Deuxième album de Staretz, après Panettone Boogie en 2013, Go Down South est également leur premier sur bien des points. D'abord par la force des choses, le décès de Philippe Lombardi, guitariste et complice depuis plus de vingt années de Serge Fabre, a laissé un tel abysse au sein de la formation, et bien au delà, qu'il en devenait inimaginable de continuer en prétendant ne rien changer. On ne cherche pas un remplaçant à celui avec qui on a partagé tant de passion. Je ne cause pas là de musiciens se retrouvant au moment de monter sur scène, ou d'enregistrer quelques chansons. Serge Fabre et Philippe Lombardi étaient partenaires de vie, dans leurs nombreux groupes, dans leur label commun, Bang Records, dans l'amour de la musique et des disques qui se partagent dans le silence. Ces deux là n'ont été éloigné l'un de l'autre que par un étui de guitare glissé entre les deux sièges d'une voiture en route vers le prochain gig. Quand l'un pensait, c'est l'autre qui parlait.
Si son expérience et ses années passées à écumer la France, le Canada et le New-Jersey, font de lui le leader naturel de la formation, dont il est de plus l'unique compositeur (à quand un disque Composed, Arranged & Produced by) Serge Fabre n'en garde pas moins l'âme d'un homme de gang. Et s'il semble être encore le seul à douter de ses capacités à s'affirmer en solo, c'est avec bonheur qu'on le retrouve entouré du fidèle Eric Baldini à la basse (ancien membre des fabuleux Sad Knights), et du tout jeune guitariste Pablo Acedo, salutaire coup de pied au cul des deux croulants. Je taquine, mais il n'en demeure pas moins que le gars est foutrement doué pour ne jouer que l'essentiel et le faire de manière essentielle. Autant dire, la qualité la plus rare chez un guitariste. Je ne vais pas lui en tresser de trop voyantes, mais ce môme est la révélation du disque. Un instinctif.
A ces trois là, s'ajoute Christian Pagani à la batterie, venu en dernière minute pallier avec brio au départ de la chahuteuse Misty White.
Surtout, Go Down South semble avoir donné une plus large place au producteur Olivier Cussac, grand manitou du légendaire studio Condorcet de Toulouse. Et pour un mec comme moi, qui lit des bouquins d'ingénieur du son plus volontiers que ceux des chanteurs, c'est un minimum de dire que ça compte. Plus encore quand le producteur est doublé d'un joueur de claviers hors pair, virevoltant au gré des chansons de l'orgue Hammond au Farfisa, du Wurlitzer au piano. Olivier Cussac apporte un courant d'air chargé de mille parfums à Go Down South, il ventile les esprits et l'ensemble swing avec une légèreté déterminée.
A commencer par mon hit du moment, ma cajoleuse ensorcelante, Should I let her know. Purée, ce que je l'aime celle ci. C'est mieux qu'une chanson, c'est une promesse. Celle d'entendre Serge Fabre sans fard, ni carapace, l'âme à nue, comme Gram Parsons en d'autres temps. Est-ce par clin d’œil au Grievous Angel et à Emmylou Harris que la jeune Heloïse Bourret vient mêler sa voix à la mélodie ? Sortez moi ça en single et que les radios fassent leur boulot. Venez pas me chatouiller avec vos émissions d'indépendants de la FM, vos prétentions de D.J insoumis, si ce titre là ne s'immisce pas illico dans votre playlist.
Go Down South porte bien son nom, l'album trace sa route en direction de Memphis plus souvent qu'à son tour, pour preuve l'impeccable Rolling down my way et son piano roublard, avant de bifurquer sur les terres du Rhythm & Blues avec un (Let's try) My way of loving au jumpin' groove plus tendu qu'un corset sur la poitrine d'Aretha Franklin. Ce machin là est emballé, c'est pesé comme un single du Spencer Davis Group. Et croyez moi sur parole, quand Jesus vient avec son Dobro conclure la première face, il n'existe plus de frontière, ni d'océan, entre la Garonne et le Delta du Mississippi.
Je vous ai causé du son façon juke joint ? A croire que les gonzes ont transformé le studio Condorcet en sous sol de villa de Villefranche-sur-mer. Écoutez les guitares sur Radio man, qui viennent se chercher des crosses tandis que l'orgue tapisse l'arrière salle. Exile on Concorde Street. Un peu plus loin sur cette seconde face, Canadian tears réalise ce petit miracle de faire s'épouser délicatesses Country et accents Jazzy à la Leon Redbone tout en réussissant le tour de force de sonner comme du Lou Reed ! Avec la ballade sous tension, Can't stand the truth, ce Canadian tears me fait regretter qu'il ne se soit pas glissé dans la tracklist un ou deux titres supplémentaires dans cet esprit là. Staretz démontre une telle capacité à élargir le spectre qu'il en devient presque réducteur pour eux d'aligner deux rocks d’affilée, fussent-ils de haute volée. Ce n'est que mon avis, mais je le partage.
Reste que Go Down South s'impose sans hésitation comme le disque indispensable pour aborder la dernière ligne droite de 2016. De quoi se tenir droit face aux bourrasques de mistral et aux coups bas de l'existence. Et si tous ceux d'entre vous qui se réclament des Dogs, du J.Geils Band, du E.Street Band, de Bob Seger, du Memphis sound, de Muscle Shoals, de la Soul, du Roll, du Pub et du Rock ne passent pas commande illico presto sur le site de Bang Records, c'est à n'y plus rien comprendre. Ou plutôt, si. Et c'est surement pire. Staretz, Go Down South, maintenant chez vous et dans les vitrines de tous les disquaires compétents. Faites passer le message.