Ben voilà, c'est passé,
finito bambino, terminé, terminé. Bruce Springsteen est dans le
rétroviseur.
Six mois à l'attendre, ce concert de Montpellier, à
l'imaginer, le laisser m'envahir de désir, et bam, en un clin d’œil
me revoilà en position d'attente, sans date butoir cette fois. Peut
être qu'il reviendra dans le coin l'an prochain, peut être pas, en
attendant je sens comme un vide que Johnny Kidd ne suffira pas à
combler.
Pfff, je ne vais pas devenir
fan à mon âge, mais je me sens tout comme.
Faut dire qu'il a tout
fait pour, le gars Springsteen, le genre à te coller en manque sitôt
qu'il a raccroché sa guinde. Dix minutes après la fin du concert,
t'es déjà nostalgique ! Rien que de revoir Waitin on a sunny
day sur youtube, j'en ai les pupilles qui se brouillent, et qu'importe
si c'est via une vidéo toute pourrie, qu'un gars à capté avec son
téléphone portable. La magie passe.
C'est un peu ça la
vérité, sans tomber dans le cucul la praloche, Bruce Springsteen
est un magicien, un mime, un prestidigitateur, un truc dans le genre,
comme Charles Aznavour, si vous voyez ce que je veux dire. Cette
manière d'incarner les chansons, de vivre le scénario et d'en
réaliser chaque soir de concert, une interprétation impeccable de
justesse.
Ou alors c'est un truand,
un foutu manipulateur de foule, usant de tous ses charmes et
d'anciennes formules d’envoûtement des masses, un machin qui
tiendrait de la foi.
Parce que quoi que ce
soit, y a un truc, comme avec Majax. Me dites pas que 13 000 gonzes,
d'une moyenne de quarante ans d'âge, qui se foutent à chanter
spontanément, au même moment, dans une langue que la plupart
connaissent tout juste, et sans en foutre une à côté, c'est normal
comme réaction... Faut pas charrier !
Sur The river, c'est tout
juste s'il peut en placer une, tellement qu'il renonce, tend le micro
et laisse s'exprimer le peuple, avant de reprendre les affaires en
mains, et de nous refiler du frisson comme si il en pleuvait. Pour Waitin'
on a sunny day, il a tout juste eu le
temps de faire le premier accord, avant que la salle tout entière n’essaye de lui piquer la vedette.
A l'inverse, j'en connais
pas d'autres pour captiver au point que dégun
n'ose plus ouvrir la bouche. Même brailler rock'n'roll y a pas un
con qui s'y tente. Pas quand Bruce Springsteen chante Point blank.
Comment vous dire ? Point blank, c'est Bruce qui cause à un
amour d'adolescence, la fille avec laquelle il projetait de tout
partager, corps et âme, a préféré suivre les mauvais garçons et
leurs illusions à deux balles. Pas à pas, elle a renoncé à tout
ce qui avait de la valeur, et ça n'a pas traîné long avant que les
emmerdes n'arrivent. Il le sait Bruce, il l'a aperçu sur les
boulevards glauques, à tapiner pour sa dose ou pour éviter les
coups. Et la sentence tombe, bang bang baby you're dead.
Springsteen
chante ça comme si à chaque mot, c'est lui qui crevait de n'avoir
pas su la protéger.
Musicalement, pour schématiser, c'est une
baguette qui claque contre le cercle de la caisse claire et un piano
qui égraine les notes les plus lugubres qu'on puisse tirer d'une
rangée de touches d’ivoire. Et ça dure facile 6 ou 7 mns.
Imaginez Joe Strummer qui ferait Straight to hell a cappella, c'est de
ce calibre niveau casse-gueule. Pourtant ça passe tellement bien que
derrière ça, il enchaîne The river, et cette chanson d'une
tristesse sans nom devient comme une libération. Un magicien, je vous
dis.
Je vous rassure, Bruce
Springsteen ne donne pas dans le dépressif, il ne se trimbale pas le
public de Cure, pas l'ombre d'un t.shirt Joy division parmi
l'assistance. Loin de là. Springsteen à le talent multiple, le
voilà déjà à faire le pitre sur un 7 nights to rock tiré des
limbes de l'histoire.
Pure magie du rock'n'roll des origines.
Mais le
meilleur sur cette tournée c'est encore qu'en plus de son légendaire
E.Street band, Little Steven en tête, le boss nous a offert une
section de cuivres et trois choristes pour dépoussiérer le
Rhythm'n'blues le meilleur qui soit. 6345789, The way you do the
things you do ou encore un Sad mood pétrie d'émotion, calé au
milieu d'un My city of ruins nourris au gospel, pour saluer la mémoire
de son acolyte de toujours, Clarence Big man Clemons, mort il y a tout juste un an.
Magie, encore et toujours.
Enfin, un concert de Bruce Springsteen c'est aussi et surtout une sacrée dose d'énergie. Et de révolte. Badlands, Born in the USA, Candy's room, Wrecking ball, Death to my hometown, comme autant de shoot d'adrénaline. Le gars a des cartouches en réserve, inépuisables réserves. Des noms ? Born to run, We take care of our own, She's the one, Land of hope and dreams. Et on monte dans le train, à ses côtés, tout contre la carlingue bouillonnante de la machine, la vapeur qui s'échappe de toute part. Trois heures d'émotions, pour s'en souvenir jusqu'au dernier souffle. Qu'il attaque Growin up, Jack of all trades, c'est toujours au cœur que ça touche. Et ce Rocky ground, si fragile sur le vinyl, que je ne l'imaginais pas un seul instant capable de passer la barrière du live, s'avère finalement être un incontournable de plus. Faut le vivre pour le croire, la manière dont il cajole cette chanson.
Allez, je conclus parce
que de toutes les façons, je ne saurais pas vous décrire tout ça en
détail. Ça demanderait plus de mots que je n'en connais.
Il passe près de chez
vous ? Foncez. Même si c'est loin, foncez.
Hugo Spanky