jeudi 9 juin 2016

RoCKiN' THe BaRRiO


La bagnole de flics banalisée descend lentement la rue qui longe les pylônes en béton de l’autoroute. Elle s’arrête doucement devant un petit groupe de latinos appuyés sur une vieille voiture vintage rouge. Quatre baraques : cheveux gominés, chemises fermées d’un seul bouton, le dernier sous le menton. Des durs à cuire mais c’est pourtant Angel baby de Rosie and the Originals qui dégueule de l’autoradio quand Sean Penn et Robert Duvall commencent à discuter.
On est en 1988, dans Colors de Dennis Hopper, un film courageux sur les gangs de Los Angeles. Une scène qui résume à peu près tout le feeling des chicanos d’East L.A.



Un an plus tôt le premier biopic d'une longue série avait mis le feu aux poudres. La Bamba relatait la courte vie de cet immense rocker qu'était Ritchie Valens et mettait en lumière l'apport considérable des Hispaniques de L.A. au rock and roll. Une part ignorée en France à l'époque et largement sous-estimée aux U.S. même si tout ça remontait à loin. Les chicanos ont toujours eu leur propre culture, leurs propres codes vestimentaires et leur musique. Un putain de style, un feeling que j'adore. À savoir, un mélange de dureté urbaine et une fidélité sans failles aux ballades doo-wop et soul. 
Comme du sucré et du salé ... Une élégance aristocratique de la rue.



La musique mexicaine m'a toujours plu. J'adore ces ballades, celles dont s'inspira Dylan pour Pat Garrett and Billy the Kid : les corridos. Des chansons de mecs à peu près tous seuls au milieu du desert près de la frontière américaine...
Des lamentations mexicaines largement aussi émouvantes que le blues.
Je me traine cette compil depuis les années 90's Corridos & Tragedias de La Frontera ainsi que les albums de cet incroyable accordéoniste Flaco Jimenez, impeccablement gominé... Des disques qui me suivent depuis toujours.



C'est dans le quartier de East L.A. d'El Monte que s'est développé dès les années 40, cette sous culture urbaine propre aux chicanos. East L.A., un quartier loin de la mer avec son fameux Whittivier Boulevard, une artère qui reviendra dans les textes des chansons.

Ils inventent le look zoot suit d'abord, tellement bien illustré par Kid Créole qui en reprit tous les codes vestimentaires. Long costard et chaussure bi-colore type "spectator", petite moustache, volonté d'apparaitre plus aisé que l'on ne l'est en réalité, le tout accompagné d'une certaine morgue. Un peu comme les mods anglais plus tard. Déjà, le jazz, les bigs bands les accompagnent. Une complicité avec la musique noire qui ne s'est jamais démentie.



Puis dans les 50's, où les choses deviennent sérieuses. Les pachucos se mettent au Rock'n'Roll. Principalement sur le label de Bob keane, Del-Fi Records qui découvre Chan Romero, avec son fameux Hippy Hippy Shake qui deviendra curieusement un classique du Mersey Beat via les Beatles. Et surtout Ritchie Valens, jeune prodige de 17 ans, guitariste exceptionnel d'inventivité mort trop jeune.
J'imagine qu'il fut un exemple pour toutes la communauté. Des exemples pour certains qui reprirent le flambeaux souvent avec succès. Des tubes géniaux, jouissifs et dansants anglophones certes mais avec cet indéfinissable peps hispanique en arrière fond: Let's dance de Chris Montez, Rock On de Trini Lopez, Wasted Days and Wasted Nights de Freddy Fender (un texan par contre).

D'un autre côté, les jeunes se branchent sur le Rhythm and Blues et particulièrement le Doo Wop. Une particularité de cette communauté, ils resteront toujours fidèle à cette innocence Doo wop que tous le monde abandonna dès le début des années 60's. Des ballades imparables comme You Cheated des Shields seront curieusement des hymnes dans des quartiers coupe-gorges.




Dans le même temps des groupes purement hispaniques se mettent à jouer et tout un circuit et un public se crée avec ses Dj's, ses shows et ses soirées.
Le goût pour le doo wop se mute en goût pour le rhythm and blues pour donner un style particulier, la "brown eyes soul", subtil mélange de soul et d'influence hispanique. Les stars du moment sont Thee Midniters ou Cannibal & the Headhunters, véritables légendes de la culture Chicano de East L.A. Des groupes, que dis-je, des orchestres au son unique qui n'ont rien à envier aux équivalents noir ou blanc. Il faut entendre la lourdeur menaçante de Land of a Thousand Dances pour comprendre qu'on ne plaisante pas dans ces quartiers.





Dans les années 70's, les luttes communautaires sociales prennent le pas sur la musique et les styles évoluent vers une soul de plus en plus sirupeuse mais toujours aussi élégante. La musique se complique et l'influence hispanique s'affirme.

Mais c'est pendant la période punk que les chicanos se remettent à briller avec les tous premiers bands de L.A. : Les Brat, Los Illegals, The Plugz la musique n'est pas toujours au rendez-vous mais l'attitude et le look sont toujours impeccables. Mis à part un groupe qui s'illustre par un coup de génie : The Zeroes qui produisirent certainement un des meilleurs singles punk de tous les temps, une pépite de rock and roll qui serait bien imprudent de prendre à la légère. Don't push me around. Traduction : Ne me touche pas. Que doit on comprendre ? Un message communautaire ou une simple chanson d'ados ? Surnommés, les mexicans ramones, les Zeroes ont le look punk ultime (c'est à dire pas de look) et un sens inné de la compos rock and roll teenager.



L'histoire de cette communauté continue avec Los Lobos et bien d'autres mais aussi au cinéma. L'acteur, réalisateur Edward James Olmos dépeindra brillamment l'ultra violence de ces quartiers dans American me ou dans des reportages comme Americanos: Latino Life in the United States en tant que producteur, cette fois.

J'ai bien peur que le rock and roll soit aussi le fait des hispaniques, le fruit d'une friction entre communautés plutôt qu'une communion béate dans un multiculturalisme harmonieux. Peut être, le prix à payer pour une certaine rugosité...

Pour ceux qui veulent "creuser", je vous conseille les merveilleuses compilations East side Story parfait reflet du hit parade chicano ou pour ceux qui lisent l'anglais : Le bouquin, Land of a Thousand Dances: Chicano Rock 'n' Roll from Southern California de David Reyes et Tom Waldman, le seul que j'ai trouvé.



Serge Fabre

22 commentaires:

  1. grand plaisir de lire ton post, merci. Pam

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  2. Vaste territoire souvent méconnu que celui du rock sud américain. Il existe un paquet de compils genre transcendantes, notamment sur la période psychédélique, qui permettent de constater à quel point du Pérou au Mexique les gars savaient faire bon usage du peyotl, et n'avait rien à envier à leurs homologues du Nord ou d'Angleterre.
    Et c'est bien du côté de Guadalajara que la route a commencé pour l'immense Carlos Santana.
    East L.A c'est un concentré en ébullition de tout ça, même en Hip Hop ils ont tout déchiré, Kid Frost et sa bande de Low Riders, comme tu dis Dennis Hopper avait capté l'affaire bien avant tout le monde avec Colors. Et comme de bien entendu, de la même façon que Paul Newman avec Fort Apache The Bronx, il s'était ramassé une volée de bois vert de la part des adeptes de la politique de l'autruche.
    C'est une salutaire et rafraichissante balade, que ce portrait que tu dresses de l'origine de bien des choses, à commencer par l'élégance. Une balade qui ne fait que commencer, j'espère. J'ai chaussé mes mexicana pour te suivre.
    Hugo Spanky

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  3. J'ai zappé le rap car je n'y connais rien. Il y a surment des bons trucs aussi.
    "Low rider" c'est aussi un magazine chicano de tuning de voitures. Les couvertures sont géniales. Ca vaut le détour!

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    1. ...et un hit monumental et inoxydable de War, superbement relifté par Kid Frost et son alliance latine.
      https://youtu.be/1UJijxsW0es

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    2. et je profite de l'occasion pour glisser cette merveille des Deliquent Habits
      https://youtu.be/w3qqN1BMnhk

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  4. Ahhh chuis fan moi de tout ça.
    Allez, je rajoute mon petit grain de sel avec les loustics d'Ozomatli qui m'éclatent au plus haut point !

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    1. Aucun rapport avec le menu du jour mais l'album Gharkey street motel de Mike Martin and the Beautiful Mess est excellent. Tu sais où le trouver.

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    2. Et le peu que j'ai entendu du Dion Weisbrod vaut aussi le détour.

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  5. Rock chicano... Dans les années 80, j'aimais bien ce titre un peu kitsch :
    https://www.youtube.com/watch?v=Xf1QrSUoP1c

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  6. PS : Tito Laredo et ses complices dans une séquence culte (en tout cas pour moi) :
    https://www.youtube.com/watch?v=PkaveikyikE

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  7. Hou la la... c'est qu'il va falloir nous accompagner si on ne veut pas se perdre. Ça me fait penser à la musique Brésilienne, si tu n'as pas un pote (j'en ai un, heuuuu, na na nère heuuuuu) pour te guider tu peux vite abandonner car trop de richesse et pas assez de repère.
    En tout cas merci pour cette chouette lecture, toujours ça de pris à écouter...

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    1. Il s'agit juste de rock and roll, pas vraiment de musique hispanique folklorique ou de clichés hisapanisants. Les groupes que je cite sont anglophones et font du rock and roll ou du rythm and blues dans la plus pure tradition américaine.
      En espérant que ces quelques noms t'aideront à dérouler la pelote de laine...

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    2. En parlant de pelote de laine, en voila une de bien emmêlée : Javier Escovedo de The Zeros est le frère d'Alejandro Escovedo ainsi que de Pete Escovedo, le percussionniste de Santana, qui est lui même le papa de Sheila E, la percussionniste de Prince ! Et au passage la nièce de Javier Escovedo de The Zeros ))))) Merveilleux.
      Hugo

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    3. Incroyable... Tout se recoupe.
      Le buisness du r'n'r n'est tenu que par une poignée de personnes...

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    4. Ce sont les voisins d'une telle famille qui devait être contents )))) Il y encore un autre frère (Mario) qui ne fait pas dans la poésie non plus https://youtu.be/wd3F18aqXWE

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  8. et vous avez essayé deadbolt ? si vous aimez l'humour noir la surf musique et euh un flow dans la vocalise : ttps://www.youtube.com/watch?v=RzrNmJctWlU ceux la sont de sacrés allumés ... si me quiero deabolt, et leur "truck driver son of a bitch", il se seraient inspiré de gainsbourg ? ou de l'autre version anglaise des bollocks brothers, qu'en sais je ? bon je vous laisse, je vais réécouter le gun club

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    1. Ouais c'était sympa Deadbolt, peut être que ça l'est même encore. J'aimais leur titre Down in the lab, j'y entendais du Cure des grandes années. Dans celui dont tu as mis le lien aussi, d'ailleurs. Du coup, c'est toujours un peu pareil.
      Ok, je fais ma tête de con, mais c'est ta faute, qu'est ce que tu causes de Gun Club ? Je ne suis jamais arrivé à écouter Miami en entier d'un seul trait. Trop chiant. Ou alors j'avais pas les bons cachets. La prochaine fois, je te dirais ce que je pense de Gainsbourg. ))))
      Hugo Spanky

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    2. Si tu arrives à mettre la main dessus, regarde le film Zoot Suit -Chicanos Story selon les éditions- de Luis Valdez (le gars qui a fait La bamba) il est vraiment bien foutu, de la couleur, du rythme et de la violence. De l'amour ? Aussi, un peu.
      https://youtu.be/M51xwySGNYc
      Hugo Spanky

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  9. et le Salsation dans la fièvre de Samedi soir ! ;))

    Chouette film American Me. Pour une fois pas de glamour, de voiture, maison et pute de luxe, chapeaux et toilettes de grands couturiers. J'ai beaucoup aimé cet angle

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    1. "American me" que j'ai revu grâce à vous... Aussi dur que dans mon souvenir. J'attaque "Zoot Suit"!

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    2. Je suis en train de lire le bouquin qui a inspiré le film, La fièvre du samedi soir, c'est une tuerie ! C'est une nana de Brooklyn qui a écrit ça en 1977, Harriet B.Gilmour.

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