L'Italie m'a régalé. Leur victoire m'a redonné le goût des célébrations. Et comme je fonctionne par association d'idées, je me suis mis à cogiter, me demander pourquoi je supporte l'Italie plutôt que l'Angleterre, alors que ma culture est largement anglo-saxonne. Ok, c'est territorial, l'Italie, les racines, l'enfance, le sud, mais quand même, j'ai braillé
Oh yeah I tell you somethin' I think you'll understand plus souvent que
Lasciatemi cantare con la chitarra in mano...Quoique
. Bah, si, quand même.
De fil en anguille, je me suis aussi demandé à quel point je n'avais pas tout faux depuis le début. Je veux dire Adriano Celentano, hein ? Depuis 1959 qu'il est là. Et les boots en cuir, c'est pas les pékino-chinois qui les ont pondu. Le plat préféré des Ramones ? Vous l'avez ? On est bien d'accord qu'on les a pas vu souvent se goinfrer de cassoulet. Pas plus que de fish'n'chips. On peut en aligner des similaires jusqu'à ce que fonde le dernier glacier. J'ai dit glacier ? Elles sont quoi les meilleures glaces de l'univers ? Ha! Vanille/Fraise, Pistache/Chocolat, certes, mais italiennes avant tout. Suffit que je dise ça pour que me vienne de douces hallucinations d'actrices à la croque-sel. Sans chichi, ni artifice. Du temps où le grand écran aimait les femmes. Ornella, Claudia, Silvia, Sophia, Gina, Silvana, Valeria.. Si Lou Bega cherche des rimes riches, il a de quoi faire.
La célébration, disais-je. Figurez-vous que j'accompagnais la conquête italienne de l'Europe au son d'un fantastique double cd de Yoko Ono entièrement remixé par des DJ's Techno, tendance extrémiste. Triple gifle avec effet rétroactif.
Onomix. Je ne vais pas vous bassiner avec, vous pouvez pas piger à quel stade d'addiction j'en suis. Aussi sec, j'ai dégainé l'artillerie lourde, en commençant par le coffret
The History of the House Sound of Chicago, une bestiole en 15 volumes qui part d'un Disco légèrement dévarié pour aboutir au mariage d'Edgar Varèse et Giorgio Moroder. Moroder comment ? Giorgio ?
Giovanni Giorgio Moroder pour être exact. Ben merde alors, un rital. Tout se tient. Le subconscient fait des miracles. Cette foutue vague Techno qu'on croyait venue de l'underground américain, Chicago, Detroit, New York avec résonnance via le Go-Go Funk de Washington et son
Drop the bomb (Trouble Funk) qui fournira bon nombre de cartouches aux samplers. Cette Techno que les anglais vont rendre comestible pour les masses en la parant d'attributs Pop, comme ils le font pour domestiquer chaque vague barbare abordant leurs rivages. La même Techno à laquelle, nous, hexagonaux que nous sommes, avons administré une sérieuse dose d'anesthésiant, dont on se vante au nom d'une French Touch qui ne fit que populariser nos pires tendances. De
Sexy boy à
L'été indien, il y a moins de distance qu'entre Prodigy et Public Enemy. On est comme ça, on ne passe pas les 8eme de finale, j'invente rien.
La Techno, première musique mondialiste sans appellation d'origine contrôlée, sorte de web d'avant gafa, trouverait donc sa source dans les alpes transalpines chères à nos cœurs de footballeurs sur canapé. Vous avez souvenir de l'ItaloDisco ? Ce genre qui déborda si peu loin de Vintimille qu'il fallut quelques croisés béatifiés pour l'expatrier en Germanie, afin de convertir le vaste monde à son minimalisme synthétique. Donna Summer, I feel love, pour une première éjaculation chimique, avant que le Cardinal Moroder ne contamine à profusion, sans qu'aucune distanciation sociale ne puisse lui barrer la route. Dès lors, le genre ne fera que renaître encore et toujours, cheap et entêtant, ritournelle Bontempi à 3 notes sur tempo samba martelé à coups de massue. Blackbox Ride on time, Double You Please don't go ou Boys boys boys de Sabrina indiqueront ponctuellement le chemin de Rome, mais c'est bien du monde entier que pleuvront les hits. Belgique Make my day (Pump up the jam) de Technotronic, Suède Crucified de Army Of Lovers, Deee Lite et leur Groove is in the heart new-yorkais, Angleterre, of course, mise sur orbite par le Pump up the volume de MAARS, Espagne Chimo Bayo Asi me gusta a mi (Extasy extano) mémorable dans le Jamon Jamon de Bigas Luna, Allemagne avec le surpuissant The power de Snap! Des centaines d'autres, plus éphémères, viendront nourrir les radios, les nuits de M6 et les magasins de sape. Sous estampilles Dance, Tecktonik, House, Jungle, Ambient, Makina, Trip Hop, Drum'n Bass, la Techno s'affiche, se proclame. Seuls les snobs useront de nuances, distinguant avec dédain les teintes jazzy ambient de Ian O'Brien des riffs cradingues de Prodigy, feront la fine bouche devant la Dance tellement Pop d'Army Of Lovers, dont l'album Massive Luxury Overdose n'a pourtant pas pris une ride. Perso, comme souvent, je me suis roulé dans la fange comme dans la soie. Merde alors, il se passait un truc rigolo et c'était diffusé en boucle à la télé. Il suffisait d'allumer le poste à n'importe quelle heure de la nuit pour achever la fête devant une ribambelle de clips tous plus outranciers et dingos les uns que les autres. Spin spin sugar de Sneaker Pimps, Elektrobank des Chemical Brothers -réalisé par Spike Jonze avec Sofia Coppola en vedette- Breathe, Poison, Firestarter, No good, Smack my bitch up, tous ceux de Prodigy faisaient des ravages, celui du Bentley's gonna sort you out de Bentley Rhythm Ace, What is love de Haddaway, les impayables Army Of Lovers ou I'm too sexy de Right Said Fred, je sais plus quoi encore, mais j'en ai fait des redescentes devant M6.
Derrière tout ce tapage, un mouvement prend forme. La New Wave anglaise se radicalise et se scinde, les poppeux d'un côté, qui continuent de l'être, et ceux qui, en regardant par dessus l'épaule de Big Audio Dynamite, découvrent Eric B & Rakim, Public Enemy, Beastie Boys, et à travers eux les techniques de production des Dust Brothers, du Bomb Squad, de Mario Caldato Jr. Prince, aussi, Controversy et 1999 marquent fortement les esprits, Something in the water (does not compute) faisant office de proue. Tout un univers auquel s'ajoute l'émancipation des DJ's qui, sous l'influence de Tom Moulton, imposent leurs griffes sur les disques qu'ils diffusent, modifiant à l'infini la structure des morceaux. Bentley Rhythm Ace, Prodigy, Ian O'Brien, Tricky, Propellerheads, Goldie, Chemical Brothers, tous anglais, réussissent la transition sur 33 tours, tandis qu'américains et canadiens préfèrent inonder les dancefloors de maxis semi anonymes sous patronymes codifiés pour initiés. Le DJ sert de tête de gondoles, le logo du label fait office de garantie. Les remix, club, dub, électro, radio edit, extended maestro master mix, font le bonheur des traqueurs de mixtapes, sur K7 puis CDr, les promotional only circulent de mains en mains. Les albums sont rares, souvent expérimentaux (Plastikman Sheet One), et il faut en passer par les compilations de mixes pour dénicher les tueries de chez Tribal, en commençant par la série Don't Techno For An Answer. Paradoxalement, mais peut être pas tant que ça, c'est aux States que le genre perdure. En restant dans une forme d'underground (tout est relatif dans un pays où la moindre niche musicale à ses propres charts), la musique électronique y a conservée sa spécificité marginale, loin de la récupération tout azimut qu'elle a connu en Europe en étant mise à toutes les sauces pour essorer un public de fanatiques. Les gosses, bien sur, mais dans leur cas c'est resté funky. Dance Machine 6 faisait moins de dégâts que le gaz hilarant, et j'ai adoré les voir se trimballer à la mode Tecktonik, ce mélange de Two-Tone et de fluo sortait le métro de sa grisaille. Là où ça a été moche, c'est quand Bjork, après un Violently happy bon à s'en arracher les poils du nez à la tenaille, a commencé à nous prendre pour des vaches à lait à coup de tirages limités, d'édition deluxe et autres vulgarités. Avec son petit doigt en l'air, l'islandaise a fait passer le genre de M6 à Arte et tout est devenu tellement guindé que ça en a été fini de la partie de rigolade. Lars Van Trier lui a collé une paire de double foyer, Vanity Fair a rappliqué, et on s'est fait mettre à la lourde.
Entre les playlists pour carré VIP d'un côté et les zadistes qui se récurent le cerveau dans les hangars de Bretagne de l'autre, j'ai eu vite fait de ne pas choisir. N'empêche que depuis, j'attends toujours qu'un autre mouvement vienne secouer le cocotier. Il parait que la Britpop c'était épatant, je ne devais pas être là.
Aujourd'hui les gays rêvent d'une vie dont les hétéros ne veulent plus, avec ça on n'est pas près de revoir l'exubérance des Techno-Parade traverser nos villes. Les temps changent, la marginalité ne se revendique plus. On a grandi en apprenant à être tolérant envers le copain qui aime les licornes roses, on nous demande maintenant de l'être envers ceux qui voudraient le passer à la Kalach. C'est quand même un drôle de concept le 21eme siècle.
Hugo Spanky