Quoi de mieux que la bande dessinée pour retracer le parcours d'Andy Warhol ? Aucune autre forme d'art ne permet de fusionner fantasmagorie et rigueur historique avec le même entrain. Le cinéma se confronte aux limites de l'interprétation conjuguées à l'exigence de ressemblance physique. Bowie s'y est collé avec un ridicule guindé pour le film sur Basquiat, décourageant par là même tout autre soupirant à la perruque peroxydée de l'insondable Andy.
Et c'est très bien ainsi.
Rester fidèle à l’illusoire, aborder les différents angles d'une vie dans sa globalité, exige un talent de contorsionniste qui s'additionne mal au cahier des charges des producteurs de blockbusters, et la littérature ne serait que pis-aller. Seule la bande dessinée peut déverser le flot visuel nécessaire pour irriguer nos esprits ankylosés, les soumettre à l'effort d'interprétation indispensable à une bonne compréhension du sujet tout en ne sombrant pas dans un académisme hors sujet.
Andy Warhol a travesti les codes révolus du temps de son enfance sous des apparats de modernité afin de leur assurer l'éternité. Les images qu'il imprimait dans nos rétines étaient aussi vivantes que le renard autour du cou d'une actrice aux rides outrageusement fardées, l'important était ailleurs. Toute sa vie, Warhol a artificiellement régénéré l'illusion enfantine de la beauté entrevue là où n'existait que désolation.
Le travail de Typex, impeccablement emballé comme un paquet de lessive, est fruit d'une sidérante minutie. Chaque épisode de la vie de Warhol dicte les contours du dessin, sa dynamique, sa clarté, ou leurs contraires. En renonçant à la prétention du style le dessinateur évolue dans les contraintes et parvient à conserver une unité à l'ensemble en le personnalisant à travers les techniques traditionnelles de la bédé. Il y a du grain, de la vie, de l'irrégularité, l'humain qui tient le crayon n'est pas lissé par logiciel. Les chapitres sont illustrés selon des critères graphiques qui leurs sont contemporains, traits gras, noirs, blancs et gris ou exaltation gros nez des couleurs, Typex ne s’effraie d'aucun défi. Il semble après coup évident qu'il fallait un dessinateur européen pour rendre justice avec un impeccable dosage au créateur le plus polonais d'Amérique. Ce ne fut pas tant parce qu'il usa d’icônes populaires qu'Andy Warhol parvint à interpeller jusqu'aux psychés les plus réfractaires à l'art, mais plutôt parce qu'il coulait de la même source qu'elles.
Andy Warhol a déverrouillé les galeries d'art en les remplaçant par des hangars aux murs aluminium, il a dézingué l'immobilisme de l'élite en lui abandonnant ronds de jambe et petits fours. Son faire-part signifiait que le temps était aux luminosités de néon, au mélange des fluides et des excréments. Et que pour en être, il allait falloir faire un tour dans la partie sauvage, celle où les corps agglutinés par la sueur prennent le pas sur les conventions, quitte à en ressortir criblé de balles ou le sang contaminé.
Andy Warhol, c'est l'individu qui décrète son existence sans lever le doigt pour en acquérir l'autorisation et se complait dans sa marginalité de strass décati. En s'entourant de ses fantasmes, il fait de la Factory une satire populaire de la décadence oisive des salons de la noblesse. Androgynie, sexualité, films, toiles, projection de soi, vide intersidéral, questionnement et remise en cause, micro sous le nez, réfléchi avant de parler, Warhol propose plus qu'il ne crée. Vampire ou géniteur, il pille, valide, consume. Dans son univers, où l'on meurt pour amuser la galerie, la présence définie le statut, l'incarnation supplante le naturel. Tout cela Typex, irrévérencieux et respectueux, le transcende de mille et unes façons dans un bloc de papier colorié de 500 pages aux tranches argentées, disponible un peu partout, grande distribution et petits détaillants, pour la modique somme de 35 euros. Il ne pouvait en être autrement sans trahir le sujet. Les astres sont alignés, pour cette fois la perfection est de mise.
Hugo Spanky