Il apparait évident à l'écoute de Oranssi Pazuzu que le black metal dans sa branche la plus avant-gardiste agit de façon néfaste sur la pysché de ses auteurs, et surement en partie autant sur ses auditeurs. Le plus récent disque des finlandais, Muuntautuja, en est une preuve indiscutable. D'emblée, il vous assène une interminable série de sons tonitruants dépourvus de la moindre élémentaire notion d'harmonie, durant laquelle l'esprit tente, tel celui du noyé qui se démène pour échapper à son destin, de se raccrocher aux éléments qu'il comprend. Il y en a si peu que la quète apparait rapidement vaine. Poursuivre l'écoute en s'opposant au réflexe de survie demande un tel effort que l'accalmie, qui finit par arriver, prend des allures de paradis terrestre. Avant que la conscience revenue, on ne se découvre en enfer. Nous voilà beaux.
Cette approche frontale se reproduit sur la seconde face, par chance, l'album n'est pas double à l'inverse de son prédécesseur, Mestarin Kynsi (la griffe du maitre, selon google traduction) qui s'étale sur trois faces. J'y reviendrai, j'en finis d'abord avec Muuntautuja (Mutation, selon moi-même). La seconde face, donc, fracasse avant de monologuer sournoisement. En fait de monologue, ce serait une incantation, réussissant le pari d'installer une ambiance cinématographique tout en conservant un aspect affreusement concret. Aussi dingue que ce soit, rien ici ne semble fictif. Puis le monologue se mouve, ondule et se contracte par spasmes dégressifs, à nouveau charmeur, sans devenir apaisant le moindre instant. Je vous le dis tout net, ces types sont dérangés. Ils sont carrément allés jusqu'à planquer un ultime titre au delà d'un réconfortant silence. Un morceau planant. A ceci près que l'on plane en dessous du sol. Minuscule cellule de vie frayant vers l'oeuf de reproduction à travers les méandres boueux, les détritus, les décompositions diverses et les charniers les plus abjects.
Une écoute sarcastique pourrait faire croire à une jam informe, un tintamarre causé par un ramassis de musiciens drogués, victimes d'hallucinations mises en scène par Lucio Fulci. Ce serait une funeste erreur, il y a ici un engrenage d'évènements, certes irrationnels, mais qui laissent déceler une pensée humaine. Fût-elle d'une humanité réduite à son expression la moins civilisée. Ne croyez pas que je vous conseille ce disque, je vous préviens au contraire de l'éviter. Il est vicieux.
Néanmoins, ce n'est rien en comparaison du maléfice pernicieux qui opère à l'écoute de Mestarin Kynsi. Nous y voilà. Cet album de 2020 procède par ondes alternatives. Contrairement à l'approche kamikaze de Muuntautuja, il stimule l'endorphine en ciselant un accueil psalmodique. On est cool, un brin inquiet, mais ça va. Puis l'horizon s'assombrit en un éclair et un tsunani dissonant s'écrase sur les membranes. Oranssi Pazuzu fait feu de tout bois, boucles vocales, synthétiseur percussif, bends distordus broyés par l'impulsion des basses, tambours assourdissants. Un boucan à rendre fou. Rendez-moi Ummagumma ! Montagnes russes, avalanches et reflux annihilent toute résistance et c'est éreinté par le mal que l'on tourne dorénavant les faces comme le candidat au suicide dépaquète ses Gillette.
Hugo Spanky
Oranssi Pazuzu - Muuntautuja (2024)
Oranssi Pazuzu - Mestarin Kynsi (2020)
C'est quand même, comment dire, fascinant ton truc là.
RépondreSupprimerJe t'avoue que je me régale à lire les commentaires YT, si y a bien un truc à sauver dans ce bas monde c'est l'enthousiasme des fans de metal, quelle qu'en soit la matière. Là c'est du black, tiens-moi au jus des fois qu'y aurait des phénomènes similaires dans le purple, le pink ou ke yellow.
Sinon je me dois de faire acte de contrition, je me suis toujours un peu méfié de tes conseils (j'espère que tu en fais de même avec nous) mais là j'aurais du te faire confiance. Par contre, de sarcasme jamais il ne sera question entre nous bordel !
L'enthousiasme, oui, c'est le moteur. Et il faut l'être pour s'attaquer à Oranssi Pazuzu, mais comment se désinteresser d'un groupe qui porte un nom pareil ? L'éventail des étiquettes dans le metal, c'est une sacrée affaire. Faut reconnaître que le genre dans sa globalité offre un panorama musical sans équivalent. Le black metal lui-même à un dressing à faire pâlir Paris Hilton. Dès le début, c'est le grand écart entre Darkthrone et Burzum. Deux directions qui s'opposent et s'attirent comme un aimant. Oranssi Pazuzu n'a pas choisi, c'est la confrontation permanente du froid et du glacial.
SupprimerJ'apprécie ta méfiance, je ne me fie moi-même qu'à mes oreilles et si je lis une critique c'est en espérant un descriptif de ce qui m'attend plutôt qu'un avis. Etant incapable de ne pas donner le mien, tu auras remarqué que j'ai opté depuis peu pour les liens youtube ou bandcamp puisque les metalleux ne sont pas frileux et balancent dès parution leurs albums en intégralité sur ces sites. C'est dire la lucidité des mecs.
Je me retrouve avec la même impression que les derniers Charlu, lui très aérien et introspectif et toi davantage - ho oui - Tellurique d'après ta description sur ce papier car je n'ai pas écouté. Ça ne s'écoute pas n'importe quand ni n'importe comment. J'attends mon retour dans ma "cabane" à musique là où j'ai du son. Restera à trouver le meilleur moment dans la journée. Un souvenir : nous sommes deux à ramper dans un boyau étroit, je me trouve coincé, alors que lui un peu plus loin m’annonce : « viens, c’est super il y a une grotte géniale, plus que quelques mètres » et moi voyant mes lunettes se décrocher je décide d’abandonner attaqué par une quasi crise de claustrophobie. Faudra pas que j’oublie d’y revenir. PS : Tiens, Charlu propose un Thin Lizzy…. À suivre
RépondreSupprimerJ'ai lu le Charlu sur Thin Lizzy, j'avais écouté le disque. Je ne te cache pas que j'y suis allé à reculons, ça sentait l'arnaque à plein nez. Le premier guitariste de Thin Lizzy, Eric Bell, pas franchement leur meilleur, réapparait de nulle part pour isoler la voix de Phil Lynott sur des morceaux de la période où il était membre du groupe et remplacer l'accompagnement d'origine (électrique jusqu'à plus soif) par des prises acoustiques qu'il réalise au moment de tout ce micmac. Aidé par le batteur historique de la formation qui réenregistre des parties plus adéquates. Mouais.
SupprimerSauf que, voila, la voix de Phil Lynott étant ce qu'elle est tout ceci fonctionne à merveille. Et je me retrouve bien emmerdé. Néanmoins ! Je refuse d'acheter le disque (sinon on va faire quoi le jour où l'IA produira de meilleurs morceaux des Beatles que les Beatles n'en ont produit eux mêmes ?), mais je conserve les fichiers mp3 pour les écouter à l'occasion.
Pour Oranssi Pazuzu, tu as raison, faut un endroit peinard et du volume. Quant au bon moment, c'est plus une question de bon état d'esprit (bien que ton état d'esprit sera modifié par l'écoute). Il y a bien un effet camisole chimique dans un premier temps, celui où tu luttes encore, imaginant pouvoir gagner, mais il lui succède vite un état quasi méditatif où le cerveau entame une regression jouissive vers les origines de la pensée primaire, lorsqu'elle était encore dominée par l'instinct. On en ressort propre comme un sous neuf et régénéré face à la nocivité de tout ce qui nous entoure d'inutile.
J'ajoute qu'il vaut peut être mieux entamer par Mestarin Kynsi, puis enchainer sur Muuntautuja. Ils sont sortis dans cet ordre et suivent une forme d'évolution dans la violence qu'il imposent. Mais si tu es bien accroché, se prendre Muuntautuja en travers de la tronche à froid de bon matin est une expérience qui se tente. J'aime bien.
SupprimerEvite quand même de te raser pendant l'écoute )))
En me promenant sur AMG je tombe sur ce bout de présentation qui a forcément trouvé aussi de quoi curioser: "Avec Värähtelijä , sorti en 2016 et salué mondialement , ils ont ajouté des éléments de krautrock, du funk vaudou électrique de Miles Davis , du stoner doom metal, du thrash et du post-metal à leur palette sonore"
SupprimerAvec tout ça, ils sont sûrs de ne pas s'être trompés chez AMG )) Mais ce sont bien les influences du groupe. Je connais leurs albums précédents et ils sont bons, même si le son indus n'a pas ma préférence. C'est parce qu'ils sont plus organiques que j'ai justement choisi de mettre Merastin Kynsi et Munntautuja en évidence.
SupprimerVärähtelijä est un point de transition entre les deux approches (qui restent toutefois globalement similaires). Je crois que c'est d'ailleurs par ce disque que j'ai connu Oranssi Pazuzu.
J'écoute à l'instant Munntautuja et il est en fait parfait pour une première approche, moins méandreux que Mestarin Kynsi. Bah, fonce et tu verras bien.
Et sinon, toi qui aimes lire avant d'écouter, je te conseille Perplexity, c'est de l'IA mais beaucoup plus pertinente que chatgpt et qui raconte surtout bien moins de conneries. J'ai passé une heure l'autre jour à corriger chatgpt à propos des disques Yoko Ono )))