mercredi 6 décembre 2017

mardi 5 décembre 2017

I'm DYiNG uP HeRe



Tandis qu'en France Romain Bouteille permettait l'éclosion de la troupe du Café De La Gare, qui mènerait plus tard à celle du Splendid, à New-York le Catch A Rising Star de Rick Newman offrait un espace de liberté aux improvisations bileuses des orphelins de Lenny Bruce. Et s'il peut paraître ardu de comparer Christian Clavier à Bill Murray, ce n'est qu'à nous qu'il faut s'en prendre. Si nos grands noms de la comédie sont aussi ringardisés, s'il ne reste plus de Coluche que les restos du cœur, c'est parce que l'on a accepté de les voir se faire limer les crocs par le doux ronron de l'amitié politique. Pour un peu, on les aurait encouragé.
Quarante ans plus tard, nous en sommes à subventionner la médiocrité, tandis que les américains ont créé un modèle économique à partir de la crapuleuse et ultra underground Channel One de Chevy Chase, jusqu'au rayonnement dorénavant international du Saturday Night Live. Pardonnez moi si je trouve plus de cohérence à ce qu'une chaine de télé appartienne à Bolloré plutôt qu'elle soit sous dictat de Mitterand. Qu'elle donne à voir l'original US plutôt qu'un ersatz édulcoré de tout sens, fusse t-il estampillé création française. On se fade Jamel Debbouze sur le canapé de Drucker, on nous vend du frisson chaque fois que Joey Starr balance une ânerie bien inoffensive, mais je n'ai encore jamais vu une dent de lait rompre la pierre et ils ne sont pas nombreux à se réclamer de Thierry Le Luron



I'm Dying Up Here est une série Showtime consacrée à l'origine de la prise de parole de la contre culture américaine. Ce besoin soudain irrépressible de parler de soi, de laisser une trace avant d'aller se faire exploser au Vietnam, de s'overdoser dans un chiotte ou de ramasser le sida en noyant sa solitude dans le nombre. Et pour que la trace soit indélébile, il fallait que la lame pénètre au plus profond. La naissance du stand-up n'est pas à mourir de rire. I'm Dying Up Here restitue une réalité qui se moque de la frilosité, qui se contrefout de la faible étanchéité des parois de notre liberté d'expression. L'existence dans notre pays d'un CSA plénipotentiaire, qu'une large partie de nos arcboutés défenseurs des valeurs de gauche applaudit à tout rompre pour si peu qu'il s'acharne à faire taire sa tête de turc du moment, ne doit même pas effleurer l'esprit du producteur de la série, Jim Carrey. La parole, il n'a jamais levé la main pour la prendre.
I'm Dying Up Here arrive à point nommé pour nous rappeler qu'il existe un ailleurs. Un autrement. Les pyromanes du stand-up américains ne sont pas de ceux que l'on flatte sans méfiance, leur irrespect n'est pas plus négociable que leur impudeur fondatrice. Si je m'amuse à ce parallèle, ce n'est que par ras-le-bol de l'anti-américanisme moralisateur ambiant. Que l'on regarde de plus près de qui se réclament ceux qui incarnent l'insoumission révolutionnaire française avant de s'afficher sentencieux envers Trump. Que l'on prenne bien le recul nécessaire à la mise au point de l'objectif avant de faire une photo des médias qui nous informent. Et qu'on ne vienne pas emballer de nostalgie mes souvenirs, si je les garde vivaces, ce n'est pas pour manger mon assiette de nouilles sur une table en formica, c'est pour ne pas perdre la mesure de ce dont on nous prive, pelure d'oignon après pelure d'oignon. Sans qu'aucune voix ne parle d'autre chose que de regarder ailleurs. Le petit jeu qui vise à domestiquer l'agitation en infantilisant son origine ne fait qu'endurcir la réplique. Et tous ne seront pas assez cons pour frapper les leurs.


I'm Dying Up Here, c'est la vérole des années 70 qui s'accroche à sa pulsion de vie sans remplir de dossier associatif, sans tendre la main. Pas de médaille de L'ordre du mérite dans leurs ambitions, leur principal mérite serait plutôt de préserver le désordre. Merci à eux. Les David Brenner, Richard Pryor, Billy Crystal, Robin Williams, Chevy Chase, Gilda Radner, Bill Murray, Bette Midler, John Belushi, les Cheech & Chong, Eddie Murphy, Richard Belzer. C'est leur histoire, celle des pionniers du strip-tease psychothérapeutique. Du dérapage verbal largement incontrôlé, jamais infondé. Même si on en a reçu qu'un faible écho, s'il a fallu qu'on traque les VHS dans les sous sols des vidéo-clubs, ça valait le coup de bosser notre anglais pour piger les double sens, le vice dans le second degré. Il n'y avait pas de courbette qui soit suffisante pour accéder au Tonight Show de Johnny Carson, seulement l'impitoyable sélection naturelle. Combien de temps peut-on s'accrocher à un rêve qui vous garde ventre vide ? De par son titre, I'm Dying Up Here donne une idée de la réponse.


En s'emparant de la moindre scène, du moindre espace vital pour cracher leur venin, dresser leur satire, s'exposer à nu et au delà, ils ont fait ce qu'aucun de nos rockers concernés n'a jamais fait, plonger à pleines mains dans l'estomac grouillant de vers de la pourriture humaine. Revendiquant ce que les mœurs cachent sous le tapis, affichant les perversions de l'élite tout en désignant la lâcheté de la masse. Sans épargner personne, en s'incluant dans le lot. Certains n'y auront vu que comédie, d'autres une raison d'espérer.  I'm Dying Up Here réussie là où The Deuce s'est pitoyablement ramassé, raconter ce que les seventies ont eu de fondateur avec un talent qui rassure sur la vitalité de leur héritage.

Hugo Spanky



I'm dying up here, j'ai dévoré il y a tout juste une semaine les 10 épisodes qui constituent la saison 1.
C'est peu de dire que les débuts du stand-up se sont fait dans les larmes et ont laissé des cadavres au bout du chemin. En ce sens cette série montre de façon on ne peut plus réaliste que tous ces comiques avaient la rage au ventre, que derrière la blague se cache un discours pertinent envers les travers de leur époque.
Pour autant, aussi incontrôlables qu'ils furent, ils ont dû avaler bien des couleuvres afin de pratiquer leur art.
Ce show T.V. révèle un large panel de comiques: une tête de lard cabossé, Billy; un mexicain adepte du coup bas, Ramirez; un mastodonte revenu du Vietnam à qui il ne faut surtout pas la faire, Ralph; une Texane qui a bien du mal à trouver sa place dans un milieu si machiste, Cassie, et des petits jeunots qui veulent faire leur trou, Ron et Eddie, qui, sans un sou, doivent loger dans un placard en attendant des jours meilleurs, ainsi qu'un petit black tout fier qui ne veut rien lâcher, Adam. Sans oublier celui qui saborde son hypothétique réussite dans la dope à cause d'une relation amoureuse toxique qui le tire vers le bas, Nicky.
Tout ce beau monde est chapeauté d'une main de fer par une tenancière de club bad ass, Goldie, assistée dans sa tâche par un dingue total, Arnie. Melissa Leo, qui nous avait déjà ravi dans Treme, tient là incontestablement le rôle de sa vie tant elle marque les esprits de part son interprétation hors pair.
De toute manière, comme d'habitude avec les série U.S. de qualité, c'est tout le casting jusqu'au moindre rôle secondaire qui est à louer. 


 
A travers le parcours de ces personnages attachants, c'est l'histoire des USA dans les 70's qui nous est contée : l'émancipation féminine, la place des vétérans du Vietnam au retour du conflit, la montée en puissance des shows T.V. comiques, le conflit générationnel entre les parents et leurs rejetons, le racisme larvé, les rêves qui se brisent sur la dure réalité d'un quotidien avilissant, etc.
Malgré le large éventail d'idées brassées, rien n'est jamais appuyé de façon lourdingue tant les scénarios des différents épisodes sont d'une extrême finesse. Aussi tragique (Billy et son père) qu'hilarant (quand vous verrez LA scène où les deux gugusses du placard invitent deux donzelles au restaurant alors qu'ils n'ont qu'une misère en guise de paiement, croyez-moi, vous allez vous pisser dessus de rire !), cette série est tout simplement brillante.
A tel point qu'une fois que vous l'aurez terminée vous n'en pourrait plus de devoir attendre la deuxième saison qui est d’ors et déjà programmée. Et si vous avez encore des envies de percer dans ce métier une fois arrivée à son terme; que vous êtes prêts à crever la dalle, à subir les pires tourments et humiliations alors il n'y a pas en douter vous êtes fait de l'étoffe de ceux qui peuvent éventuellement percer dans ce milieu de dingues.
Car, putain, être un comique de renom ça se mérite voilà la leçon que l'on peut en tirer pour sûr . 

Harry Max 



vendredi 1 décembre 2017

STRaNGe KiND oF DeeP PuRPLe


Il y a des groupes, sans trop savoir pourquoi, qui m'ont toujours collé aux grolles. Deep Purple est de ceux là. Je n'en suis pas fana, leur chanteur le plus populaire m’insupporte, et une grande part de leur discographie me laisse indifférent. C'est pourtant vers la fille en jean dézippé d'une de leurs pochettes que j'ai tendu mon doigt d'enfant au moment de choisir mon premier trente-trois tours, offert pour occuper mon ennui alors que nous passions un week end en famille dans la banlieue de Besançon (c'est dire si c'était en banlieue). Ce disque aura fait mieux que m'occuper, il m'aura éduqué au fil des ans en affichant plus de sonorités, de variations de tempos, de constructions tarabiscotées que n'en contient l’œuvre complète de Bruce Springsteen. Les Deep Purple étaient sacrément farfelus. 
Soyons clair, nous étions alors à un instant de l'existence humaine où Smoke on the water squattait les ondes jusque dans notre hexagone, pourtant, si elle fut la partie qui me passionna en premier lieu, celle là même sur laquelle mon choix était fondé, la période avec Ian Gillan au micro est à balancer à la cave tant elle est dorénavant navrante de maniérisme. Deep Purple vaut mieux que d'être cantonné à ce pénible braillard au timbre épuisant de platitude.
Ritchie Blackmore a eu doublement raison dans cette histoire. La première fois en virant ce chanteur, la seconde fois en quittant lui-même le groupe.

J'entends d'ici vos méninges accusatrices : Spanky nous fait son sempiternel même coup en dézinguant d'emblée les deux phares d'une légende pour mieux nous éblouir avec un plan de jarnac. Vous avez tapé dans le mille. Sauf que c'est pas un coup tordu. Le Deep Purple des sixties, celui d'avant Ian Gillan, est un monument baroque dont la créativité et l'audacieuse folie font paraître tous les In Rock et Machine Head du monde pour ce qu'ils sont : des albums datés, assemblés à la hâte pour remplir les caisses en surfant sur l'exubérant succès américain de Led Zeppelin. Ce que ces disques ont de meilleurs, leur son Stax, on le retrouve porté à son zénith durant la période où David Coverdale et Glenn Hughes chapeautent le groupe avec une Soul dont le malheureux Gillan n'a jamais ne serait-ce que soupçonné l'existence.
Refourguez le triptique In Rock, Machine Head, Made In Japan à votre filleul pour Noël et payez-vous Shades Of Deep Purple, Burn et Come Taste The Band. Et tant qu'à faire, chopez aussi cette fameuse double compilation Mark I & II qui fut mon initiatrice pourpre. Elle offre l'avantage de concentrer les morceaux les plus éminemment groovy de la première formation et sert d'impeccable reader digest à la deuxième en incluant les fabuleux singles hors album que sont Black night, Strange kind of woman et la lacrymale face B When a blind man cries, qui nous dévoile toute l'étendue du feeling de Ritchie Blackmore (qui par ailleurs ne pouvait pas saquer ce titre, preuve que ce type est un tordu de première bourre).



Une fois ceci entendu, il ne faudra plus très longtemps pour que ce soit le premier des deux disques qui accapare vos ouïes. Mandrake root, Why didn't Rosemary, Emmeretta, Wring that neck et Chasing shadow sont des compositions sidérantes, du heavy rhythm & blues zébré de Hammond à faire passer les Doors pour un groupe de précieuses juvéniles. Rod Evans, en plus d'adopter dès 1968 un comportement qui fera plus tard la réputation de Lux Interior, est un ogre du micro, un Hidalgo matador à voix de stentor. La version de Hey Joe ramène l'originalité de celle de Willy DeVille au rang de simple plagiat, celle de Help, toute en arabesques savantes, ralentie à outrance, est d'une beauté à s'ouvrir les veines de bonheur. Quant à Hush, elle servira de calque à Mal, que Johnny Hallyday enregistre dans un studio voisin. Et je ne parle là que des points communs avec l'ordinaire, car Deep Purple va bien au delà. Wring that neck est une cathédrale, un démarquage interloquant de Booker T & The MG's assaisonné d'une maestria baroque et d'une force de frappe qui n'a d'égale que l'intro ultra funky du titre suivant, Emmeretta. Ritchie Blackmore travaille sa rythmique en portant d'incisifs coups bas  que Catfish Collins n'aurait pas renié. Si le guitariste mérite son surnom d'Homme en noir, ce n'est pas question de nippes, mais parce qu'il cisaille comme un putain de Funk brother !


Cette primordiale qualité, Deep Purple va se la mettre sous le coude le temps de se positionner en haut des charts mondiaux. Aussi impériaux soient-ils, leurs albums ne se vendent pas. C'est tout juste si le royaume de l'union s'en souci. L'aristocratie de la cour de Londres y règne en maître, Beatles, Mods, Stones, et autres divinités en visite parmi nous, monopolisent médias et argent de poche. Et ce n'est pas un guitariste du Somerset qui peut y changer grand chose, fusse t-il celui que Screaming Lord Sutch, Little Richard et Gene Vincent ont choisi pour soutenir leur répertoire de scène à travers tout le pays. Ritchie Blackmore en a conscience lorsqu'il décide de virer cuti en recrutant un chanteur stéréotypé répondant aux canons du jour, afin de graver dans le mont Rushmore de quoi se remplir les fouilles de billets verts.
Surtout, Deep Purple va s'imposer comme la plus démente machine de scène des 70's. Le spectacle ne laisse aucun moment de répit, les chansons ne sont que prétexte à débauche. Le groupe colle une paire de congas à son encombrant chanteur, le cantonne derrière sitôt qu'il a fait démonstration de sa pénibilité et octroie le show à ses trois figures de proues, tandis que le bassiste mâchonne un riff manière de garder le cap pendant que les zozos se déboulonnent le cerveau.


Jon Lord est la mise à feu, un maniaque comme on n'en avait plus vu depuis que Keith Emerson préféra le prog-rock d'Emerson, Lake and Palmer aux excès déjantés de Nice.  
Jon Lord, c'est l'élégant du lot, le mod venu des Artwoods du grand frère de Ron Wood. Lorsque Smoke on the water truste les hit-parades, ça fait déjà dix piges qu'il écume les clubs en customisant, façon Jimmy  Smith sous purple haze, le top 40 du R&B. Autant dire que Jon Lord ne va pas se faire prier pour mettre ses frustrations au supplice. Sitôt armé d'une sonorisation taillée sur mesure pour faire pisser les cochlées, le claviériste va se révéler tortionnaire. Martyrisant son Hammond, il transforme l'instrument en balancier pour en faire hurler les lampes incandescentes comme autant de chocs métalliques réduisant en bouillie toute tentative de mélodie. Ceux qui ont déjà eu la bonne idée de filer des coups de poings à un ampli à lampes comprendront, les autres n'ont qu'à se jouer n'importe quelle version live de Space truckin'.

Ritchie Blackmore est celui qui immisce sa Fender dans le chaos avec la souplesse du funambule sans filet. D'abord en notes chaudes, bleues comme des lucioles de renaissance après la dévastation. Il est l'étincelle de vie, le rat qui s'extirpe des gravats laissé par le blitz des claviers. Consciencieusement, il  va ronger tout ce que le public garde de sanité mentale. La séduction n'aura pas fini d'opérer qu'il en sera déjà à écharper les cordes, tordre le manche en piqué kamikaze propulsé sur la foule. Ritchie Blackmore est le pire de tous. Celui que les masses viennent aduler et qui ne leur rend que mépris. Ritchie Blackmore vide ses bières sur les premiers rangs, crache sur ses fans les plus avilis sans leur accorder autre chose qu'un bref regard narquois. Durant l'apocalyptique final de la California Jam, il balance carrément des corps de Marshall sur le public qui se presse au pied d'une scène aussi haute qu'inaccessible. Ritchie Blackmore est un sadique qui frustre son auditoire du plaisir qu'il quémande pour mieux le tenir en laisse. La combine fonctionnera deux décennies. Ritchie Blackmore est un génie.


Derrière ces dingues et une rangée de futs, Ian Paice. Le bucheron de Nottingham planqué sous des airs de binoclard hippie. La mule. La pierre fondatrice qui engendra Philthy Animal Taylor et toute une génération de batteurs pour laquelle il reste le maitre absolu, l'alchimiste qui fit la synthèse de l'hydrogène et du plomb. 
 
Ces trois là sont Deep Purple et vont le démontrer d'un geste magistral en virant à coups de pieds au cul Ian Gillan et un Roger Glover d’opérette trop occupé à mettre en scène une version anglaise de Broadway qui tiendra finalement plus du Muppets show que de West Side Story : The Butterfly Ball.
Pour Deep Purple voici venu le temps de l'excellence, celui de l'illuminati déliquescence. Avec pour déclaration d'intentions le bien nommé Burn. Classique, s'il en existe, de la Heavy Soul anglaise des 70's avec en son sein Mistreated, œuvre pharaonique de spleen et de puissance aveuglée par la souffrance. Pièce montée portée par David Coverdale, qui réduit en cendres l'héritage de Gillan, et Ritchie Blackmore qui pousse l'intensité de son jeu par delà l'entendement, faisant appel aux forces occultes du Blues pour redéfinir les névroses de l'humain, lorsque le sang bouillonnant noie la pensée.



Plus bucolique dans son inspiration, sous influence Bad Company, mais aussi plus funky que jamais, Stormbringer, refuse la surenchère. Passé la démonstration d'énergie de son morceau-titre, le disque se veut éventail de charmes, offrant à chacune des personnalités qui composent le groupe le soin de briller. Somme des talents plus qu’œuvre commune, Stormbringer est de ces drôles de disques que le temps épargne par désintérêt. Une adresse ancestrale où l'on retrouve à chaque écoute ce que l'on a aimé à sa découverte, cette élégante désinvolture d'un Rock qui abolit les barbelés.
Les concerts qui suivront feront preuve d'une indescriptible folie. Je ne sais pas ce qu'il en est pour vous, mais je considère que le Rock n'a été grand que tant qu'il fut capable d'exorciser les foules en les soumettant à l'épreuve. Ce n'est pas un mystère, les groupes des 70's détenaient le secret de l'improvisation barbare. Avec David Coverdale, chanteur surpuissant au gosier chaleureux comme un 101 proof, et Glenn Hughes, bassiste/chanteur partageant au moins deux points communs avec Marvin Gaye, la délicatesse de la voix et des naseaux bien remplis, Deep Purple va connaître son apothéose. Le répertoire est rénové en profondeur, You fool no one remplace Space truckin' dans le rôle de monument bruitiste, Smoke on the water est envoyée par dessus la jambe, sans se soucier du texte que les deux chanteurs massacrent en alternance en rabâchant le couplet sur Zappa. Highway star ne sert que de porte nom à une version gargantuesque du Goin' down de Don Nix mêlé au Not fade away de Buddy Holly. Mistreated devient pivot central du show, Stormbringer son ouverture en fanfare. Lady double dealer, Might just take your life, The gypsy incarnent son flambant renouveau. Le crépitement de l'électricité, les masses sifflantes des amplis, les jack qui s'arrachent des guitares maltraitées pour venir heurter le sol créent un environnement sonore oppressant d’agressivité. Un bonheur. 


Vous l'avez peut être remarqué, depuis maintenant une bonne quinzaine d'années, le Rock ressuscite ponctuellement cet âge d'or en éditant les concerts majeurs de son épopée flamboyante. Inaugurée par les Doors, cette pratique s'est depuis largement popularisée auprès des noms emblématiques du mouvement. Bob Dylan vient de mettre en bac un nouveau pavé de sa série Bootleg, Trouble No More 79-81, proposant un condensé live de sa période chrétienne, les Rolling Stones ont dépassé la dizaine de références, chez Eagle Vision, d'albums souvent triple auxquels s'ajoutent des DVD documentant leurs diverses tournées, avec comme point culminant le fantastique concert de Hampton en 1981. Deep Purple leur a emboité le pas en étoffant une discographie pourtant déjà généreuse en live posthumes. Initiée en 2012 avec un incandescent Live In Paris 1975, enregistré lors de l'ultime concert avec Ritchie Blackmore, la série Overseas affiche une santé prolifique en parutions et se targue depuis l'an dernier d'un Live at Long Beach 1976 indispensable à plus d'un égard.

Jeté aux orties de l'Histoire par Ritchie Blackmore, Deep Purple refuse de s'éteindre malgré les nuages poudreux qui s'accumulent au dessus de son existence chancelante. Le groupe estime pertinent de trouver un remplaçant à son sombre leader et déniche la perle rare en la personne du jeune Tommy Bolin. Le guitariste, au parcours chargé en rencontres de haute volée, mais encore vierge de reconnaissance publique, est doté d'un talent protéiforme, hélas doublé d'une irrépressible toxicomanie. Tommy Bolin intègre Deep Purple en juillet 1975, il sera mort moins de dix huit mois plus tard à tout juste 25 ans. Dans l'intervalle, il aura gravé deux albums solo, parcouru le monde au sein d'une formation devenue ingérable et enregistré Come Taste The Band, un disque phare débarrassé des figures stylistiques en peine de renouveau de Ritchie Blackmore, un imbroglio de genres abordé avec une fougue aiguisée par l'excellence de son jeu sans entrave. Formé au Jazz comme au Rock le plus abrupt, expérimenté par ses collaborations avec Billy Cobham et Alphonse Mouzon, Tommy Bolin se fond dans le groupe pour mieux le transcender.



Come Taste The Band est l'exubérant témoignage de cette liberté typique de la musique des 70's. On y entend un groupe qui se dégage de son passé au point d'avoir voulu changer de nom pour en faire table rase, repartir de la base, se constituer un répertoire entièrement nouveau. Les refus conjugués des managers et du label signèrent l'arrêt de mort de la formation, mais ne l'empêchèrent pas d'offrir un dernier assaut frontal. Le disque est tout bonnement à tomber sur le cul. Il baigne dans le Funk tout en conservant la brutalité sèche du Hard Rock. David Coverdale et Glenn Hughes fusionnent au micro, la rythmique fait front et les solistes ne se départissent jamais de la notion d'efficacité. A aucun moment, ils n'en font trop et forcément, ça fracasse. Gettin' tigher est ma préférée, un classique rendu encore plus performant sur l'édition remix du disque, éditée pour son 35eme anniversaire. En fait de remix, Kevin Shirley, ingénieur du son en charge de la chose, s'est contenté de pousser les potards sur la rythmique et d'abandonner quelques coda au fading frustrant. Les chansons gagnent en longueur pour certaines et le disque en dynamique selon les critères du 21eme siècle. Pour être plus précis, le remix compense le faible rendu des amplis modernes, mais ne dénature en rien l'enregistrement original. You keep on moving est toujours aussi envoutant, This time around, qu'Isaac Hayes n'aurait pas renié, est toujours assemblé à la vitalité communicative de Love child et Comin' home. Come Taste The Band est un bloc indivisible qui nargue depuis 1975 toutes les tentatives ultérieures de cumul des styles. Il reste ce qu'une bande de blanc-becs à pu faire de plus approchant de Funkadelic. 



Gonflé à bloc, Deep Purple reprend la route pour convertir les foules à cette incarnation régénérée par l'osmose de ses membres. Et j'aurais donné cher pour assister à l'un des shows dantesques que cette bande de surdoués a pu délivrer malgré la surconsommation affolante de substances prohibées qui va les conduire droit dans le mur. Hélas, le seul concert commercialisé fut Last Concert in Japan en 1977, un disque capté l'année précédente au cours d'un catastrophique concert à Tokyo, et sélectionné par la maison de disques en dépit du bon sens. La veille de ce concert, Tommy Bolin se colle un fixe dans sa chambre d’hôtel et comate en bon junkie irrécupérable durant huit heures d'affilée. A ceci près que la shooteuse est restée plantée dans la veine et qu'il s'affale dessus. Résultat des courses, une paralyse du bras gauche légèrement malvenue pour un guitar-hero en pleine tournée. Le disque témoigne du génie tout terrain de Jon Lord qui depuis ses claviers triture les sons et prend à son compte les solos du guitariste. Glenn Hughes se chargeant des riffs en gonflant le son carnassier de sa basse. Pas la meilleure façon, toutefois, d'enregistrer un live qui sortira sans overdub.


Heureusement depuis l'an dernier, le triple vinyl Long Beach 1976 étoffe l'héritage de Tommy Bolin et lui rend enfin justice. Le répertoire met à l'honneur les morceaux de Come Taste The Band dans des versions tuméfiantes. Gettin' tigher et son riff uppercut crane de tout son Funk, Love child, Lady luck et l’enchevêtrement This time around/Owed to G se fondent à l'extensible magma de riffs et solos à géométrie variable censées servir de repère au public. Vous en connaissez beaucoup des groupes estampillés Hard Rock capables de citer dans un même concert Georgia on my mind, Foxy lady, I shot the sheriff, Melting pot et Thank you falettinme be mice elf agin ? Moi non plus.
Avec ce disque, Deep Purple trouve une épitaphe à sa hauteur. Chaotique, anarchique, bruyant, jouissif et excessif, ce live est le fidèle reflet d'une tournée qui en verra des vertes et des pas mûres. Le guitariste est saisi de sueurs froides au moment de passer les peu tolérantes frontières d'Asie avec son étui bourré de sachets d'héroïne, un roadie meurt en chutant dans un conduit d’ascenseur, sans qu'on sache si il a été poussé ou si il était trop défoncé pour y voir clair.  A Jakarta, la police locale rackette l'intégralité de la recette d'un concert devant 100.000 personnes. A bout de souffle, Glenn Hughes fait une désintox express, pendant un break entre deux dates, avant de se faire gifler en plein bar, et traiter de sale machiste, par Patti Smith parce qu'il s'affiche entouré de deux arrogantes beautés trop peu vêtues ! Au milieu de tout ça, Ian Paice et Jon Lord constatent que jeunesse se passe et apporte la seule conclusion qui s'impose : "C'étaient des mômes, en Californie, les poches remplies de dollars, à une époque où le monde entier semblait être devenu fou. Que voulez-vous qu'ils fassent ? Qu'ils boivent du lait ? Personne n'était censé mourir. Mais c'est pourtant ce qui est arrivé"


Tommy Bolin livré à la postérité, Jon Lord, Ian Paice et David Coverdale se retrouveront au sein de Whitesnake, surement le groupe qui se sera rapproché au plus près du Deep Purple de Come Taste The Band, sans jamais en retrouver ni la classe, ni le souffle. Glenn Hughes gâchera son talent durant plus de vingt ans dans une destructrice addiction à la cocaïne, dont il sortira enfin vainqueur au début des années 2000. C'est une histoire à la con, avec une fin à la con, mais putain que ce fut bon.

Hugo Spanky