mercredi 20 janvier 2021

PHiL SPeCToR


J'ai lu tellement de conneries sur Phil Spector depuis sa mort que j'ai ressorti Let It Be Naked de l'étagère où il prenait la poussière pour vérifier mon impression d'époque sur ce fameux disque qui, en débarrassant l'ultime parution des Beatles de sa post-production, devait démontrer à quel point Spector les avait dénaturé. Du moins selon Paul McCartney. Le disque a depuis retrouvé sa place et j'ai renoncé à polémiquer avec quiconque est capable de préférer ce soufflé raplapla à la pièce montée spectorienne d'origine. Qu'on vienne pas me saouler avec The long and winding road, ce titre n'a besoin d'aucun artifice pour être une mélasse. Et Across the universe sans les chœurs n'existe pas, vu qu'on les chante même quand ils n'y sont pas. Manière de signifier leur approbation Lennon et Harrison avaient très vite réquisitionné Spector pour leurs projets solos, mais que de son côté McCartney ait fait un calcaire, je peux le comprendre, question d'égo. Alors en plein dans sa période leader maximo, McCartney ne pouvait que trouver saumâtre que ce farceur de Lennon valide les bandes sans même prendre la peine de lui en parler. Il n'empêche que l'argument Spector est nul, il a mis des violons sur ma chanson, venant du mec qui a signé Yesterday, j'ai des réserves quant à sa crédibilité.

 





Bref. Il faut aussi être lucide, les productions Spector du début des sixties, celles de son âge d'or commercial, ont été chahuté par le temps, pour la raison toute simple qu'elles étaient spécifiquement conçues pour être écoutées sur les équipements d'alors, mono et peu puissants. Elles utilisaient mille artifices pour s'extraire du flot que déversaient les radios, pour faire vibrer comme aucune autre le haut parleur des valises électrophones. Un peu comme la compression de nos jours. Sauf qu'il ne suffisait pas de sélectionner une option sur la console, fallait inventer, innover, exiger, ériger. Savoir s'entourer aussi (Jack Nitzsche, Sonny Bono). Et puis soyons clair, si le wall of sound transféré en numérique, raboté en mp3, sonne bizarre aux oreilles formatées de nos sinistres années en cours, il n'en demeure pas moins que les chansons transcendent l'habillage, To know him is to love him, Be my baby, Walking in the rain, Baby I love you, Then he kissed me, Spanish Harlem, He hit me (and it felt like a kiss), Unchained melody, Ebb tide...il n'y aura eu guère que les Shirelles et le nectar de Motown pour leur faire de l'ombre.

Son chef d’œuvre absolu, sa signature pour l'éternité, n'est pas River deep mountain high par Ike & Tina Turner en 1966 comme le veut la légende, mais You're lost that lovin' feelin' par les Righteous Brothers avec lequel il atteint tous les sommets deux ans plus tôt. De ce côté là rien n'a changé, le titre est aussi intouchable aujourd'hui qu'hier, étourdissant de beauté.

 




Ensuite, c'est avec Lennon qu'il se réinvente dans la contrainte, minimalisme primal oblige, Instant karma et bien sur l'album du Plastic Ono Band, puis Imagine, Some Time in New York City et My sweet lord avec Harrison pour couronner son comeback en haut des charts. Cette seconde partie de carrière sera moins prolifique, Spector est un homme de singles et la mode est alors aux 33tours ce qui le perturbe quelque peu, mais elle sera encore riche en disques façonnés pour accompagner toute une vie (Leonard Cohen, Dion, Ramones). Elle sera aussi ponctuée d'intenses péripéties flirtant avec une folie furieuse de plus en plus affirmée (l'enregistrement de Rock'N'Roll pourrait à lui seul justifier un roman) et trouvera sa conclusion avec le Season Of Glass de Yoko Ono, un disque maculé de sang, ponctué de coup de feu.

 


La fin de l'histoire est un chapitre supplémentaire à ajouter au sommaire de Hollywood Babylone, le producteur fou et l'actrice ratée s'anéantissent mutuellement au terme d'une nuit de trop à fuir une réalité contre laquelle on ne gagne jamais. S'étriper sur le sujet ne sert à rien sinon alimenter des réseaux qui n'ont de sociaux que le nom, Phil Spector est mort en prison en payant sa dette. A nous d'honorer la notre.


Hugo Spanky

Spector, le film


21 commentaires:

  1. La photo de Leonard Cohen et Spector en vaut mille 😂

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  2. Marrant, cette fameuse période des 60, me donnait l'impression que Phil Spector était un grand de la composition, de la mélodie et bien entendu de la production, c'est seulement aujourd'hui que je me penche sur qui a composé quoi et en fait c'est souvent un collectif, le collectif Brill Building toujours.
    Perso c'est ce que je raconte, passé de quasiment ne rien connaître de lui à un coffret bourré de pépites, un choc. "You Baby" aussi pour completer ta liste.
    Son chef d'oeuvre? Je suis bien incapable de sortir un titre du lot, l'avantage de ton papier c'est de m'avoir fait écouté le titre "You've Lost That Lovin' Feelin'"
    Occasion de parler de cet album "Born To Be Together, The Songs Of Barry Mann & Cynthia Weil" histoire de mettre en avant quelques noms de compositeurs (You've Lost That Lovin' Feelin', You Baby justement, Born To Be Together, On Broadway etc..."
    A part ça? J'imagine bien l'ego McCartney face à un Spector habitué à des interprètes et compositeurs davantage dociles.
    Tu parles d'une histoire à écrire pour ROCK & ROLL... justement, ça existe des écrits sur le Phil ou le Brill Building aussi, histoire de dire que la POP existait aussi avant les Beatles...

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    1. Et lorsque l'on parle des origines de la Pop n’oublions pas Buddy Holly qui à lui tout seul en a bâti les bases que ce soit en terme de compositions ou d'enregistrement (avec des moyens encore plus rachitiques).

      L'importance du Brill Building (et de Tin pan alley avant lui) est indéniable. Connu pour être capable de pronostiquer quelle place occuperait une chanson dans les charts, le premier talent de Spector fut son flair imparable pour savoir quelle composition piocher dans le catalogue d'édition du Brill Building et sur quels compositeurs s'appuyer. Il a ainsi révélé beaucoup de ceux qui allaient faire les sixties et dans le cas de Carole King une bonne partie de la suite puisqu'elle fut parmi les pionniers de la vague d'albums qui établirent dans les 70's le genre auteur/compositeur du rock dit adulte (James Taylor, Randy Newman...).
      Son apport aux techniques de studio est également primordial, même si le résultat à vieilli il n'empêche que beaucoup des principes qu'il a établi ont perduré jusqu'à la transition au numérique. Il a aussi su s'entourer et faire progresser en modernisant leur approche bon nombre de musiciens de studio ainsi que les ingénieurs qu'il faisait cohabiter avec des innovateurs tel que Jack Nitzsche.
      Pour faire simple, il a inventé le rôle de producteur tout puissant qui va dans la décennie suivante amener l'éclosion de gens comme Bob Ezrin, Tony Visconti et une dizaine d'autres.
      A tout ça s'ajoute son indépendance à tous les niveaux (création d'un label inclut) et une attitude face au business qui explique l'absence de soutien lorsque les temps deviendront difficiles.

      Le drame de Spector est que la postérité retiendra finalement ses déboires plus que son génie. C'est le déferlement d'insultes déversé sur twitter le jour de sa mort qui a motivé mon papier, comme souvent de nos jours on juge et condamne une personnalité non pas à la lumière de son contexte mais du notre. J'ai voulu contrebalancer un peu la donne et ça m'a fait plaisir de voir que tu avais eu la même approche de ton côté. Mais quelque chose me dit qu'on n'a pas fini de lire des âneries sur lui.)))

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    2. Et aussi. Pour ce qui est de désigner un chef d’œuvre ultime qui sublime tout le reste, je reconnais volontiers que c'est parfaitement subjectif. You've lost that lovin' feelin' en particulier et les Righteous Brothers en général me paraissent être le véhicule idéal pour la démesure de Spector, ils amènent une dramaturgie qui élève le résultat dans un registre qui selon moi dépasse le simple cadre de la Pop. C'est un poison à infusion lente.

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    3. Pour rebondir sur le sujet des compositeurs d'airain, je conseille le chouette film Grace of my heart d'Allison Anders qui s'inspire justement du parcours de Carole King.
      Quant à Spector, grâce à lui, j'ai réussi à aimer un album de Leonard Cohen qui, comme de bien entendu, est celui que tout le monde vilipende...

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    4. Suivi d'un autre rebond... Je crois que la dame dans ce film chante "God, give me strenght" une chanson de ... Elvis... Costello. Je crois hein!

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    5. Costello et aussi un impeccable casting sans la moindre faute de goût avec la trop rare Illeana Douglas. Bonne idée d'évoquer ce bijou. Par contre le film avec Al Pacino sur l'affaire Spector est plutôt moyen, même si je pense qu'il vaut le coup d'être vu.

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    6. Inconnu et terriblement attirant. Je vais chercher voir (ou l'inverse) si il se trouve sur le Web.... Son titre? "Phil Spector" ... bien, facile à retenir.

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    7. Rien que pour Pacino portant les perruques de Spector, ça mérite d'être vu ))) Je ne l'ai pas conservé hélas, par contre j'ai Grace of my heart (avec les sous titres) si l'envie te prend de le revoir.

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    8. Cool je viens de recevoir le Spector. Pour le "Grace..." il faudrait que je le reprenne à la médiathèque. Merci en tout cas!!

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    9. Grace of my heart je te l'ai envoyé sur dropbox, tu l'as pas eu ?

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    10. Je me branche sur la DROP, elle n'est pas rattachée à mon PC pro... je regarde

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    11. En fait non, du moins je ne le vois pas comme "Pas encore ajouté" et je vois YOKO ONO en "pas encore ajouté" bizarre, je pensais l'avoir pris. Mais pas de film, peut-être plus assez d'espace chez moi? Je vérifie

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    12. Le film a disparu de ma box, peut être que j'ai merdé, ça serait qu'à moitié étonnant. Je recommence, il devrait être dispo d'ici la fin de la journée.

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  3. Ça dégomme sévère ces derniers temps !

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  4. On sait où aller pour lire autre chose que des conneries sur Spector, ou autres d'ailleurs, perso j'ai plusieurs adresses...
    Appropriation, c'est le mot-clé pour ce genre de personnage.
    Comme tu l'écris on voit ce que ça donne quand c'est le ''grand public'' qui s'en mêle, sans mépris aucun, c'est con mais c'est comme ça, pour le reste chacun la sienne.
    Pour moi Spector c'était de la littérature (au vrai sens du terme) jusqu'à End Of The Century qui m'a permis d'avoir enfin MON avis sur la question, même si le Lennon m'avait titillé auparavant mais bon, j'étais un peu jeune.

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    1. C'est clair que chercher de l'expertise musicale objective sur twitter décèle de ma part une certaine envie de distribuer des gnons ))) Y chercher de l'objectivité tout court est déjà une grossière erreur, je te l'accorde volontiers. Le grand public et tout ça, je pige, même si Spector à la base c'est pas Joy Division mais plutôt un truc très populaire justement. Bon, on va dire que les temps ont changé, les spécialistes d'aujourd'hui ont des opinions de grands-mères d'alors. C'est là dessus que j'ai démarré, quand fans et quidams s'approprient les ergots dressés de leurs idoles sans trop en comprendre l'origine ça donne vite du grand n'importe quoi dont le débat Let it be naked me semblait être un bon exemple (c'est du moins celui qu'ils avaient choisi pour s'étriper).
      Au passage, je prendrais bien ton avis sur End of century.

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  5. C'est sûr qu'on voit très bien le génie et la modernite de You've lost that loving feeling. Pareil, River deep mountain high est impressionnant. Mais en fait, je crois que la plus grande réussite est be my baby, justement parce que c'est moins impressionnant. Les 2 premières (même si je partage ton avis) en mette plein la vue et on sent qu'il veut en faire ses chefs d'oeuvre absolus (ce qu'elles sont). Mais Be my baby, c'est autre chose, c'est l'évidence mélodique, un truc qui a dû flotter dans l'air depuis des siècles sans que personne ne le trouve. De la pop pure, en quelque sorte.

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    1. Je suis d'accord avec toi, Be my baby est d'une telle évidence qu'elle parait avoir toujours existé. Certaines chansons de Motown, des Shirelles, des Shangri-Las donnent aussi cette impression, on en revient au Brill Building qu'évoque Antoine et au talent des compositeurs.
      Au moment de Be my baby Spector exprime les sentiments adolescents d'une romance naissante, à l'inverse avec You've lost that loving feeling, il souligne des sentiments plus adultes d'amours brisés. Son génie étant que dans les deux cas la musique les incarne de façon sublime et impeccablement adéquate. L'exaltation pop cède la place à une démesure outrée chargée de la tristesse la plus profonde. Sur You've lost that loving feeling on entend quasiment la vaisselle voler et les meubles se briser )))

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    2. J'ai rééecouté You've lost that loving feeling. Je reste un peu sur ma réserve (même si c'est un grand titre) mais, au niveau arrangement, un titre comme A change is gonna come m'impressionne plus aujourd'hui, alors qu'il est de 1964. Je trouve qu'il en fait trop, c'est effectivement "outré" comme tu dis, ce qui bloque à mon sens une partie de l'émotion qu'il veut dégager.

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