Je ne vais pas être précurseur, la série date de 2016, mais faut absolument que je vous signale l'existence de Fleabag. C'est un bijou. Le pitch est tout con, une nana célibataire, la trentaine, qui parle à la caméra en toutes occasions. Franchement, ça démarre comme un truc que j'allais pas aimer du tout. En plus c'est une série anglaise. Je sais même pas pourquoi j'ai téléchargé le premier épisode, par contre je sais pourquoi j'ai téléchargé les suivants. Fleabag déjoue tout les pronostiques. Le casting, impeccable, condition sine qua non, la soeur de Fleabag (c'est le surnom de l'héroïne), le mari de la soeur, la copine morte qui torpille la façade, embarque l'histoire ailleurs, à un autre niveau, fait ressembler les sourires à des grimaces, le père, la belle mère, le curé, les amants à moitié nazes, c'est dément, ils sont tous incroyablement définis, ciselés et interprétés avec talent et des physiques je vous dis que ça.
Il y a deux saisons de 6 épisodes de 25 minutes et pas un de plus, c'est frustrant tellement on s'attache. Il se passe un nombre incalculable de situations en si peu de temps, y a matière à réflêchir aussi. Le sens de la vie, sans prise de tête, on est sur le ton du stand up, ça se construit sur des détails et ça dérape sur des actes désinvoltes aux conséquences qu'on voit pas venir. La perception que l'on a des choses tord leur vérité. Comme dans un film de Robert Altman, quand les images racontent une histoire, tandis que les dialogues en content une autre. Dans la joie et la bonne humeur, ça se déchire tout doucement jusqu'à l'os.
L'actrice qui interprète la soeur est impayable, son mari, sosie d'Allen Ginsberg, m'a fait hésiter entre le gros con à baffer et le pauvre type pas totalement irrécupérable. Vous déciderez par vous même. La nana qui joue Fleabag (Phoebe Waller-Bridge) m'a scotché, elle fait tout passer d'un haussement de sourcils, d'abord simple conne qui pense avec son cul, ensuite un peu pareil sauf que notre regard change. C'est la force de la série, elle nous implique. Je ne peux pas en dire plus sans en dire trop, faites vous votre idée.
Deux doubles albums en six mois après 16 années de silence, on est habitué à tout, pas tellement à ça. Si les Red Hot Chili Peppers avec leur 40 ans au compteur peuvent apparaître comme des dinosaures, ils n'en sont pas moins les plus frais d'entre tous et assurément les seuls dont la créativité réserve encore quelques beaux soubresauts. Du moins tant que John Frusciante traine dans les parrages. Return of the dream canteen en est un de balèze, de soubresaut. La collection automne/hiver propose une luxuriance de nouveaux tons, on ne sait où donner de la feuille. D'abord un traitement du son époustouflant, le groupe ose l'électronique, sans doute sous l'influence de son guitariste dont les récents travaux en solo étaient orientés en ce sens. Que dire d'une merveille comme my cigarette sur laquelle un clavier sert de tapis rouge à un solo de saxophone si délicat que j'aurais juré qu'il s'agissait d'une clarinette si je n'avais pas les crédits sous le pif. Les interprétations ne révolutionnent pas ce qu'on sait d'eux, pourtant il y a une fraicheur dans les sonorités, une envie de ne pas se répéter, de mettre des touches de couleurs nouvelles sur le tableau. Il y a ce morceau qui me hante, handful, le genre qu'ils font en dormant depuis Stadium arcadium, pourtant l'habillage change, un cuivre discret amène un parfum mariachi. Ceux qui ont été frustrés par la discrétion de John Frusciante sur Unlimited love vont en avoir la bave aux lèvres, il illumine l'album de déchirures souveraines. Pas tant de longues escapades solitaires que de courbes et de délices aromatisés de mille épices. Handful en est un cas typique. Eddie, leur hommage au fil duquel Anthony Kiedis se met dans la peau d'Eddie Van Halen en est un autre dont le final à chaque écoute me file ma dose de frissons.
Une composition comme in the snow sidère par tout ce qu'elle véhicule, dire pour autant que les Red Hot ont pris des risques serait gratuit (qu'est ce qu'ils pourraient bien risquer, ils sont seuls à cette altitude) n'empêche qu'ils osent la nudité clavier/voix (lalalalala), maitrisent le single bontempi addictif (the drummer), sauvent du syndrome remplissage shoot me a smile d'un break astucieux et cisèlent des mécaniques que les arrangements s'amusent à dérégler. Je vais redire ce que vous savez déjà, John Frusciante est un orfèvre, sans aucun doute l'ultime personnage d'un roman peuplé de héros disparus, peace and love, carry me home, sans en faire des caisses, il maintient son groupe dans la course, lui confère sa légitimité, éloigne le spectre de la sclérose musicale qui plombe d'ici à l'horizon les vastes plaines de la pop music. Quoi d'autre ? Rick Rubin fait sonner les overdubs aussi live que la rythmique, les entrelacs de guitares, les bruitages, cuivres et claviers sont intégrés avec minutie. Le savoir-faire donne une impression d'extrème dépouillement là où une écoute attentive décèle d'insoupçonnées fioritures. Ainsi va ce groupe en vol plané. Agitateurs punkyfunky mal dégrossis devenus héritiers des enfants fleurs par la magie d'une Californie au spleen assumé, aux malédictions conjurées. Ils sont là, encore, et nous aussi. Fidèles à une rencontre sans rendez-vous, avec une histoire qui pourrait bien s'achever avec eux.
Hugo Spanky