Récemment,
Arte,
a diffusé "Out
of the blue"
de
Denis Hopper,
un film singulier, foutraque, bancal, malsain et, il faut bien le
dire, un peu trop long également (un quart d'heure de moins
aurait été bienvenu). Mais bon, contrairement à tous ces
films sans aspérités dont on nous abreuve régulièrement
depuis plus de vingt années déjà, celui-ci, qui date de 1980,
a le mérite de proposer un oeuvre dérangeante.
Ce
qui nous frappe en premier lieu, c'est la trogne des acteurs. Ici,
point d'apollons ou de naïades têtes à claques mais des
hommes et des femmes aux gueules cassées et aux corps imparfaits
qui, d’emblée, imposent une crédibilité à leurs personnages
marqués par la vie. Tout le contraire de brêles telles que Colin
Farrell ou Marion
Cotillard qui, pour incarner des personnages
borderlines, en font des caisses et basculent dans le ridicule
outrancier qui donnent des envies de meurtre. Là, le jeu des acteurs
est totalement naturaliste ; d’ailleurs, outre Denis
Hopper dans le rôle d’un loser alcoolique
(mais est-ce vraiment du jeu ?), c’est Linda
Manz, dans le rôle d’une gamine larguée,
qui impressionne durablement les esprits. Ce petit bout de femme
apporte une vérité confondante à son personnage d’enfant rebelle
qui conchie la normalité, envoie paître sans ménagement quiconque
la malmène et fréquente le milieu punk de l’époque. Il faut voir
cette furie se balader crânement dans les rues, avec son blouson en
jean décoré dans son dos d’une inscription « Elvis »
et qui ne quitte jamais son lecteur de cassette portable qui diffuse
en boucle « Heartbreak Hotel »,
pour comprendre à quel point elle met à l’amende n’importe
quelle actrice confirmée.
Ce
film débute de façon aussi absurde (une fillette, maquillée comme
une pute, assise dans une cabine de camion à côté de son père qui
tient le volant alors qu’il bibine à tout crin ; les deux se
vannant gentiment) que tragique (la scène se conclut par un crash
d’une violence inouïe entre le dit camion et un car de ramassage
scolaire).
Ensuite
nous suivons au plus près les pérégrinations de cette gamine
laissée à l’abandon par ses parents (puisque son père se
retrouve en prison pour cinq ans tandis que sa mère s’envoie des
shoots d’héroïne comme un mouflet avale des bonbecs et trompe
allègrement son mari). Abordant les gens comme on se cogne à un
mur, elle ne vit que dans le conflit et réfute toute forme
d’autorité. Et le retour de son daron, une fois sa peine purgée,
n’arrangera en rien son comportement autodestructeur.
Traversé
de passages hors normes filmés de manière abrupte (le backstage
surréaliste d’un concert punk new-yorkais, la visite d’un repère
de junkies, la destruction dans une décharge, au moyen d’une
pelleteuse, d’une cabane de chef de chantier, les errances
alcoolisées pernicieuses des protagonistes principaux et deux scènes
de morts violentes digne d’une série Z) et ponctué de moments
musicaux inspirés (Elvis donc
et deux morceaux de cette endive de Neil Young
pour une fois intéressants) ce long métrage nous touche justement
parce qu’il nous propose une tranche de vie glauque sans happy end
qui nous change des niaiseries nauséabondes, ou pires faussement
subversives, qui polluent nos écrans.
En définitive, « Out of the blue » fait parti de cette race de films qui tire avantage de ses imperfections qui lui insufflent un supplément d’âme et de vérité. Du cinéma avec un cœur qui vibre donc ; une condition indispensable pour tout film qui se respecte et qui, malheureusement, se fait de plus en plus rare de nos jours.
Harry Max