La Défense Lincoln, vous avez vu ce film ? Réalisation neutre, scénario astucieux puisé dans un roman de Michael Connelly. Le protagoniste en chef est un avocat aux méthodes infaillibles que les évènements insistent à dépeindre en bad boy hissé, à force de malice, du caniveau jusqu'au prétoire. Il est flanqué d'une ex-épouse prompte à retrouver l'état liquide sitôt qu'il effleure son appétissant postérieur, l'indispensable buddy est un ancien flic à la cool qui devait être à Woodstock le jour de remise des diplômes, le méchant une parfaite tête à claques conforté dans son arrogance par sa maman bourrée de flouze. La victime est une pute en quête de repenti, et un innocent dort en prison parce qu'un mexicain qui se tape une pute en quête de repenti sans la tuer ensuite, ça n'existe pas. Vous suivez ?
Le héros, c'est Matthew McConaughey. Une belle gueule de héros, modèle Gary Cooper relifté sans ambiguïté pour nos années lisses. Pas de doute sur sa sexualité, il est si hétéro qu'on n'a même pas besoin de voir les nénés de Marisa Tomei pour s'en convaincre. Même si on le regrette un peu, beaucoup. Il traverse le film sans une tache sur sa chemise blanche, il est beau, intelligent, il pose à la perfection, il ne tremble devant personne, il est très intelligent et même très beau, et il est beau aussi.
La Défense Lincoln, vérifiez si vous voulez, promet énormément sans rien concrétiser. C'est d'autant plus rageant, qu'il eut été facile d'en tirer tout autre chose en offrant tout simplement le rôle principal à Michael Douglas. Pas une minute du film il n'a pas quitté mon esprit, mes rétines devenues alchimistes transformaient en or pur l’affligeante interprétation délivrée par McConaughey. Ainsi la rencontre avec la mère du suspect, que le fade bellâtre expédie en deux bons mots, devenait subitement irrespirable de tension sexuelle. Ce face à face sans saveur avec Frances Fisher, à qui Matthew McConaughey ne donne même pas l'occasion d'exister, aurait tracé une voie royale vers la nomination aux Oscars si seulement elle avait eu à la réplique un Michael Douglas métamorphosant cette scène soporifique en une version hardcore de rendez-vous en terre inconnue. Sueur lascive, plan serré sur cette femme troublée prête à s'offrir corps et âme pour sauver son fils dégénéré, révulsé de l'avoir découverte ligotée, dénudée et hurlante, abandonnée l'entrecuisse offert dans une maison déserte, victime d'un viol sauvage.

Un viol sauvage dans une maison déserte...un potentiel pareil et le film n'en fait rien. Bordel, refilez ça à Michael Douglas et il vous en fait oublier la scène déculottée de Basic Instinct. Michael Douglas est le seul acteur capable de voler la vedette à la chatte de Sharon Stone. En un regard paroxysmique planté dans celui de la toute puissante matrone, il aurait révélé le plaisir coupable ressenti par cet iceberg, soudain à la dérive, d'avoir été ainsi violemment défroquée. Un Oscar, je vous dis. D'un imperceptible mouvement de tête, on aurait capté que le fils dégénéré pourrait parfaitement être l'auteur du viol, vengeance du mépris que cette mère vénale lui a inculqué comme seul sentiment humain. Au lieu de quoi, le vide intersidéral. Matthew Mc Conaughley semble tout content d'avoir mouché la vioque, et c'est ça tout du long. Le gars ne regarde jamais aucun acteur dans les yeux, il fuit les réparties, ignore ses partenaires, se couche avant le coup de feu, s'avère incapable de mener à bien une scène de sexe et monologue sans fin avec la nuque de son chauffeur. Je soupçonne les seconds rôles d'avoir joué les scènes communes en son absence. Sa doublure à dû avoir un planning de tournage deux fois plus long que le sien. Résultat, j'ai viré le film et me suis concocté une sélection d'une toute autre tenue.
Dans La Guerre des Rose, Basic Instinct, Harcèlement, Liaison Fatale, Wall Street, j'en passe, Michael Douglas définit avec mesure et justesse une incarnation de l'homme moderne dans toute sa complexité. Avec lui, les irrésistibles stentors ne font définitivement plus le poids, l'heure est aux nuances, au flou sentimental. Dans Liaison Fatale, il fait naitre d'une histoire résumable en deux lignes (dont une consacrée au sexe) un insoutenable sentiment de culpabilité dans toute l'espèce masculine, en même temps qu'il fait peser sur les femmes un trouble sentiment de négligence. Michael Douglas est cet acteur qui réussi le tour de force d'être adulé par la gente féminine tout en lui faisant accepter l'idée que s'il se retrouve à crapahuter Glenn Close, c'est uniquement parce que sa femme ne le comble pas. Donnez une Femen à Michael Douglas et elle sera heureuse d'avoir une tenue de soubrette pour Noël. En inventant de toutes pièces cet être fragile sous sa carcasse d'homo novus, victime, osons le dire, d'une horde de harpies s'octroyant à coups de becs, à coups de griffes, ce qu'il reste de libido à un homme mutilé par les assauts égalitaire, Michael Douglas, en Christ hyper sexué rédempteur de nos pêchés lubriques, a projeté l'homme au plus profond de son enfer intime et l'en a fait rejaillir avec les roubignoles rutilantes d'un nouveau né.
Avant lui, tromper sa femme était la norme, tout au plus une forme d'insouciance du héros hollywoodien à laquelle John Wayne ajoutait volontiers quelques claques sonores sur les fesses d'une Maureen O'Hara toute épanouie d'être portée sur l'épaule tel un sac de patates. On en était là. Avant Michael Douglas. En osant incarner dans Harcèlement cet homme soumis par la domination totale d'une Demi Moore en capacité de réduire sa vie sociale et professionnelle en un amas de souffrances, Michael Douglas nous a allégé du fardeau de la responsabilité. Grace à lui l'impensable germa dans les esprits, il était soudain possible que l'agresseur soit une femme, qu'elle s'en vante et se pavane devant ses victimes avec la même arrogance que Jack Palance en des temps immémoriaux. Un film peut dès lors se finir sans que l’héroïne soit lavée de ses manigances, sans qu'elle se repente, et s'il reste encore une once d'espoir de survie à l'espèce mâle, on le doit à Michael Douglas qui, le dos griffé, le torse mordu, le sexe dressé malgré sa volonté farouche de ne pas succomber à l'appel du vice, sert d'ultime rempart à l'implacable génocide. Tandis que pendant ce temps là, Matthew McConaughley chope une gueule de bois après trois whisky Coca.

Variante dans le registre avec Chute Libre. Michael Douglas s'éloigne des rôles libidineux mais reste victime des femmes en donnant corps au burn out meurtrier d'un homme brisé par un divorce sadique et une mère intrusive qui ne brille pas franchement par son esprit. Son incarnation de D-Fens, un américain pur jus malmené par l'effondrement des valeurs traditionnelles, cousin de Travis Bickle, traverse Los Angeles en semant un maladroit chaos provoqué par le dégout que lui inspire une succession de personnages tous plus pathétiques les uns que les autres. Et lorsque dieu en personne (Robert Duvall pour les intimes) apporte une conclusion à son errance, c'est un peu de chacun de nous qui bascule dans la baie de Venice. Chute Libre c'est l'étape d'après, lorsque le sexe ne sert plus de soupape au trop plein de désespoir, lorsque plus rien ne retient la bête. Sous nos yeux impuissants, sans un rictus de trop, sans une once de cabotinage, Michael Douglas signe le portrait d'une personnalité en phase de dislocation, de cet instant de trop qui déclenche le processus jusqu'à l'inexorable délivrance.



A l'instar de Jane Fonda avec qui il partagea l'affiche d'un de ses premiers films significatifs, Michael Douglas a su, avec du temps et parfois en ruant dans les brancards, s'émanciper d'un géniteur que l'on peut qualifier sans exagération de légende. Malgré une crédibilité qui lui sera accordée avec plus ou moins d'entrain, il a contribué à l'émergence d'une nouvelle classe sociale, les Yuppies, favorisée financièrement, mais consciente du monde qui l'entoure. Ce seront les années No Nukes fédérées autour de l'incident de Three Miles Island, une prise de conscience du risque de pollution nucléaire symbolisée auprès du public par un concert réunissant le gotha du rock américain et le film de James Bridges, Le Syndrome Chinois. Depuis, Michael Douglas occupe une place ambivalente dans le monde du cinéma, jamais réellement intégré au Nouvel Hollywood (même si il fut producteur de plusieurs films du mouvement, de Vol au dessus d'un nid de coucou de Milos Forman à L'Idéaliste de Coppola), il s'est néanmoins gardé avec sagesse de se revendiquer membre de la dynastie hollywoodienne à laquelle son ADN aurait pu l'apparenter. Franc tireur, Michael Douglas le fut dès ses débuts, à un opportuniste tapis rouge il préféra faire ses classes à la télé dans Les Rues de San Francisco, puis dans des séries B entre dénonciation et anticipation d'où se distingue les excellents Morts Suspectes et La Nuit Des Juges. Il s'est ainsi tracé un parcours, que je revisite avec le même plaisir, peuplé de rôles à son image, celle d'un homme agité par ses contradictions, mais fidèle à ses convictions. Impeccablement humain.
Hugo Spanky