lundi 9 novembre 2020

SuBWaY To HeaVeN...THiN LizZY



Je me souviens d'un temps où un groupe qui enregistrait simultanément dans deux studios différents était considéré comme suspect. Même pour un machin aussi compartimenté que l'était devenu Pink Floyd, le fait que l'un d'eux enregistre The Wall à Londres et l'autre à Los Angeles (ou New York, qu'importe) faisait figure de reproche. Le disque ne pouvait que s'en ressentir, l'alchimie du live n'y survivrait pas. Bon. On en est aujourd'hui à des échanges de fichiers compressés entre musiciens éparpillés aux quatre coins du globe (voila une expression bien surréaliste). Et pour ce qui est de l'aspect live du résultat, il se résume à un bug informatique laissé délibérément parce que c'est tellement plus cool comme ça. Après quoi, il semble que presser le tout sur du vinyl 180gr suffit pour que ça soit comme à l'époque. Ma foi.

N'empêche qu'avec ces conneries, j'en arrive à ne trouver pleinement plaisir qu'avec les disques les moins impeccablement mis en place de discographies pourtant loin de sentir l'algeco. C'est donc un mal pour un bien, comme on dit à celui qui se brûle en apprenant qu'il ne faut pas mettre la main au feu.

Allongé sur mon lit, le regard au plafond (sur le dos, donc) je m'égare dans des pensées me suggérant des noms d'albums dignes de succéder à The wild, the innocent and the E street shuffle dans le nouveau défi que je me suis lancé pour occuper mon confinement, choisir un disque, et un seul, d'un groupe ou artiste dont j'aime une large partie de l'œuvre foisonnante. Le dernier métro venu, avec quel album fuir vers un hypothétique ailleurs ? Ça parait con, ça l'est, et en prime c'est pas si facile. Je ne sais pas si je vais jouer à ce petit jeu longtemps, il est à l'origine de tant de contradictions entre moi-même et moi seul que j'en développe une schizophrénie latente. Tais-toi donc Jiminy Cricket.


A tout dire, j'ai d'abord pensé profiter de l'occasion pour rendre hommage à Eddie Van Halen sans avoir à m'appesantir sur une carrière qui, en ce triste mois, devrait faire la une de tous les mensuels musicaux (c'est pas le cas ? Ah bon). Sauf qu'évidemment désigner Fair Warning, tout de puissance et de groove, c'était me priver de l'incendiaire premier album, celui de métal et de feu, de cuir et de soie, le disque de Atomic punk et Jamie's cryin', de Ain't talkin' about love et Little dreamer. Malheur. Je suis trop bouleversé pour ça. Et puis à bien y réfléchir, j'ai toujours eu un faible pour leur deuxième album, un peu le Brice de Nice du lot, tapageur plus qu'essentiel, mais toujours efficace pour rameuter la bonne humeur. Vous pouvez toujours courir pour que je m'en sépare. Pas plus que de Women and Children First, le Titanic version heavy metal. Je le vois comme ça. Les épouses et les chiards dans les canots de sauvetage, pendant que les mecs dézinguent le bar et s'empiffrent dans les cuisines, des donzelles plein les bras. Feel my heart beat whabala schoubidouwa. Y a rien à faire, même la foir'fouille de Diver Down me comble de bonheur. Ou alors faut que je me lance dans un autre concept, celui des disques qui pourraient n'avoir jamais existé que ça ne me dérangeait pas plus que ça. Là ok, je vous sabre la moitié de 1984 et la quasi totalité de la suite. Faut bien l'admettre, Eddie Van Halen avait tout dit en cinq ou six disques, faut aussi lui accorder que personne ne l'avait dit de la sorte avant lui. Quel putain de festival ! Les gosses qui n'aiment pas les guitares peuvent pas piger le panard que c'était de se faire ravager les esgourdes par un allumé pareil. Se faire traverser le crane par les glissandos en stéréo de Eruption. N'en parlons plus, on va se faire du mal. 

C'est bien tout le problème de ce foutu concept à la con, d'ailleurs. Se faire du mal. Pour qui ? Pourquoi ? Assez tergiversé, aussi mauvaise soit-elle, l'idée est là. De Thin Lizzy, je choisis Nightlife. Et puis c'est marre. O putain, j'ai pas fini d'écrire ça que Romeo and the lonely girl me trotte à l'esprit, Waiting for an alibi me grince jusque pendant la nuit, Fight or fall, Emerald, Little girl in bloom, The rocker, Got to give it up, Suicide...STOP ! Nightlife, j'ai dit.





Une des grandes qualités de Thin Lizzy, au delà de vous fendre le crâne et le cœur sans vous faire perdre le sourire, est d'être funky. Je pourrais même parler de Soul, si on n'avait pas affaire à de tels débauchés. Prenez She knows, un riff léger comme une plume de piaf qui virevolte dans l'air printanier de l'automne (licence poétique®), légèreté, délicatesse, fluidité, et là dessus, cette voix. Celle de Phil Lynott. Unique, reconnaissable entre toutes, combative dans la douleur, farouche dans l'euphorie. Cool. C'est ça, cool. Phil Lynott est cool comme Fonzie. Il est ce gars qui en a vu d'autres, et des pas rose. Gamin noir métissé, dans les années 50, en Irlande, père aux abonnés absents, élevé par une mère blanche et célibataire... Ça ne manquait jamais de mal parler dans le voisinage. Et à sa maman, il lui écrit des chansons, Phil Lynott. Et des belles. Philomena, c'est sur Nightlife qu'elle se trouve. Cette chanson là est celle sur laquelle sont fondés les standards à venir du groupe. Elle porte le prénom de sa mère, et c'est ce qu'elle est, la matrice originelle. Philomena ne dispense pas des variations turbulentes qui vont se nourrir à son sein, pourtant si je dois n'en garder qu'une, ce sera elle. 


C'est aussi sur Nightlife que se trouve Still in love with you, le slow d'avant les slows qui tuent placés systématiquement sur tout disque de hard rock qui se respecte. Ici avec Gary Moore à la guitare frisson et Frankie Miller pour partager le micro, comme on partage un verre de trop avec un pote quand le blues cogne trop fort dans la poitrine. C'est le seul titre sur lequel apparait Gary Moore, il reviendra plus tard, ailleurs, mais sur Nightlife, pour la première fois, c'est la paire maléfique qui est à l'œuvre; Scott Gorham et Brian Robertson. Le plus beau duo de guitaristes jamais assemblé. Plus imaginatifs que Collins et Rossington, plus assassins que Wagner et Hunter, Gorham et Robertson c'est le nectar des guitar heroes. Sur ce disque de miel et de clous, ils entrent par la porte, ressortent par la cheminée, fracassent les fenêtres, ils sont partout sans jamais encombrer. Et sur Philomena, encore, ils fusionnent pour dessiner une signature qui deviendra la leur.


Nightlife n'est pas le plus ravageur des albums de Thin Lizzy, loin s'en faut, ça n'empêchera pas Sha-la-la d'être la plus redoutable des cartouches à balancer en rappel, après deux heures de show incendiaire elle faisait toujours office de coup fatal. En elle se trouvent les ingrédients qui feront le festin Johnny The Fox. C'est la grande force de Nightlife que de contenir les germes de ce qui viendra, mais aussi beaucoup de choses que l'on n'entendra plus ensuite. Frankie Carroll et son piano/voix, Nightlife et son jazz/blues élégant soutenu par des violons encanaillés, She knows au feeling Stephen Stills, Banshee parenthèse entre guitares ciel étoilé, parmi lesquelles celle de Phil Lynott qui délaisse ce court instant sa quatre cordes. Showdown, aussi, avec ses chœurs féminins et son groove nocturne nourrit de percussions, un peu version lente de Don't believe a word, un peu chat de gouttière façon Dancing in the moonlight, et pourtant tellement unique.

Alors oui, dans la vie il n'y a pas idée plus conne que d'imaginer pouvoir se séparer de ne serait-ce qu'un seul disque de Thin Lizzy, mais Nightlife c'est jusque dans la tombe que je l'emporterai.


Hugo Spanky


12 commentaires:

  1. Tes petits papiers sont toujours aussi captivants.
    Tous les disques de Thin Lizzy sont hautement recommandables.
    En tant que paire de gratteux maousse costaude, tu avoueras que Sykes/Gorham c'était aussi de la nitroglycérine !
    Et puisqu'on évoque l'histoire de Lizzy, il serait bien d'évoquer leur tout premier guitariste : Eric Bell. Un gaillard qui faisait chanter sa 6-cordes comme personne. À découvrir, notamment sur le sublimissime "Vagabonds of the Western World" de 73.
    Bye Eddie et un immense coup de chapeau à monsieur Lynott. S'ils se font un bœuf là-haut, ça doit déménager sévère !

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    1. Je trouve même que Thunder and lightning a super bien vieilli. Les compositions sont magnifiques et le contraste chaud/froid qu'ils avaient chopé avec la modernité de la production, des claviers de Darren Wharton et du jeu de Sykes d'un côté et le Thin Lizzy éternel incarné par les trois autres de l'autre inaugurait une nouvelle ère prometteuse. Hélas on connait la fin de l'histoire.

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  2. En choisir qu'un seul : jamais Mr Spanky !

    Vous entendez ? JAMAIS, mécréant !!!

    Je garde tout - même Renegade - ; je suis un mordu je vous dis. Et en plus, pour faire bonne mesure, je rajoute également les deux albums solo mal aimés de mon Phil adoré.

    Lynott & Co., c'est le nectar du métal : le mélange parfait de puissance et de mélodies servis par des textes percutants et signifiants.

    HARRY MAX

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    1. Hahaha ))))
      Je vois que mon petit jeu torture ton esprit fatigué !
      La fièvre te rend fébrile à la simple idée que je puisse venir confisquer tes précieux Thin Lizzy, ne t'accordant, avant d'abattre mon courroux sur tes étagères de cd, qu'une poignée de secondes pour choisir le SEUL d'entre tous que dans ma miséricorde je te laisserais conserver !!! ))))

      Renegade, dis-tu ? Je n'ai jamais compris pourquoi il était aussi mal aimé (un bide même en Angleterre), c'est un de mes favoris. C'est d'ailleurs surement celui qui se rapproche le plus dans sa variété de tons de Nightlife. Fats, Mexican blood, No one told him, It's getting dangerous quelle fabuleuse face B, entamée à plein régime par Hollywood, un single qui aurait dû fracasser la casbah ! Vraiment, je ne pige pas.

      Renegade est aussi l'album qui par sa diversité et son utilisation de quelques sonorités nouvelles se rapproche des deux albums solo de Phil Lynott qui sont des foutus chef d’œuvres ! Solo in Soho, je l'ai peut être écouté plus encore que n'importe quel album de Lizzy (et c'est pas peu dire), et The Philip Lynott Album est quasiment tout aussi épatant. Les compositions sont irréprochables et l'habillage sonore qui a pu offusquer quelques esprits sectaires m'a conforté dans ma quête de sons différents. C'était un disque dans l'esprit de ce que Mick Jones fera quelques mois plus tard avec BAD, il suffit d'écouter les collages sur Gino (sans doute pas un hasard quand on sait à quel point il est fan de Thin Lizzy).
      J'ai un instant pensé à sélectionner un de ces deux là pour cette chronique.

      A tout dire, le seul album que je trouve un cran en dessous des autres, c'est Chinatown. Justement parce qu'il ne va pas assez loin dans le renouveau amorcé sur Black Rose. Mais quand on pense que tous ces disques sortaient à seulement un an d'intervalle et qu'il en faisait en solo entre temps tout en alignant les concerts, et trouvait encore le temps d'enregistrer So Alone avec Johnny Thunders et de foutre le barouf dans les clubs avec les Greedy Bastards... Il devient difficile dans ces conditions de reprocher un léger manque d'inspiration. Encore moins quand on voit les merdes qu'on nous pond maintenant en faisant un disque tous les cinq ans.)))

      Nightlife ! Faites votre choix. )))

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  3. Aaaahhh... J'adore cet album. Je le trouve même plus savoureux que "Bad Reputation" ou "Jimmy the Fox". L'album injustement oublié - ou simplement mésestimée - de Thin Lizzy, probablement parce que c'est le premier de la nouvelle mouture. Il y a pourtant une richesse, avec de relatives prises de risques, que l'on ne retrouva pas toujours par la suite.
    Thin Lizzy fait définitivement partie des grands des années 70.

    Et oui, "Renegade" ! Pourquoi n'a-t'il pas eu droit à sa version Deluxe ? "Mexican Blood", quel délice !

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  4. "Night life" est un très grand disque par un très grand groupe dont j'aime aussi les premiers opus en trio.
    J'en connais un autre du même nom, c'est le "night life" de Ray Price, (écrit par Willy Nelson" évidemment).
    Une autre pure merveille de la country.

    Phil Lynott qui avait du goût y fait réference au début de sa chanson :

    "The night life ain't no good life, but it's my life."

    https://www.youtube.com/watch?v=ZjvV37t5UIU

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    1. Je signe le com ci dessus : Serge

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    2. Sublime morceau, merci Serge, je ne le connaissais pas du tout.

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    3. Ha, bin, ouais... Et dans l'intro, Phil réplique les note de la basse. Bien joué.

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  5. oui, bon ça me rappel des souvenirs....

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  6. Haaa quand même un peu de temps, un peu de relecture, une écoute album complet, une deuxième, je l'avais fait il y a quelques jours. L'idée du disque d'avant, celui où les idées des suivants sont là mais pas encore bien perçus par le créateur qui apprendra à mieux les exploiter mais du coup moins de défriches, dans des genres différents je pense à "Fear Of Music" des Talking Heads ou "Fresh Fruit" des Kid Creole.
    En écoutant le tout, je pensais que c'est une grande claque, une grande classe, qui va me faire revenir - qui sait - au seul vinyle que je possède mais que je n'ai pas su aimer à l'époque "Johnny the Fox" . L'impossible Tiquette "Hard Rock" "Heavy Metal"... je te dis pas le quiproquo. C'est crâneur sans effets inutiles, c'est un plein d'idées par titre, je cherche mes mots. Je pensais aux grands moments des Allman Bros quand soudain l'image d'aristocrates vient à l'esprit sans trop saisir pourquoi. Même pas une posture, du naturel.
    Hop trois titres déjà pour ma compil vélo, avec des titres comme ça j'ai l'air moins con sur ce vélo sans roue. ("Moins" j'ai dit!!)
    Au fait tu as entendu le dernier.... naan je déconne ;-)

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    1. C'est ça, fais moi passer pour un rétrograde incapable d'apprécier la moindre nouveauté )))) Le sommaire de ce blog parle pour moi...))))
      Tu cites Fear of music, je l'ai écouté pas plus tard qu'hier, peut être est-ce Bashung qui nous l'a mis à l'esprit, en tout cas il a pris un méchant coup de vieux, j'ai lâché l'affaire avant la fin. Le Kid par contre, aucun risque de la sorte, Fresh fruit, comme la plupart de ses disques, conserve toutes ses qualités. On devrait parler plus souvent d'August Darnell, assurément un grand monsieur.
      Et donc Johnny the fox te faisait craindre le pire ? C'est une merveille gorgée de feeling, exactement comme tu le décris. Aristocrates ? Je confirme.
      Welcome back Antoine !

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