MuDDY eT LeS ChiC TYPeS
Une biographie de Muddy Waters par un journaliste américain de renom, voila un menu qui ouvre l’appétit. Vaste programme que raconter la vie de celui qui du sud au nord du Mississippi porta l’évangile selon Robert Johnson jusqu’à sa plus incandescente incarnation. Muddy Waters n’est pas le meilleur des bluesmen, encore moins le premier et certainement pas le plus indispensable. Il est le plus universel. Le phare qui éclaira jusqu’en Angleterre malgré le smog. L’homme qui donna à la prose et aux riffs de Willie Dixon le vernis qui les fit comprendre par le moindre pékin blanc un tant soit peu doté d’imagination. Là où Howlin’ Wolf foutait les miches, où Sonny Boy Wiiliamson puait le vice, là où B.B King, à l’inverse, était trop artificiel, Muddy Waters fut le juste équilibre. Paillard, vantard, toujours prêt à cocufier le premier couillon qui passe, certes, mais avec le sourire. Et le sourire de Muddy Waters vaut le coup d’œil.
Muddy Waters c’est l’étape juste avant Presley. Il est celui qui fit germer dans l’esprit de la première génération de rockers l’idée que des graines du Blues pouvait pousser des fleurs, pas seulement des orties. Pas étonnant d’apprendre que c’est lui qui conseilla à Leonard Chess de signer Chuck Berry. Maybellene c’est Mannish boy avec un coup de polish supplémentaire. Elvis sonnera régulièrement plus noir que ces deux là. Muddy puis Chuck seront les premiers à penser en grand, à piger qu’il y a un moyen de piquer le flouze sans pour autant finir en prison pour cela. Chuck finira par l’oublier, Chuck a toujours été trop gourmand. Muddy Waters n’oublia jamais la combine et jusqu’à sa mort il saura naviguer en père peinard sur les époques, du passage à l’électrique à son arrivée à Chicago jusqu’au revival en forme d’intégration aux côtés de Johnny Winter, en passant par la mise en plis psychédélique d’Electric Mud.
Oui, appétissant menu que celui de suivre tout le parcours du bonhomme comme nous le propose Robert Gordon (rien à voir avec la Pompadour new-yorkaise) avec son livre Mister Rollin’Stone parfaitement traduit et édité par Rivage Rouge. Sauf que trop d’érudition tue l’intention. A tellement vouloir être précis, Robert Gordon nous perd en route et le lecteur se retrouve tel un derviche fou coincé dans un rond point dont chaque voie de sortie s’échappe au moment où il enclenche le clignotant. On s’en fout de savoir que le batteur de la session du 16 avril a été remplacé pour celle du 17 mai et on l’avait pigé tout seul que de I’m a man à Hoochie coochie man, il n’y avait pas un univers tout entier. Des dates à profusion, des couleurs de tapisserie, des annexes, des appendices, la tracklist du moindre concert, le poids des sacs de coton, la marque de la voiture, le nom de toutes les maitresses (rien que ça déjà...) Stop, n’en jetez plus.
Et c’est râlant. D’autant plus qu’au hasard d’un des premiers chapitres, Muddy lui même ouvre une piste qu’il aurait été préférable de suivre. Le genre d’évidence qui crève les ouïes mais qui m’avait échappée jusque là. «Le Blues ne doit pas tant à l’Afrique qu’aux indiens d’Amérique». Bordel que c’est vrai. Dès les pseudonymes, tous ces noms façon chefs de guerre, c’est le grand esprit des Sioux, Apaches, Cheyennes et autres Comanches qui est convoqué par les hurlements du Loup. Putain d’évidence. Ce trop court chapitre m’a passionné, comment depuis l’Asie via le détroit de Béring sont arrivés par le grand nord les premiers peuples en terre d’Amérique. Comment des siècles plus tard, les esclaves en fuite se sont mélangés aux tribus. La façon dont entre parias, ils ont mêlé intensité et exubérance jusqu’à en faire jaillir la lave. Du shaman au showman il n’y avait qu’un pas.
Et l’auteur de passer à côté sans se retourner. C’est tout le problème du livre de Robert Gordon, il s’attache aux faits mais ne leur donne aucune perspective, aucune raisonnance, aucune profondeur autre que celle qui nous dirige inévitablement vers l’ennui. Le gars est comme un prof de math blasé, il récite la leçon sans lui donner de sens. Et nous de piétiner. Il en sait trop et oublie comment transmettre l’essentiel. Comme regarder un film de cul avec sa nouille à la main. La passion reste au placard
Tant qu’à ne rien apprendre de palpitant autant lire l’autobiographie de Rod Stewart. Celle là est parfaite avec le temps de la bronzette à la plage qui ne va pas tarder à pointer le bout de son nez. Je ne plaisante qu’à moitié. Je bloque depuis deux mois sur le bouquin consacré à Muddy Waters mais j’ai torché en trois jours celui du cockney. Ce que Rod Stewart raconte sur la musique tient sur un timbre poste et c’est presque déjà trop. Ron Wood, dans son autobiographie, ne causait quasiment que de dopes, Rod s'attarde sur le sexe. Un bon résumé de The Faces, finalement. Par contre, il livre sans complexe et avec un humour de bistrots qui il est, un gonze estomaqué que ça soit tombé sur lui et qui n’en a pas raté une miette. Des blondes, des blondes et des blondes mais aussi du football, des trains électriques (oui, lui aussi, et il balance que Roger Daltrey fait dans le cheminot également) une pincée de coke et des hectolitres de cognac, de bières épaisses, des frimes en Lamborghini et un gout revendiqué pour les futals en spandex bariolé.
Rod Stewart, quoi.
Et là aussi, au hasard d’un chapitre, j’ai fait dans la réflexion, je me suis dit que le rock avait raté le coche au moment du disco. Voyez-vous, Rod fait un complexe sur Da ya think i’m sexy (façon de parler, il est très fier de ce que son plus gros hit lui a rapporté) et se triture les méninges sur comment retrouver son statut de rocker auprès du hooligan moyen après avoir été le roi des boules à facettes. Et c’est là que ça m’a fait tilt. D’abord je raffole de ces singles putassiers, les Heart of glass, Passion, Miss you, I was made for loving you, Magnificent seven, Let’s dance et tutti quanti mais surtout le revival à base de riffs de guitares culcul la praloche qui a suivi ne m’a jamais convaincu. Le rock en se mordant la queue a perdu sa notion de grande aventure. Pire, il a perdu le swing, le groove, le funk, appelez ça comme ça vous plait, la basse. Le boom boom boom cher à John Lee Hooker.
Me revoilà sur mes pattes pour conclure ce papier en vous conseillant un ultime bouquin, celui de Nile Rodgers, C’est Chic. Il est franchement bien. L'ambiance familiale façon Superfly nous plonge chez les brothers. Hippies black des 60's, la mère et le beau-père valent le détour. On n'est pas loin de Chester Himes. Freak out ! Nile Rodgers se construit dans son coin, môme trimballé sans cesse entre New-York et Los Angeles, il ingurgite tout ce qu’il vit pour se bâtir un univers fantasmé qu’il passera le reste de son existence à transformer en réalité. Jimi Hendrix, Stevie Ray Vaughan, Diana Ross, David Bowie, Southside Johnny, Mick Jagger, Madonna...du ghetto au Studio 54, le jazz, le funk, la pop, l’itinéraire du guitariste est sans œillère. Et doté une abjection pour les cloisonnages, les cases, les étiquettes. Les classes sociales. Paradoxalement, tandis que le rock se voulait plus blanc que blanc, dépourvu de toute notion de danse, Nile Rodgers se rêvait en rocker et fondait Chic après s’être mangé un concert de Roxy Music en pleine tronche.
Mieux écrit et moins nombriliste, le bouquin de Nile Rodgers se dévore de la même manière que celui de Rod Stewart. L’un et l’autre s’adressent à nous, établissent une connexion et restent suffisamment futile pour que l’on se sente partie prenante plus que collé dos au mur, tandis que se remplie la piste de danse. Deux livres qui filent des fourmis dans les pinsons et de l'évasion à l’esprit. En ce qui me concerne, je préfère ça aux mathématiques.
Hugo Spanky
Hé Ho ! Moi je l'aime la Pompadour new-yorkaise ! ;p
RépondreSupprimerLe bouquin sur Muddy Waters je ne le lirais pas, vu le pavé et si la seule chose intéressante est ce passage sur les indiens je le savait déjà, c'est toujours ce que j'ai ressenti envers le blues ou tout autre musique "chargée". Je me contenterais de l'excellent Godfathers and Sons et du très sympathique Cadillac Record.
Celui qui m'attire en revanche c'est C'est chic. Rod Steward à l'air super drôle aussi mais sa musique et son look en dit tellement sur lui, je ne sais pas si je veux en savoir d'avantage.. parce que ses disques par exemple, j'en ai plein et je les adore, mais au bout d'un moment faut savoir s'arrêter ;)
La Pompadour était marrant à petite dose, mais un brin mijaurée. Fire c'est quand même mieux chanté par un homme. ;-))
SupprimerGodfathers and sons, bien vu, j'ai oublié d'en causer de ce dvd. C'est un chef d’œuvre de documentaire.
De Rod Stewart en solo, je garde Blondes have more fun et Foolish behaviour, ses sommets en solo. Et sinon les Faces c'était des cadors dans le genre bordélique.
Le bouquin de Nile Rodgers, bon choix, c'est clairement le meilleur des trois.
Hugo Spanky
La version de "Fire" de Gordon est quand même redoutable. Link Wray y est pour quelque chose.
SupprimerMais grave ! Et Smiler, c'est le dernier que j'ai acheté aussi. Rien que la pochette, c'était impossible de passer à côté ;)
SupprimerRod Stewart en slip... vas te cacher !!!!!
RépondreSupprimerMuddy a une "bouille" qui attire la sympathie, comme Louis Armstrong !
Rod Stewart se cacher ? C'est pas son style. Il a honte de rien, le bougre.
SupprimerLouis Armstrong, bordel, faudra qu'on en cause un jour. Black and blue, St James Infirmary...tiens je vais me les jouer ce week end. Bonne idée. Là, je suis en plein Mc Cartney période Wings (Venus and Mars). Extra pour le samedi matin.
Hugo Spanky
Je me suis acheté , y a 10 jours "Smiler" de Rod Stewart, j'adore... Cent fois mieux que les faces en fait!!! Quant au singles disco putassiers, comme tu dis, j'apprécie de plus en plus.
SupprimerIl a fait quelques très bons albums, les deux que je cites allient avec régal disco et rock braillard mais avant ça, Smiler dont tu parles et d'autres enregistrés notamment à Muscle shoals valent le coup. Les Faces c'est le coffret Five guys walk into a bar qui est top, bourré de chutes et de démos. Les albums en eux même, bof.
SupprimerPour les singles, l'alliance du rock et du big beat disco était redoutable pour si peu que tu avais un chanteur glamour. Même Mc Cartney en a tâté avec Goodnight tonight et Coming up. La disco était bien plus underground que le rock et autorisée toutes les audaces. KC and the sunshine band avaient ouvert la voie mais Nile Rodgers avec Chic ou en productions à fait des miracles (Sister Sledge, l'album de Diana Ross aussi, Like a virgin aussi mine de rien, quel son !). Dommage que la frilosité a fait que les croisements n'aillent pas plus loin. Il y a un fantastique bouquin sur la disco, Turn the beat around de Peter Shapiro traduit par Allia. De l'invention des discothèques par Régine (la 1ere a avoir remplacé les musiciens par des disques) jusqu'à l'apogée puis la chute du genre, contexte social inclus.
Hugo Spanky
Hop, deux bouquins pour le Devant. Pas fini de lire les commentaires. A+
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