Quelle destinée que celle de 1999, d'abord amputé de moitié dans notre pays de la culture à sa sortie en 1982, le voilà qui revient en 2019 sous la forme d'un coffret de 10 vinyls !
Novateur, insolent, outrageux, génial, tous les superlatifs depuis longtemps associés au nom de Prince sont valables pour 1999, mirobolant double album et véritable point de départ des années 80 dans leur intense renouvellement des genres. Immédiatement repris, au rappel de chacun de leurs concerts, par Big Audio Dynamite, le morceau-titre de l'album est un de ces classiques instantanés dont Prince se fera l'expert. Ce n'est pas le premier, When you were mine, Uptown, Controversy occupent déjà ce terrain, ce sera l'un des plus mémorables, celui que l'on brandira 18 ans plus tard en franchissant le cap du nouveau siècle.
1999 est l'ultime disque cheap de Prince, dans le son des synthés Oberheim OB-X, dans celui de la Linn drum, dans la nudité de l'approche, dans les thèmes porno cartoon des virées du samedi soir, avant que sur Purple Rain les sentiments ne l'emportent, une ultime fois, mais de tout son souffle, 1999 hurle à la lune. L'inédit ultra bootlegué et vénéré des fans, Extraloveable, où il est question d'un viol assimilé à un jeu sexuel à la cruauté revendiquée, est d'ailleurs exclu du coffret pour un texte jugé indéfendable en nos temps hashtag MeToo où la censure est préconisée comme remède miracle. L'arrogante liberté de ton de Prince continue à choquer l'opinion près de 40 ans après les faits.
1999, donc. Disque qui en son temps ridiculise l'immobilisme des rockers, tandis qu'au sommet des charts les bananeux Stray Cats finissent d'enterrer l'affaire dans les clichés d'un revival de trop, Prince fait de Delirious un rockabilly pour l'avenir du futur. 1999 est l'album que le manque d'audace de Clash aura empêché Mick Jones de graver, celui qui fit basculer le glaive de la justice du côté américain de la balance. Cette fois encore, toutes les années 80 durant, comme vingt ans plus tôt, les anglais feront office de suiveurs. Du rock au mainstream, Prince montre comment exhausser le crossover avec le sémillant Little red Corvette, hit salace imparablement calibré pour exploser les FM. Ainsi va la première face d'un disque dont il serait présomptueux d'imaginer qu'il va se limiter à séduire.
La face B, en deux titres (Let's pretend we're married et DMSR) prend le funk par l'intime et lui administre son coup de frais le plus radical depuis le Sex machine de James Brown. Mais c'est le second disque qui propulse vers l'irréversible, sidère par son esthétique additionnant, sans jamais les fusionner, mais en exacerbant au contraire leurs caractéristiques propres, influences et sons venus de galaxies de prime abord lointaines, dont Prince, et c'est là son génie, à su percevoir qu'elles étaient jumelles. De Kraftwerk à la pulsation jubilatoire de Rick James, il n'y a finalement qu'un pas. Fini de se regarder en chien de faïence, place à la fornication. En six titres, Prince comble un vide sur lequel il ne sera plus question de se pencher à nouveau. Là encore, c'est un de ses mérites que d'avoir laissé 1999 orphelin, d'être passé à autre chose dès le disque suivant. 1999 se fiche des standards de durée, il déborde systématiquement dans les grandes largeurs, il exulte. Lady cab driver s'étire en dub de dancefloor, foudroyé par une fulgurante guitare, le flirt électronique de Something in the water ne devrait jamais finir, peut être la plus belle de toutes, qu'il ré-inventera plus tard dans une prodigieuse version live. Les 9mns en psychiatrie de Automatic, le techno-funkoïde All the critics love U in New York, c'est ici, encore et toujours, No-Wave, New-Wave, le pas en avant supplémentaire à celui déjà effectué par Chic prend toute sa faramineuse ampleur.
1999 Deluxe sort le 19 novembre 2019 en coffret 10 vinyls, ou 5 cd, dans les deux cas avec 1 dvd de l'intégralité du concert de Houston en 1982. L'album a été remasterisé, c'est la mode, honnêtement je ne vois pas ce qu'on peut lui apporter de plus, mais attendons de juger sur pièces si l'argument est fondé. Le même traitement à été appliqué aux versions singles (edit), à deux remix de Little red Corvette, une poignée de versions promo, ainsi qu'aux trois faces B hors album (Irresistible bitch, How come you don't call me anymore, Horny toad) qui se retrouvent à peupler un double disque supplémentaire qui ne fait pas particulièrement baver d'impatience. Tout ceci sera dispo dans un assemblage à moindre coût. Sauf qu'évidemment le coffret Super Deluxe sera le seul à renfermer ce qui fait déjà perdre son zen au plus bouddhiste des fans, à savoir deux doubles albums supplémentaires (4 LP!!!) constitués de 24 titres inédits directement issus du Vault et comme il se doit piochés dans les sessions de 1982 et 1983, dont une majorité n'aurait jamais fuité en bootleg. Si on y trouve quelques démos repiquées sur des cassettes (on sait que le terme démo n'a guère de sens concernant ce maniaque perfectionniste), bon nombre de ces inédits seraient des versions finalisées par Prince en son temps, avant d'être exclues du tracklisting original pour des raisons ne mettant pas en cause la qualité de titre tel que Lust U always, Purple music (11mns de funk intense) et dans une moindre mesure Do yourself a favor. D'autres morceaux étaient destinés à The Time (bold generation), la présence de Morris Day à la batterie en atteste, ou Vanity 6 (Money don't grow up on the trees, Vagina), on retrouvera également les versions originelles de Feel U up et Irresistible bitch que Prince réenregistrera entièrement des années plus tard et des prises alternatives dont on est en droit de se foutre. A vrai dire, rien de tout cela ne fait oublier l'absence de Extraloveable.
Un ultime double album est lui consacré au concert à Detroit de novembre 1982, deux mois après la sortie de 1999, alors que la tournée offrait une relecture par The Revolution des titres enregistrés comme à son habitude par Prince seul en studio.
Méfiez-vous de vos rêves, ils pourraient bien se réaliser. Celui-ci à un prix qui ne passe pas inaperçu dans le budget puisqu'il faudra débourser 190€ aux plus acharnés complétistes pour le coffret intégral ou 65€ pour celui tronqué des titres inédits, mais quand même doté des versions singles et de leurs faces B. Pour les plus raisonnés, les options CD sont plus abordables. Et pour l'essentiel, 1999 tel qu'en lui-même sera disponible dans sa forme initiale de double album.
Je laisse la conclusion à Prince, on n'a pas mieux résumé la situation depuis :
Lemme tell ya somethin'
If U didn't come 2 party,
Don't bother knockin' on my door
I got a lion in my pocket,
And baby he's ready 2 roar
Everybody's got a bomb,
We could all die any day
But before I'll let that happen,
I'll dance my life away
They say two thousand zero zero party over,
Oops out of time
So tonight we gonna party like it's 1999 !
Hugo Spanky