1975, après une décennie de défrichage barbare, le funk se paluche à Philadelphie, se prélasse dans des draps de satin. Le souvenir des plantations, l'âpre odeur du ghetto, la sueur des corps burinés par la malédiction, tout cela n’intéresse plus guère qu'un cinéma naissant dans un underground à l'esthétique crade comme les immeubles délabrés du Bronx.
Les clichés défilent tandis qu'Oncle Sam danse sur Barry White. Désormais adoubés par la jet set, les brothers and sisters délaissent le son des rues, et c'est dans une indifférence totale que James Brown aligne des albums sur l'enfer de l'héroïne ou les ravages d'une fuite en avant occultant une réalité trop noire. Bientôt viendra le temps de Michael Jackson, celui du renoncement, de la négation de la négritude.
Et puisqu'en ces temps de quête d'identité nouvelle, le Funk n'honore plus guère que le luxe au ségrégationnisme hypocritement social mais surtout pas racial du Studio 54, ce sont les blanc-becs qui vont se charger de le parfumer à nouveau aux effluves de stupre et d'argent sale. That's the way ? Unh, hun. Unh, hun.
Cinq années avant que les affranchis du New Jersey ne soient gagnés par la fièvre du samedi soir, c'est du côté de Miami que le feu aux poudres va être allumé. Par un vieux requin des sixties, Henry Stone, un de ces hommes de l'ombre qui firent rayonner les hits singles en mêlant la pratique de la batte de baseball avec celle de la corde à piano. Henry Stone, c'est un juif du Bronx, un pionnier des labels indépendants, de ceux qui ont popularisé la musique noire. Sans trop se soucier de mettre beaucoup de justice dans les contrats, mais sans qui le Doo Wop serait resté à un angle de rue, seulement éclairé par un lampadaire de Harlem.
Vous vous souvenez de Hesch ? Le personnage interprété par Jerry Adler dans Les Soprano. Si c'est le cas, vous avez une bonne définition de Henry Stone Epstein.
A l'orée des seventies, notre homme ne manque pas de remarquer que le business évolue. Que le temps des petites arnaques pour d'éphémères ventes locales est définitivement révolu. Les chiffres justifient dorénavant l'ouverture d'un compte offshore, pour si peu que l'on tienne la combinaison gagnante. Et la combine, Henry Stone la connait sur le bout de ses doigts bagués. D'abord, il s'installe en Floride, pas n'importe où, à Hialeah, lieu de résidence des émigrés cubains, là où les échanges avec l'île boycottée peuvent s'avérer moins compliqués pour le transit des valises. Il fait main basse sur un studio 8 pistes tenu par Terry Kane, un ingénieur du son passionné, bricoleur de talent tout heureux de voir ses initiales devenir emblème du nouveau label, quitte à en devenir l'homme de paille. TK Records est né.
Et comme la providence fait bien les choses, voila que deux mômes bien blancs, tendance irlando-rital, qui jusque là servaient d'hommes à tout faire, se révèlent former un duo de compositeurs hors pair. Entre en scène Harry Wayne Casey, dit KC, et Richard Finch. Et le proverbial coup d'essai de devenir coup de maitre. Henry Stone ressuscite George McCrae, un chanteur qu'il a sous contrat depuis un bail, mais qui n'a jamais rapporté un kopeck. Tant mieux, il n'en posera que moins de problème. L'association des gamins intronisés producteurs/compositeurs et du never been engendre Rock your baby, LE hit groovy de 1974. Avec plus de dix millions de copies vendues TK Records s'offre un avenir ensoleillé. Et comme Henry Stone n'est pas homme à chercher l'inspiration bien loin, ça sera le nom de son projet suivant : KC & The Sunshine Band.
Avec KC au chant et aux claviers, et Richard Finch à la basse, le groupe va dévaster les charts, donner un nouveau visage, blanc, pop et cocaïné, au Funk agonisant, et pondre une impressionnante série de hits d'une insurpassable qualité. C'est à leur modèle que Robert Stigwood va reformater les Bee Gees pour leur offrir une seconde carrière en or, strass et paillettes. Ce sont eux aussi qui serviront de référence à Kool and The Gang lorsque le moment de dépasser le "race market" aura sonné. Et, bien sur, KC & The Sunshine Band sera au générique de la B.O de Saturday Night Fever avec l'énormissime et jouissif Boogie shoes. Mais à ce moment là, le groupe aura déjà laissé derrière lui ses plus belles années.
C'est de 1974 à 1976 que KC and The Sunshine Band va scintiller avec le plus d'éclat. En trois albums, ils vont s'inscrire parmi les meilleurs fournisseurs de Funk estampillé 70's. Putain qu'est ce que je les aime ceux là.
Do It Good, leur premier album, pose la donne. Aux antipodes du consternant taux de glucose des pièces montées de Marvin Gaye, Isaac Hayes et Curtis Mayfield, le duo, dorénavant encadré par une grosse poignée de musiciens certifiés black, repart des fondamentaux, concision du format, mélodies accrocheuses, pulsation soutenue, élégance de la mise en plis. Si il n'est pas le mieux garni en hits, ce disque n'en demeure pas moins le plus indispensable de la trilogie royale. Avec des morceaux comme You don't know au menu des festivités, il faut vraiment ne pas aimer taper du pied pour se sevrer de ce bonheur. D'autant que dès la plage suivante, I need a little lovin', ce sont les grandes heures d'Atlantic records que le groupe régénère avec un pep's dont même Wilson Pickett est alors dépourvu. Si Do It Good a raté les charts de peu, ce n'est surement pas par déficit de bonnes chansons. Il ne contient que ça.
Quelques mois plus tard, la formule est au point. Usant d'une stratégie ayant fait ses preuves, le disque suivant se présente comme un premier album et aligne pas moins de trois monumentaux singles, piliers du bon gros beat qui démange les arpions : That's the way (I like it), Get down tonight et ce Boogie shoes que Saturday Night Fever recyclera deux ans plus tard.
Quelques mois plus tard, la formule est au point. Usant d'une stratégie ayant fait ses preuves, le disque suivant se présente comme un premier album et aligne pas moins de trois monumentaux singles, piliers du bon gros beat qui démange les arpions : That's the way (I like it), Get down tonight et ce Boogie shoes que Saturday Night Fever recyclera deux ans plus tard.
Mieux encore, c'est sur ce deuxième album que se déniche I get lifted, monstrueux morceau qui va servir de référence absolue aux titres les plus funky des Rolling Stones. On ne peut aimer les uns sans adorer les autres, jetez vous là dessus et dites moi si je raconte des conneries. Des licks de guitares de Hot stuff aux intonations dont Mick Jagger nous régalera au fil des Miss you, Emotional rescue, Hey Négrita et compagnie, tout est sur ce titre planqué en bout de face B.
Bien rétamé, mais encore debout, le groupe enregistre un troisième album en 1976, Part.3, nouveau carton riche en singles : Shake your booty (shake, shake, shake), I like to do it et I'm your boogie man. Les crocs sont désormais bien limés, le crash est programmé, mais les dents en or brillent comme jamais.
La fin de l'histoire vous la connaissez déjà. Le duo de tête est laminé par les abus de substances, plus grand chose ne sort de la fabrique. Pour surfer sur la vague disco, et masquer l'échec commercial de leur disque de 1978, Who Do Ya Love, Henry Stone ressort le premier album du groupe sous une nouvelle pochette illustrant le titre Queen of the clubs. Dans les faits, Richard Finch est un zombie. A tout juste 24 ans, le bassiste/compositeur fraîchement multimillionnaire a déjà son avenir derrière lui. Et son compère KC ne fait guère illusion même s'il fait perdurer un temps l'affaire, avant de manquer de se tuer dans un accident de voiture qui le laissera un an dans un fauteuil roulant. Paradoxalement, cette immobilisation infortunée lui sauvera sans doute la vie en l'éloignant, pour un temps, des feux de la rampe. Richard Finch, lui, n'aura pas cette opportunité, après des années d'excès il finira sur la case prison, condamné en 2010 pour des rapports sexuels tarifés avec des garçons en dessous de l'âge minimum requis. A ce que j'en sais, il devrait sortir ces jours ci.
Et ce bon vieux Henry Stone ? Pas de soucis pour lui, il est certes mort depuis, mais en 2014 seulement et à l'âge respectable de 93 ans. Après avoir essoré jusqu'à l'os son duo de garçons de courses, il tirera quelques pépettes supplémentaires en misant sur les Fat Boys, non sans s'être au préalable retrouvé associé -par je ne sais quel "miracle"- à un autre grand nom
Il va sans dire que si tout ceci vous évoque le scénario de la série Vinyl, n'y voyez surtout aucune coïncidence.