S'il est une histoire passionnante à raconter, c'est bien celle du Bronx à la fin des années 70. Moins rabâché que les angoisses existentielles du Londres de la même période, l'espoir soulevé par la genèse du Hip Hop dans un quartier ravagé par la misère la plus totale est de celui dont se forge les légendes. C'est tout un pan de culture contemporaine qui émergea soudainement, tel un phénix, des immeubles en flammes. Une culture qui donna une raison de vivre au présent, en couvrant de couleurs vives le gris sale des gravats.
Aussi urbain que fut champêtre le mouvement hippie dans sa quête pour retrouver le parfum de l'origine des choses, le mouvement Hip Hop, entravé aux chevilles par de tels boulets qu'ils en ôtaient toute velléités de fuite vers un ailleurs sublimé, fit avec ce qu'il avait sous la main. Les alchimistes des rues firent du platine avec de la rouille, seulement armés pour cela d'une inventivité sans limite et d'un aplomb que l'on désespère de voir à nouveau à l’œuvre.
En dosant parfaitement sa réalisation, Baz Luhrmann évite à The Get Down, la série Netflix qui cogne fort sur le beat, de peser sur l'estomac comme cela pouvait être le cas avec les excès de chantilly de son audacieux, mais un brin trop emphatique, Moulin Rouge. En alternant le clinquant de comédie musicale façon Broadway avec des images abruptes de documentaires, Luhrmann joue à l'acrobate et s'en sort avec brio. Longue de six épisodes, tous baignés de Funk, cette première saison ne nourrit pas une seule seconde d'ennui. Léger sans être naïf, profond sans être grave, The Get Down capte cet instant unique où les rêves se fondent à la réalité ou s'estompent à jamais.
D'une église au Madison Square Garden, le chemin passe par les voies ferrées, les toits délabrés, les caves enfumées et les meetings politiques, le décor est planté, les personnages peuvent s'installer. Les acteurs, jeunes pour la plupart, sont impeccables de justesse à l'instar de Justice Smith qui incarne avec subtilité ce moment bourru entre poils qui poussent et manque d'assurance, ou encore la prometteuse Herizen Guardiola toute en équilibre précaire sur la fine ligne de la rébellion post-adolescence d'une fille de pasteur qui, lentement, se libère de ses chaines. Jusqu'à renier ses principes ?
Le fils de Will Smith, Jarden Smith, le graffeur de la bande, n'est pas assez tête à claque pour que je l'affuble du qualificatif de caution budgétaire. Le môme a du talent sous sa coupe afro, et s'il ne se révèle vraiment qu'au dernier épisode, c'est uniquement parce que son rôle n'avait été jusqu'alors que très discret. Et puisque je cause coiffure, ne surtout pas oublier de souligner l'excellence des reconstitutions. Rues, façades, fringues, expressions de langages, tout est tiré au cordeau. Les attitudes, les gestuelles sont certifiées authentiques. Grandmaster Flash, Kurtis Blow et Nas n'ont pas de producteurs que le titre, ils s'assurent aussi de la pertinence du propos.
Dès le premier épisode, la quête de la galette ultime, du disque qui pèse, devient une fantasmagorique métaphore, la lutte quasi fraternelle entre Ezekiel et Shaolin Fantastic, l'un pour l'amour de la belle de ses rêves, l'autre pour que Grandmaster Flash garde le drive, prouve une fois encore que pour assouvir une obsession aucune montagne n'est trop haute. Les chemins peuvent différer, le but reste le même, avancer sans trop trébucher. Tantôt Pieds nickelés, tantôt Boyz N The Hood, la petite bande des Brothers du Get Down nous balade d'une soirée de DJ Kool Herc jusqu'à l'underground gay de Soho, là où se fit la connexion entre l'art de rue et le mainstream.
Impétueuse et racée, colorée et rythmée, onirique et réaliste, la série ne se départie jamais, malgré les ombres qui menacent, d'un optimisme typiquement funky qui pourrait bien lui permettre de trouver sa place dans la culture populaire, quelque part entre Hair, Fame et les Harlem Globe Trotters. C'est tout le mal que je nous souhaite.
Hugo Spanky