Ce sont bien plus qu'une enveloppe charnelle et les souvenirs d'une génération ou deux, que sa mort a enterré. Pourtant, je me souviens que si le peuple était descendu dans la rue en masse, les mines tristes, les mots tremblotant dans les gorges serrées, ses confrères du show-biz n'en avaient, eux, pas fait des caisses. Il me revient à l'esprit une reprise de Jealous guy par Roxy Music et un single live d'Elton John en duo avec le binocleux énervé, guère plus. Sandinista! est paru une poignée de jours après que le sang de Lennon ait été nettoyé du hall du Dakota et nulle part, dans les interviews qui suivirent, il ne fut ne serait-ce qu'évoqué. Et ce n'était surement que dans ma petite tête que Mink DeVille l'avait à l'esprit en parlant de Coup de Grâce dans les mois qui suivirent le drame, seulement dans mon imagination que c'est lui que salue AC/DC dans For Those About To Rock ou que le Don't stop believin' de Journey conte son histoire avec Yoko. Je voyais Lennon partout, il n'était nulle part.
Le Rock avait peur de son passé, qui faisait disparaître toute notion d'originalité à une époque où elle était l'essence du truc, il faudra pourtant m'expliquer comment on peut ne pas entendre Yoko Ono dans les B.52's (comme dans toute la No Wave New-Yorkaise jusqu'au Noise) ou les Beatles dans la Power Pop des Buzzcocks, Boys et autres Undertones. Comment ne pas se souvenir que Lennon sortait dès 1975 un album de reprises cradingues de pur Rock'n'Roll dans un album du même nom ? Comment voir dans le CBGB's autre chose qu'un équivalent de la poisseuse Cavern et des rades borgnes de Hambourg, lorsque les fréquentaient quatre faméliques mômes en cuir, teigneux comme si le futur n'existait pour aucun d'eux. Ce même futur qui faisait soudain tant flipper le Rock business post 8 décembre 1980 : Putain, qu'est ce que ce foutu Lennon était revenu glander parmi nous, lui qui s'était tenu à l'écart depuis cinq ans ? Il pouvait pas continuer à s'occuper de son chiard, plutôt que de revenir nous signifier que, hormis tout recommencer comme avant, le Rock n'avait plus comme lendemain qu'une mort annoncée.
Sur le moment, rien de tout ça, ne m'a paru si évident. Pourtant aucun signe ne manquait à l'appel, les Rock stars se sont éloignées un peu plus encore de leur public, accentuant la tendance déjà amorcée par l'affaire Charles Manson, ne jouant dorénavant plus que dans des stades, minuscules petits points qui s'agitent nerveusement au loin et que l'on ne parvient à distinguer dans le viseur que via des écrans géants. Plus d'interview, terminées les questions polémiques, faudrait pas se retrouver à offenser des dingues en se prétendant plus célèbre que le Christ. La mort de Lennon a coupé les couilles du Rock, soudain l’ambiguïté était tabou. Bienvenue dans le monde du politiquement correct. Il n'y eu guère que Prince et la bande du Hip Hop pour se contrefoutre de la bienséance, et on n'a pas entendu grand-monde venir les soutenir quand l'équipe à Bill Clinton et Tipper Gore a usé et abusé de la censure pour les museler, collant des bips sur la wax, des stickers sur les pochettes. A part, Zappa et Dee Snider, le monde du Rock, si fort en gueule en théorie, a préféré faire tout sourire avec ce président à la cool venu tout droit de la génération des 60's. Personne ne s'est souvenu de Woman is the nigger of the world, quand il s'est fait sucer par une stagiaire dans son bureau ovale. En Amérique avec Clinton, comme en France avec Mitterand, puis en Angleterre avec Tony Blair, les rebelles sont devenus cireurs de pompes, mendiants d'un pouvoir des beaux salons que Lennon rêvait de voir envahi par le peuple. Combien d'entre eux ont renvoyé à l'expéditeur les médailles dont les ont honoré les nations ?
Je voulais ressembler à Mickey Rourke, pas à ça ! Je ne pigeais pas le concept de s'enlaidir pour démontrer que l'apparence n'est qu'illusion. Quand je vois maintenant, les dégâts causés à la tronche de l'ancien beau gosse du septième art par la volonté de maintenir l'illusion à n'importe quel prix, je comprends mieux le message.
Écouter des disques de John Lennon aujourd'hui, ceux des Beatles inclus, ne sert plus guère qu'à s'offrir une tranche de plaisir, et c'est déjà beaucoup, mais ce qui s'avère le plus utile, au delà de la futilité d'un art qui s'estompe, c'est de s’intéresser au parcours du bonhomme, à sa pensée, à la façon dont il a cherché à comprendre ses erreurs en les revendiquant au même titre que ses plus flagrantes réussites. La sidérante volonté d'un mec qui refusa d'endosser le plus envié des rôles, préférant choisir de placer le respect qu'il se porte au dessus de l’idolâtrie que lui témoignait le monde. La vérité au dessus de l'illusion.
Le bouquin est disponible sans trop se fouler et pour pas plus cher qu'un paquet de clopes. Le relire aujourd'hui pose ce froid constat : plus rien n'a été dit depuis.
Hugo Spanky