samedi 12 janvier 2013

caFé & ciGaReTTeS



Les riffs de guitares saturés, les tempos rapides, m'ont fait marrer un temps. Celui des surboums. Mais avec l'age où s'amuser seul ne suffit plus viennent les premiers moments de spleen, les aurores embrumées sur les berges de la Garonne à entendre mourir les chevaux, du temps où les abattoirs côtoyaient mon bar préféré et déversaient leurs sangs dans les flots boueux. De ces moments qui vous donnent le goût de la soie, l'irrépréhensible besoin d'entendre une ballade, une vraie. Une de ces chansons qui plus jamais ne vous quittera.

En ces mots, je n'évoque pas la chose pop, je serai clair sur ce point, lorsque je cause ballade je fais dans la distinction, j'épure à l’extrême. Autant dire que les anglais passent à la trappe direct. Si je prends la parole ce n'est pas pour causer de faibles mélopées au chagrin modeste, mais pour évoquer l'Homme dans sa part la plus désespérée, celle où se loge les souffrances que rien n’amoindrit. C'est ainsi, je ne m'attache qu'à ceux qui savent soigner leurs émotions, les exprimer de sorte qu'elles deviennent miennes.

La ballade n'est pas un slow mou du genoux prétexte à des tripotages aussi divers que déplacés, la ballade est une affaire intime, l'évocation d'une blessure, une confidence à l'oreille, un truc à en faire dégueuler le cendrier.


Il peut rock'n'roller de tout son saoul, c'est dans sa capacité à évoquer l'odeur du tabac froid qu'un chanteur se sublime. Ou se ramasse à la pelle. Elvis, Gene Vincent, Sam Cooke, Otis Redding doivent leur immortalité à Love me, Unchained melody, Sad mood, Coffee & cigarettes et des dizaines d'autres friandises tout de rose poudrées. Délicieuses tortures. Jerry Lee Lewis s'il est surnommé le Killer c'est aussi pour la façon qu'il a de vous planter les banderilles dans l'épiderme. Impérial dans les ballades country, l'auteur de Great balls of fire reste avant tout le plus bel interprète de Middle age crazy.

Le critère est valable même pour les plus retors. Pas de Ramones sans I remember you, Pet semetary, She talks to rainbow. Je me contrefoutrai d'apprendre que je n'entendrai plus jamais Born to lose de ma vie, cela pourrait même me réjouir mais qu'on ne me prive jamais de It's not enough. Pas de Johnny Thunders sans I only wrote this song for you, Diary for a lover, Two times loser.

Qui peut encore se fader les Stray cats de Sexy & 17 ? Alors que leur I won't stand in your way devient plus beau et patiné à chaque écoute. Même le talentueusement turbulent Hank III se déguste avec plus de délectation encore dès qu'il tombe le cuir et envoie l'émotion, Country heroes et tout récemment Ghost to a ghost, le désignent comme notre plus précieux espoir, peut être bien le seul.


Et puis il y a les orfèvres du genre, les cadors de la pupille humide, en tête desquels Bruce Springsteen, Bob Seger, Chris Isaak et trop de chanteurs Country pour n'en citer que quelques-uns.

D'abord sombre et torturé le temps de l'intouchable Silvertone, Chris Isaak héritier de Roy Orbison et Buddy Holly deviendra dès son magnifique Forever blue fataliste mais apaisé. Comme chacun de nous. C'est l'un des charmes des ballades, elles vieillissent avec vous, prennent un sens nouveau. La ballade c'est cœur et âme, et même l'auto-proclamé Sex machine, James Brown, ne tutoiera jamais autant le sommet qu'avec son ode à la Femme, It's a man's man's world. La ballade c'est le feu du désir plus que la satisfaction d'une excitation assouvie. C'est l'éternel face au consommable, les bras serrés plutôt que les jambes ouvertes en quelque sorte. La ballade c'est la confirmation que se préférer seul que mal accompagné n'exclut pas la douleur.


Et en matière de douleur, Bruce Springsteen se pose là. Avec l'homme du New Jersey la rivière est asséchée, les usines sont fermées, les destins piétinés, les promesses rompues. Lorsque le boss fait du tourisme c'est destination le Nebraska pas la Floride. Bruce Springsteen c'est l'obscurité totale directement venue des plus grands de la Country, un Hank Williams à forte transpiration. Les rares fois où il cherche l'interrupteur, c'est vers dieu qu'il se tourne.
Bob Seger c'est les petits matins à la gare routière, quand le café ne réchauffe que le palais. Jody girl, Against the wind, Beautiful loser, Fire lake, No man's land, Turn the page, Good for me, argh, n'oublions jamais Bob Seger. Encore moins en hiver.





Surtout, il y a le Doo Wop et ses dérivés, l'Eden, un morceau de paradis arraché aux étoiles. Les mélodies y virevoltent comme des flocons de neige, toutes plus scintillantes les unes que les autres. Beauté et poésie, Stand by me et Tracks of my tears, des milliers d'autres d'autant d'artistes parfois éphémères mais jamais dispensables. Chopez vous ces vielles compilations vinyle des 70's, elles recèlent de trésors. Rassasiez-vous de Doo wop, des Girls groups, Motown, Atlantic, Aznavour, Mink DeVille, la musique délicate drapée de velours rose et d'amours rouge sang. 
Des chansons comme il n'y en aura peut être plus jamais. This magic moment, Over the rainbow, Don't play that song, You really got a hold on me, Teardrops must fall, You better move on, You'll lose a good thing, Under the broadwalk, Heart & Soul, I broke that promise, La plus belle pour aller danser, Can't do without it, My girl, Who's lovin you, jusqu'à l'infini.
Bénis soient ceux qui en ont écrit autant afin que je ne me lasse jamais d'aucune.




Enfin, au dessus de tout ça, il y a Frank Sinatra. L'Original one, celui par qui le scandale arrive, l'homme qui a survécu à tout et à toutes. Il en tirera It was a very good year, la plus belle d'un répertoire pourtant fortement chargé en romance, jamais mélodie n'aura eu meilleure voix. 
Sinatra, c'est les bars où l'on va seul pour ne surtout rencontrer personne. Only the lonely. Une œuvre entière consacrée à la quête de l'inaccessible étoile.


Hugo Spanky

5 commentaires:

  1. Une belle livraison d'émotions en collissimo, je signe et le met bien au chaud, à gauche, tout près.

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  2. T'façon les anglais... à part nous refiler leur brouillard à la con et accessoirement les Stones, le bonheur des volants à droite et et et Oxford, bien sûr...

    Bref ! super papier Hugo !

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  3. je te retrouve mon loulou,heureux de te lire à nouveau avec ta sensibilité à fleur de peau:yes man vive HUGO!!!dja bises

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  4. En vieillissant, la ballade est devenue indispensable. Chez les auteurs récents, l'ombrageux Mark Lanegan a enregistré quelques magnifiques ballades crépusculaires. Celles de Calexico teintées de mélancolie tex-mex me font du bien. Costello, The Tindersticks, John Hiatt ou encore Paul Quinn ont gravé de bien belles choses.

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