voulus porteurs de révolte n'ont débouché sur rien d'autre qu'une récupération par ceux là même qui motivaient leurs volontés belliqueuses.

      Et pour ce qui est de l'art qui nous est contemporain, j'ai bien peur que Dada ne soit qu'un exemple de tout ce qui l'écrase. Pas plus tard qu'hier dans je ne sais plus quel média il était question d'un peintre toulousain qui représenterait selon eux le renouveau de l'art pictural. Les deux tableaux qui ont été montrés pour argumenter le propos étaient deux monstrueuses pompes de Basquiat ))) Et quand ce n'est pas Basquiat, c'est Keith Haring. A Sète, les galeries sont remplies jusqu'au plafond d'ersatz de ces deux là. Ma foi, bien heureux les simples d'esprits ))) Mais pour ce qui est de la créativité, on est d'accord qu'il faudra repasser.

      Supprimer
  6. Mais ou est passé Don Van Vliet avec et son blues déconstruit résonnant dans le ciel étoilé du désert des Mojaves.
    Trout Mask replica c'est du Dada musical et pictural.
    Personne n'est capable de jouer une telle musique aujourd'hui!
    Duke

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Un chiotte, Alice Cooper, Captain Beefheart, une équation Zappadada. Et Gainsbourg di doo da, dada ou pas dada ?
      En parlant de lui, Rembob'ina sur LCP rediffuse deux documentaires maousses, une interview rue de Verneuil à la sortie de Vu de l'extérieur et Melody Nelson mis en images par Jean-Christophe Averty.

      Supprimer